Il y a eu Bernie, attachant ouvrier de Francine dans Jamais deux sans toi. L'impact symbolique du coming out de Daniel Pinard, au milieu des années 2000, précédé par l'adoption de la loi sur l'union civile, en 1998. Trois décennies plus tôt, Pierre Elliott Trudeau avait décriminalisé la chose avec sa loi omnibus. Plus tard, en 1982, le rapatriement de la Constitution a permis aux homosexuels d'être protégés par la Charte des droits.

La lutte contre l'homophobie a été marquée par une foule de moments-clés, confirme Laurent McCutcheon, ex-président de Gai Écoute.

«Le mot "notamment" a été crucial pour les personnes homosexuelles au Canada», s'amuse ce militant de la première heure, qui en profite pour nous donner une petite leçon d'histoire. En 1982, alors qu'on estimait que la population n'était pas encore prête à accepter que l'orientation sexuelle soit incluse dans la Charte des droits, il a été écrit que toute discrimination était interdite en vertu notamment de la race, du sexe, etc. La brèche faisait ainsi pénétrer un peu de lumière.

Ce «notamment» suggérait qu'on ne pouvait se montrer discriminatoire à l'endroit des couples de même sexe.

La table était mise pour un avenir meilleur. Or, bien avant les androgynes années 80, la lutte contre l'homophobie a pris racine grâce à d'audacieux précurseurs. À commencer par Janette Bertrand.

«Elle a été la première à parler d'homosexualité et à inviter des gais et lesbiennes à la télé», dit Laurent McCutcheon à propos de celle qui, en 2003, s'est vu décerner le premier prix de la Journée de lutte contre l'homophobie.

Jointe à son chalet au fin fond des bois, Mme Bertrand se remémore les nombreuses missives de détresse que lui envoyaient les lecteurs du courrier du coeur qu'elle tenait dans les années 60.

«Plusieurs étaient écrites par de jeunes hommes qui venaient des campagnes. Se sachant attirés par les hommes, ils voulaient se suicider, incapables de s'accepter et se sentant seuls au monde. À partir de là, j'ai commencé à m'intéresser à l'homosexualité», relate Janette Bertrand, qui compare l'homosexualité au fait d'être rouquin ou d'avoir les yeux bleus. «On naît comme ça», affirme la grande dame de la télé québécoise, qui a parlé d'homosexualité dans ses émissions Avec un grand A et Parler pour parler.

«C'est sûr qu'on m'a trouvée audacieuse. Mais encore aujourd'hui, il arrive que des hommes dans la rue m'abordent pour me dire que s'ils ont été capables de dire à leur mère qu'ils sont homosexuels, c'est grâce à Avec un grand A

L'homosexualité au petit écran

Aujourd'hui, on se remémore avec un certain embarras l'exubérant Christian Lalancette (incarné par André Montmorency), le coiffeur gai de la comédie Chez Denise qui, à l'époque, incarnait le stéréotype de la «tapette». Longtemps, dans l'esprit collectif québécois, l'homosexualité aura été associée à de tels personnages caricaturaux, dans la lignée des Michel Girouard ou Coco Douglas Leopold.

«On ne doit pas renier l'histoire. À cette époque, Christian Lalancette incarnait une réalité», pense Laurent McCutcheon, qui reconnaît la contribution de Michel Girouard à l'évolution des mentalités.

«Quand il a décidé de se marier, dans les années 60, soit un fichu bout de temps avant tout le monde, il a fait évoluer la société.»

Du côté de la culture dite «officielle», Michel Tremblay et André Brassard ont été des figures très importantes. Et alors que des personnages d'homosexuels se faisaient entendre sur les scènes des théâtres, des auteurs de télé comme Guy Fournier et Fabienne Larouche leur ont fait une place au petit écran.

Le Québec, terre d'acceptation?

«On est plus avancés que les Français», estime le Dr Réjean Thomas qui, à l'époque où il était président de Médecins sans frontières, a causé un malaise chez certains de ses collègues européens en révélant son homosexualité.

Selon cette sommité internationale de la lutte contre le VIH, le sida a révélé l'homophobie dans le milieu médical. «Les partenaires des premiers malades du sida étaient souvent exclus, lors des visites médicales.»

En revanche, le VIH a aussi permis de mieux faire connaître les besoins en santé des homosexuels, souligne celui qui regrette qu'aujourd'hui, les jeunes gais aient oublié ce chapitre de l'histoire.

En tant que médecin, il constate que la violence à l'endroit des gais est toujours présente. «Je vois encore des patients qui se font violenter par de jeunes homophobes.»

Faut-il forcément migrer à Montréal pour échapper à l'homophobie?

«Non», tranche Laurent McCutcheon, qui observe que l'internet a donné aux gens en région la possibilité de se rencontrer localement.

L'ex-président de Gai Écoute compare la lutte contre l'homophobie au combat pour l'égalité des femmes: beaucoup de chemin a été parcouru, mais l'égalité n'est pas atteinte. Selon lui, il reste un énorme travail d'éducation à faire auprès de certaines communautés culturelles aux valeurs très machos. Mais somme toute, le Québec a grandement évolué, depuis l'archaïque époque où le mot «tapette» circulait sans réprimande dans les cours d'école.

«Autrefois, chez Gai Écoute, on répondait aux appels de jeunes qui ne savaient pas comment dévoiler leur homosexualité à leurs parents. Maintenant, on conseille des jeunes qui sont vexés parce que leur soeur peut inviter son chum à coucher, mais pas eux. Ce n'est pas tout à fait l'égalité complète, mais ça s'en vient.»