Lorsque Céline Touré a repris l'année dernière une boulangerie de la rue de Belleville, dans le XIXe arrondissement parisien, cette ancienne responsable de brasserie a eu la surprise de découvrir qu'elle n'avait pas le droit de prendre ses vacances en août.

«Je ne connaissais pas du tout ces règles. Nous voulions fermer au mois d'août, mais ça aurait été compliqué pour le quartier», relativise-t-elle entre deux clients.

Si Céline a dû se contenter de quinze jours de repos en juillet, c'est en raison d'un système de réquisitions estivales des quelque 1200 boulangers parisiens, lointain héritage de la Révolution française.

«Le pain constituait l'essentiel de l'alimentation de la population, il fallait absolument s'assurer de son approvisionnement», explique-t-on à la préfecture d'Ile-de-France.

Le 21 octobre 1789, le boulanger Denis François était pendu à une lanterne de la place de Grève par une foule affamée, sa tête exhibée sur une pique dans les rues de Paris. En réaction, l'Assemblée Constituante vota dans la foulée une loi martiale autorisant, pour la première fois, les autorités à réquisitionner les boulangers afin que Paris ne manque jamais de pain.

Avec l'introduction des congés payés au XXe siècle, le problème des vacances s'est posé. En 1957, la loi confère aux maires, à travers la police municipale, le pouvoir de réglementer au besoin les fermetures annuelles des boulangeries «de manière à assurer le ravitaillement de la population».

Chaque été, les boulangers de Paris et sa petite couronne sont donc tenus d'ouvrir au minimum un mois durant l'été, soit en août, soit en juillet selon les années.

Du pain dans tous les quartiers

Profitant de la fermeture de la moitié de ses concurrents, la boulangerie de Céline, située sur une artère fréquentée, réalise un chiffre d'affaires journalier supérieur de 400 à 500 euros à la normale.

«Le matin, quand on ouvre à 6 heures, il y a énormément de monde qui est dehors en train d'attendre. Il faut faire du chemin pour trouver une boulangerie, surtout au mois d'août», relate la jeune femme.

L'arrêté préfectoral n°95-058 du 1er février 1995 répartit les boulangeries de Paris, des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, en deux groupes, prenant chaque année les congés par alternance.

«On essaye qu'il y ait du pain partout, à tout moment. Une personne à mobilité réduite, ou une personne âgée, ne peuvent pas forcément prendre sa voiture pour aller chercher du pain», explique Dominique Anract, membre du bureau de la chambre professionnelle des artisans boulangers-pâtissiers, qui gère les demandes de dérogation avec la préfecture d'Ile-de-France.

«Il m'arrive quelques fois d'avoir des lettres de boulangers qui ne sont pas contents, mais il y a vraiment des quartiers désertiques, il faut des endroits qui restent ouverts», ajoute-t-il.

«On fait le tour des boulangeries du quartier pour voir qui est fermé et pouvoir prévoir en conséquence qu'on ne manque pas de pain pour les clients», explique Kati Demoncy, patronne d'une boulangerie ouverte toute l'année sur la place d'une église de Belleville.

Procédure «anachronique» et «contraignante»

Les équipes de la préfecture effectuant peu de tournées pour vérifier le respect des autorisations de congés, le nombre total des contrevenants est inconnu. En 2011, 20 procès-verbaux seulement ont été dressés.

Selon la Confédération nationale de la Boulangerie, ce système de réquisitions estivales n'est appliqué qu'à Paris et ses alentours. Dans le reste de la France, les boulangers s'accordent, mais pas toujours, entre voisins, pour que les clients puissent continuer à s'approvisionner en pains.

En 2008, dans une question au gouvernement, le député socialiste Bernard Roman (Nord) dénonçait une procédure «anachronique» et «contraignante», appelant à un aménagement ou une suppression de la législation en la matière.

Les boulangers sont l'unique profession artisanale dont les congés sont réglementés, les pharmaciens étant soumis à une législation similaire.