Derrière ces enfants de la DPJ, dont on parle beaucoup, il y a des parents, dont on ne parle jamais. Ils sont vus comme des parias, des parents indignes. Mais qui sont-ils vraiment? La Presse a suivi six d'entre eux pendant les dix semaines d'un atelier de compétences parentales. Aujourd'hui, le quatrième épisode de notre série.

ÉMILIE ET WILLIAM

«Ma chambre d'invités»

Pour la première fois depuis deux ans, William a couché dans sa chambre. Elle était prête depuis un moment. Mais maman n'avait pas le droit de dire que c'était sa chambre. Pour ne pas créer d'attentes. Alors, ils avaient convenu tous les deux que cette chambre aux murs repeints en blanc, avec des affiches aux couleurs de Flash McQueen, était la chambre d'invités.

«Je vais jouer dans ma chambre d'invités», disait William quand il passait quelques heures chez sa mère.

La semaine dernière, Émilie a pu dire à William que la chambre d'invités, eh bien, c'était sa chambre.

Émilie s'est présentée devant le juge du tribunal de la jeunesse pour lui exposer tout ce qu'elle avait fait. Arrêter de consommer. Trouver un appartement. Mener une vie stable. Participer à des ateliers de compétences parentales. Tout ça, pour regagner la garde de son fils.

Et elle a réussi.

Le juge a ordonné que William, 4 ans, hébergé dans un centre de réadaptation pour enfants en trouble d'attachement, retourne progressivement chez lui. Un dodo par semaine dans la chambre Flash McQueen pendant deux semaines. Puis, deux. Puis, trois. À la fin du mois de juin, Émilie va retrouver son fils à temps plein.

Il y a une semaine, Émilie exultait. «L'audience a pris 28 minutes, a-t-elle raconté. Tout le monde m'a félicitée, même l'avocate de la DPJ!» Son visage était lumineux.

Les autres parents la regardaient sans mot dire. «J'ai travaillé fort pour l'avoir», a dit Émilie, en jetant un coup d'oeil à la ronde.

Ça, c'était la semaine dernière. Émilie et William nageaient dans l'euphorie post-jugement.

Cette semaine, la pente est plus abrupte. Hier, William a passé cette fameuse première nuit chez maman. Ça faisait deux ans qu'il n'avait pas dormi chez sa mère. Deux ans. Pensez-y. C'est la moitié de sa vie.

Tout excités, ils se sont couchés un peu tard. Souper, bain, pyjama... «Elle est où, la collation?», a demandé William après tout ça. «Quelle collation?», a demandé Émilie. «C'est la routine. Il faut une collation», a fermement répondu William.

L'éducatrice du foyer, qui était chez Émilie pour superviser ce premier coucher, a confirmé les propos de l'enfant. Souper, bain, pyjama, collation, brossage de dents, lecture, une gorgée d'eau, puis, bonne nuit. C'est la routine, totalement immuable, qu'observe William depuis deux ans. Et qui le sécurise.

Émilie a trouvé une collation. Des raisins.

Après la gorgée d'eau, William a pleuré un peu. Sur les conseils de l'éducatrice, Émilie n'est pas allée le voir. Après un moment, il s'est endormi, bien à l'abri sous la couette Flash McQueen.

À 3h30, il s'est réveillé. Il est allé à la porte de la chambre de sa mère. «Maman? Es-tu là?» Émilie raconte avec effarement qu'elle ne s'est pas réveillée. «C'est mon chum qui m'a brassée. Hé, le petit te demande!»

Émilie s'est réveillée en sursaut. Son fils la demandait! Elle a pris la main de William, elle est allée se coucher avec lui dans son lit. Il s'est réveillé de nouveau à 4h30. «C'est la nuit. Dodo», a-t-elle dit. À 6h, elle ne pouvait plus dire ça. William était debout, prêt à jouer.

Tout ça pour dire qu'Émilie et William sont fatigués ce matin. Et ça paraît.

William, normalement obéissant, n'arrête pas de sauter partout. Émilie court après lui en lui disant d'arrêter. Au cours des prochaines semaines, prédisent les animateurs, William va tester les limites de ce nouveau lieu de vie. Le petit a besoin d'un cadre très solide. Si sa mère lui donne des limites claires, avec des conséquences s'il les dépasse, il sera sécurisé. Sinon, William redeviendra un enfant difficile à maîtriser.

Émilie a gagné la première manche devant le tribunal. Mais la partie, pour William, est encore loin d'être totalement jouée.

«VAS-TU ME FRAPPER AVEC UN CHAUDRON?»

La discipline. Le thème de la semaine, amené par l'animateur Stéphane Lévesque, démarre sur des chapeaux de roues. «J'ai jamais connu ça chez nous», dit Simon. «Moi, ma mère me frappait avec une ceinture», dit Anik. «C'est pas mes parents qui ont fait la discipline: j'ai été placée de 2 à 18 ans», observe Émilie. «C'est moi qui ai demandé à être placée!», renchérit Marie-Claude.

Tout le monde a son avis sur la discipline. Le manque d'encadrement, ça donne quoi, plus tard? demande Stéphane. «Pas capable de tenir des jobs. Pas capable de tenir ton appartement propre», lance Catherine.

Vrai, dit Stéphane. «L'enfant à qui on donne des règles, il les intègre. Elles finissent par faire partie de lui. Donc, à l'âge adulte, son boss n'aura pas toujours à être sur son dos pour qu'il travaille, disons.»

Simon confirme les dires de l'animateur. «Chez nous, il n'y avait jamais de conséquences. Internaliser les règles? J'ai commencé à faire ça à 25 ans. Quinze ans trop tard.»

Faire de la discipline, c'est d'abord récompenser les bons comportements, établit l'animateur. Mais c'est aussi punir les mauvais. Marie-Claude est d'accord. «À un moment donné, Samuel s'est retrouvé dans la rue. Je lui ai sacré une claque», dit-elle.

Le terrain de la discipline devient soudainement glissant. «Tu as agi par réflexe cette fois-là, dit-il à Marie-Claude. Mais il y a toujours d'autres moyens que de frapper. Si tu lui donnes une claque et que ça ne marche pas, qu'est-ce que tu fais la prochaine fois? Tu prends une pelle?»

Silence. L'image est frappante, disons.

«Ma mère me frappait avec une ceinture, fait soudainement valoir Anik. Après, ç'a été des souliers. Après, ç'a été une cuiller de bois. Je lui ai dit: «Coudonc, la prochaine fois, vas-tu me frapper avec un chaudron?» «

L'atelier des parents se termine.

Des pleurs persistants proviennent de la pièce où jouent les enfants, sous la supervision de Nathalie. Julie n'a pas bien joué cette semaine. Elle a commencé l'activité couchée dans un coin. Ensuite, elle a subtilisé une pièce de casse-tête.

Nathalie lui a dit deux fois de la remettre. La petite n'a rien voulu savoir. Elle se retrouve donc en conséquence, assise seule à une table. Elle hurle.

Depuis le début des ateliers, Julie a de la difficulté avec la discipline. Elle mord sa mère, elle crache sur elle. Catherine a du mal à gérer cela, ont remarqué les animateurs.

Nathalie Sylvestre est secrètement satisfaite de cette crise. Elle lui donne l'occasion d'un petit cours pratique pour Catherine.

L'animatrice explique à la mère ce qui s'est passé. Catherine voit bien que la crise de larmes finit par se terminer. Elle voit Nathalie manoeuvrer avec l'enfant, puis aller lui réexpliquer pourquoi elle s'est retrouvée là.

En cinq minutes, c'est terminé. Julie est de retour. Prête pour la période de lecture.