Lu sur le site web du salon destiné aux célibataires Vivre en solo, qui a eu lieu en novembre dernier, pour annoncer une soirée dansante: Les célibataires n'auront plus aucune raison de se morfondre chez eux en l'absence de partenaire de vie...

Passons sur le terme «partenaire de vie», encore plus affreux que «conjoint (e)»: cette phrase involontairement comique encapsule à merveille le couple comme fin en soi...

Sur ce, je vous présente Marie, une jeune brunette qui doit rester anonyme pour ne pas nuire à son boulot. Professionnelle, fin vingtaine. Pas de chum. Elle ne se morfond pas, rassurez-vous. Mais Marie est un mystère pour ses amis, pour ses collègues de travail. Et pour sa famille!

Bref, Marie incarne une obsession de l'époque amoureuse. Le couple comme eldorado incontournable.

«Le célibat d'une jeune femme fait réagir. Incompréhension, pitié, méfiance. C'est anormal, problématique.»

Tous, ils veulent régler son «problème». En lui présentant quelqu'un. Un ami, un fils, un neveu...

Elle dit toujours non. Parce que quand elle a dit oui, un désastre en forme de malaise était inévitablement à la clé...

Pas grave, il se trouve toujours quelqu'un pour tenter de «caser» Marie.

C'est elle qui raconte l'échange typique avec les cupidons de son entourage:

J'aimerais ça te présenter un gars...

...

Il aime faire du sport! Il est drôle! Vous iriez tellement bien ensemble!

Euh, non, merci...

Ben voyons, pourquoi? T'es célibataire!

Ses amis qui ont déjà des bungalows à Repentigny avec l'être aimé, l'oncle qui lui dit que c'est O.K. si elle est lesbienne: ils cherchent tous quel est le problème de Marie.

Marie se rebiffe, au restaurant, quand elle me raconte sa curieuse vie de célibataire. «Je suis seule. Pas malheureuse.» Elle rêve de leur demander, aux gens en couple: «Êtes-vous heureux?»

L'entourage de Marie a beau s'étonner de son célibat - «Une si belle fille, lui a dit un oncle, je ne comprends pas!» -, sa situation n'a rien d'exceptionnel en ce début de XXIe siècle.

L'Institut de la statistique du Québec l'a noté dans son bilan démographique annuel, l'an dernier: depuis 30 ans, la proportion de Québécois en couple chute, notamment chez les plus jeunes. De 1981 à 2011, le pourcentage d'hommes en couple, chez les 25-29 ans, est passé de 63% à 44%; de 71 à 59% pour les femmes. Chez les 40-44 ans, on note des baisses de 82% à 69% (hommes) et de 77% à 70% (femmes).

Montréal est le paradis (ou l'enfer) canadien du célibat, si on décortique les données du recensement 2011 de Statistique Canada: 47,4% des Montréalais vivent seuls. Et 36,5% sont célibataires, pour une moyenne canadienne de 28%.

Jean-Sébastien Marsan, blogueur du populaire site Réseau Contact (58 000 inscrits) et coauteur du livre Les Québécois ne veulent plus draguer, est plus cru: «On vit dans une société d'individus. Quand on est trop narcissique, c'est dur de faire des rencontres: on estime que l'autre est là pour nous servir. La rencontre devient de plus en plus brève, de plus en plus rare. Comme des aimants, on se repousse...»

Marsan croit que l'héritage des modèles créés par le courant romantique du XVIIIe siècle - l'amour conte de fées, l'attente du prince charmant et tout le tralala rose bonbon - domine toujours la culture. «Le couple s'en trouve glorifié. Et les gens veulent être en couple... pour être en couple.»

Pour cet appel à des témoignages sur l'amour de nos jours, j'ai donc reçu au-delà de 200 réponses. Mon constat: hors du couple, point de salut. Du lot, combien de personnes m'ont expliqué vivre hors du modèle traditionnel du couple vivant ensemble (pas forcément dans un bungalow repentignois)? Une demi-douzaine, pas plus.

Ce qui me fait penser à cette phrase, lue dans le numéro d'été de Philosophie Magazine (qui posait la question «Sommes-nous faits pour vivre à deux?»): «Plus nous obtenons les moyens d'adopter un mode de vie différent, plus le chiffre deux s'impose. Les célibataires endurcis sont rares.»

Une des réflexions les plus intrigantes m'est venue de Line Saint-Germain. Elle habite Québec. Son chum, Alma. Ils se voient les week-ends. Elle adore. «Ce que je trouve curieux, dit-elle, c'est que les gens ne comprennent pas que nous soyons heureux comme ça.»Quand Line parle de son modèle de couple, elle suscite la curiosité. Souvent, les gens lui disent: «C'est l'fun, ma prochaine relation sera comme ça!» Et à la «prochaine relation» de ces gens-là, constate Line, ils emménagent avec le nouveau chum ou la nouvelle blonde...

«Bizarre qu'en 2012, les gens souscrivent encore aux anciens modèles. Avec le très haut taux de divorces et de séparations, n'y aurait-il pas lieu de repenser le couple? Je sais que le chacun chez soi ne convient pas à tous. Mais peut-être que plusieurs couples auraient duré, n'eût été la lourdeur de la routine. Quand les conversations se limitent à As-tu sorti les vidanges? et Qu'est-ce qu'on mange pour souper?, ça devient rapidement un éteignoir...»

Dans l'écran un peu flou de Skype, Martin L. a un indécollable sourire au visage. J'entends des oiseaux chanter et les bruits de la rue de Chiang Maï, en Thaïlande, où il se trouve. En répondant à mes questions, Martin jette sans cesse des regards hors de l'écran: Aïda s'y trouve. Il a rencontré cette jeune femme russe sur un site de rencontres. Coup de foudre. Après deux mois à correspondre par textos et par Skype, ils se sont donné rendez-vous en Thaïlande.

Il m'a écrit avant de s'envoler pour Bangkok. «T'es le seul à qui je conte mon histoire pour l'instant, de peur de passer pour un fou dans mon entourage...»

Le coup de foudre virtuel s'est transposé dans le réel: avant de revenir de Thaïlande, Martin a fait la grande demande à Aïda. Je ne sais pas si elle a dit oui ou da - probablement yes -, mais elle a accepté. Et si Martin se morfond, désormais, c'est devant la montagne de paperasse qui sépare Aïda du Canada. Aïda qui m'a dit, à propos de l'idée de vivre au Canada: «Je vivrais n'importe où, même en Afrique ou en Antarctique, si c'est pour vivre avec quelqu'un que j'aime.»

Je vous disais, plus haut, que Marie ne se morfond pas. Elle disait, elle-même, ne pas avoir un «problème». Je la crois, mais...Mais je soupçonne un pincement au coeur, quand même. «Je trouve ça poche d'aller au marché Jean-Talon toute seule faire mes courses, le dimanche matin... J'envie le bonheur des amoureux que j'y croise.»