Bien qu'elles soient populaires, les soirées Botox font l'objet de nombreuses critiques et sèment la controverse jusque dans la communauté médicale. Certains estiment que ce procédé banalise le recours aux traitements esthétiques, d'autres les voient comme des séances de marketing bien plus que médicales.

«Ça dérape. C'est rendu que les rencontres Botox sont plus banales encore qu'une visite chez le coiffeur, affirme la sexologue et féministe Jocelyne Robert. Non seulement c'est devenu un traitement commun, mais en plus, il y a cette notion de party qui l'accompagne.» À son avis, ces soirées à l'ambiance bon enfant sont un véritable piège pour celles qui y participent. «Le Botox est addictif. Ses effets ne durent pas éternellement (de trois à six mois, en fait), alors les femmes veulent toujours y revenir.» Selon elle, l'ambiance de fête est le contexte idéal pour accrocher de nouvelles clientes trop timides pour solliciter un rendez-vous avec le médecin.

Dans cette optique, les professionnels offrent toutes sortes de rabais ou imposent des contraintes afin d'attirer plus de clientes dans leurs soirées. «J'offre à l'organisatrice l'équivalent d'une seringue s'il y a six participantes ou plus», nous a indiqué l'un d'eux, avec lequel nous avions pris contact en tant que cliente. «Il y a un minimum de cinq seringues à partager dans votre groupe», a fait savoir un autre dans le même contexte. «Les boissons sont une gracieuseté de la clinique et incluent champagne, vin, bière et spiritueux: Grey Goose, Bombay Saphir, Grand Marnier», a ajouté une troisième organisatrice.

Le Dr Manish Khanna, directeur du département de dermatologie-oncologie de l'Hôpital général de Montréal et directeur médical de la clinique d'esthétique PEAU, estime qu'une telle façon de faire est inacceptable. «Du point de vue de la business, c'est avantageux parce que ça permet d'augmenter le volume de patients. Mais d'un point de vue médical, il y a plus d'aspects négatifs que positifs», croit-il. Lorsqu'on lui demande son avis sur ce populaire concept, il ne mâche pas ses mots: «C'est ridicule.» Des clientes lui ont demandé ses services pour des soirées similaires. Il a toujours refusé. «On n'injecte pas du Botox de la même manière à toutes les femmes. On ne peut pas faire ça à la chaîne. Ce n'est pas une recette. Il faut personnaliser le traitement. L'ambiance ludique, avec plusieurs clientes à la fois, nuit à cette personnalisation», croit le dermatologue.

Pourtant, plusieurs de ses confrères sont prêts à se déplacer avec leur équipement pour donner des injections à des clientes au cours de soirées maison, loin d'un environnement médical stérile. «Ils ne l'avoueront jamais parce que ce n'est pas accepté par les autres médecins, plusieurs le font», dit le Dr Andreas Nicolis, qui est favorable à de telles soirées, mais uniquement dans un environnement sécurisé.

Une enquête éclair de La Presse a permis de trouver trois médecins (en six tentatives) qui ont accepté de venir à la maison pour administrer des injections. «Je peux me déplacer avec mon infirmière. Les frais dépendent de la distance, a expliqué l'un d'eux. On commence avec une séance d'information et, pour ceux qui décident d'essayer, chaque traitement prend généralement 10 minutes.» Quand nous leur avons posé la question en tant que journaliste, les mêmes médecins ont affirmé ne pas offrir un tel service.

Le Collège des médecins, qui n'a pas officiellement pris position sur le sujet, croit que le débat sur les soirées Botox est éthique. «Sur le plan technique, le service est généralement bon. Mais on peut se demander si on ne pourrait pas mieux utiliser les ressources médicales ailleurs que dans de telles soirées, qui restent des activités commerciales», dit le Dr Yves Robert, secrétaire général. «On peut se poser des questions sur l'utilité et la pertinence de ces événements, dit-il.Nous ne sommes ni pour ni contre, mais je comprends que ça puisse engendrer un certain malaise.»