Il y a eu la fièvre du roller derby. Ensuite, les soirées thématiques à la Sala Rossa et l'ouverture du bar Royal Phoenix ont rallié les sorteuses saphiques. Puis, avec l'arrivée dans le paysage des Notre-Dame-des-Quilles, Le Vieux Vélo et Alexandra Platz, le circuit gai «hors Village» a débordé du Mile End pour atteindre la Petite-Patrie. Un nouveau Village dit «bienvenue aux dames» ... et à leurs blondes!

Mardi après-midi de fin d'été, au restaurant-bar-salon de quilles Notre-Dame-des-Quilles, rue Beaubien Est. Trois ou quatre barbus à l'allure inspirée de la série Portlandia monopolisent le bar.

Zoé Cousineau, jeune brunette tatouée propriétaire de ce chaleureux diner ouvert en février dernier, nous offre une limonade maison. «Chaque semaine, pendant l'été, nous avons eu un chef invité», rapporte l'aubergiste, à une table en bordure de l'allée de quilles. Elle utilise le terme queer pour définir la philosophie de son bar de quartier. «La clientèle varie beaucoup. On a autant des résidants du coin que des queer foodies.»

«Indie», «alternatif», «queer» - autant d'expressions pour éviter l'anathème hipster: les filles du Mile End LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres) partagent non seulement un goût pour le taco maison, le style à la Janelle Monae et le tatouage artistique, mais aussi une certaine aversion pour le Village gai du centre-ville.

Jacinthe Dupuis, alias Crack Her Jass - son surnom dans la ligue de roller derby - reconnaît la migration de ses consoeurs lesbiennes vers le quartier qui a vu naître Arcade Fire. «C'est une autre culture. On y trouve une foule plus jeune, plus créative, artistique. Les anglophones, à mon avis, ont contribué à queeriser le Mile End.»

«Le Village, ce n'est pas exactement le paradis des lesbiennes!», renchérit Miriam Ginestier, productrice des défuntes soirées lesbiennes Meow Mix. Productrice des ex-soirées cabarets Le Boudoir, Mme Ginestier rappelle qu'historiquement, les repères fréquentés par les lesbiennes montréalaises étaient non pas dans le voisinage du cabaret à Mado, mais bien sur le Plateau Mont-Royal.

«Aimée Darcel [propriétaire de Cagibi et de l'Arterie] a vraiment été l'une des premières à établir des lieux alternatifs, féministes, queer dans le Mile End», souligne la directrice artistique du festival Edgy Women. Elle pense qu'en tant qu'ex-quartier industriel, le Mile End était propice à accueillir de nouvelles choses, dans des lieux particuliers. «Autrefois, les loyers étaient abordables. Malheureusement, je ne suis plus certaine que ce soit encore le cas.»

Les Girls

Directrice adjointe de l'organisme Tourisme Montréal, Tanya Churchmuch guide régulièrement des délégations de journalistes de la presse LGBT, à la recherche de spots originaux susceptibles d'attirer les voyageurs «roses». Ses tournées montréalaises prévoient toujours un détour par le Mile End et la Petite-Patrie.

«Le Village reste hyper important, mais ça demeure un giron très masculin. Et c'est primordial qu'existent des lieux qui conviennent à une variété de gens. Pour qui s'identifie davantage à un style indie, le Mile End est une destination formidable. Avec l'arrivée des Royal Phoenix, Notre-Dame-des-Quilles, Alexandra Platz, Pick Up Dépanneur, on assiste à un phénomène culturel qui ressemble à Williamsburg, dans Brooklyn.»

Mélange des genres et ouverture d'esprit: tel est le credo de Val Desjardins, propriétaire du Royal Phoenix, joueuse de roller derby émérite et figure incontournable de la scène queer du Mile End.

À première vue, l'établissement du boulevard Saint-Laurent (angle Bernard) passe pour un bar de quartier comme les autres. Un mercredi, en fin d'après-midi, alors que les enfants du quartier rentrent de l'école en compagnie de leurs parents décontractés, la terrasse du Royal est bien diversifiée. Côté cour, un jeune homme tend des cigares à ses copains en leur annonçant qu'il sera papa en janvier. Côté jardin, trois femmes causent relations de couple.

«Ce qui compte au Royal, c'est le respect de toutes les orientations sexuelles. C'est aussi une réflexion sur la diversité, l'avant-gardisme et l'ouverture d'esprit du Mile End. Aussi, c'est cool pour un couple straight et conventionnel de savoir que c'est une lesbienne qui s'affiche qui est propriétaire du bar», explique Val Desjardins, rencontrée le surlendemain au Café Olympico, rue Saint-Viateur.

Val Desjardins évoque avec une certaine fierté comment elle et ses amies propriétaires de bars et de restaurants forment une cohorte solidaire et influente. Pas de ségrégation dans l'antre de Val: lesbiennes et leurs amis, tous genres et orientations sexuelles confondus, sont les bienvenus. Mais les voyeurs et inquisiteurs se feront vite montrer la porte. Une nouvelle réalité qui rend obsolète l'image casanière des lesbiennes.

«La culture de clubbing a toujours été plus forte chez les hommes gais. Peut-être qu'aujourd'hui, la situation socioéconomique des femmes s'est améliorée. Chose certaine, les lesbiennes ne sont pas toutes à la maison, en couple, en train de boire une tisane.»

Jacinthe Dupuis, qui dirigeait jusqu'à récemment le magazine Entre'Elles, destiné à la communauté lesbienne, rappelle que ces lieux de rassemblement font sortir les femmes gaies d'une certaine invisibilité. «Le roller derby a contribué à créer des liens. Certaines activistes radicales, comme Barbara Legault, ont quant à elles organisé des marches l'été dernier, pour dénoncer l'image projetée des lesbiennes. Les nouveaux lieux qui s'ouvrent contribuent à créer une communauté. Celles qui les ouvrent sont des pionnières.»