La semaine dernière, notre journaliste a séjourné à la Vieille Prison de Trois-Rivières, en compagnie de deux agentes de services correctionnels, d'une policière, et d'une trentaine d'étudiants en Technique d'intervention en milieu carcéral. Alors que la série Unité 9 ouvre aujourd'hui les portes d'un pénitencier féminin (20 h, à Radio-Canada), voici le récit d'une nuit hantée par la vie carcérale d'antan.

Il est presque 23 heures. La quinzaine de femmes qui passeront la nuit en cellules font leurs toilettes en vitesse, dans l'unique salle de bain de l'étage.

Pour dormir «en dedans», seul le strict minimum est autorisé: brosses à dent et dentifrice, sac de couchage, trousse pour verres de contact. Pour l'instant, on papote dans «l'aire de vie» équipée d'une table et d'un téléviseur. Les filles ne sont pas au courant de l'arrivée prochaine en ondes d'Unité 9. «C'est à quel poste?» demande une des étudiantes. «Quand je regarde Prison Break, c'est tellement pas crédible, il y a plein d'erreurs», exprime Annie Perreault, agente correctionnelle.

«J'ai choisi ce métier-là, parce que j'en revenais pas comment des êtres humains pouvaient être d'une telle violence envers eux-mêmes», explique Stéphanie Simard, criminologue de formation, dont le travail consiste à entendre les confidences des détenus. «Certains prisonniers sont dans leur ascension dans le monde du crime. Dans ces moments-là, ils gardent leur façade et ne nous parlent pas. Mais quand ça ne va plus, qu'ils sont rendus trop loin, là il y a possibilité d'ouverture.»

C'est comment, en dedans?

La Vieille Prison est un pèlerinage obligé des étudiants en Technique d'intervention en milieu carcéral. «Chaque année, on les amène ici, pour qu'ils comprennent le point de vue des prisonniers», explique Stéphanie. La Vieille Prison de Trois-Rivières, avec ses fantômes et ses coins glauques, rappelle les conditions misérables des prisonniers d'antan. «Ce n'est plus comme ça maintenant, dans les prisons», glissera à plusieurs reprises Annie.

Construit en 1822 et désormais classé monument historique, ce lieu vétuste n'a fermé ses portes qu'en 1986. Son plus célèbre prisonnier, Michel Chartrand, y a été détenu pendant plusieurs mois dans les années 1950. Le syndicaliste avait alors dénoncé les conditions de vie difficiles et surtout l'odeur. «À l'époque, l'endroit était surpeuplé et des chaudières servaient de toilettes», rapporte Claire Plourde, porte-parole du Musée québécois de culture populaire, qui jouxte la vieille prison. Depuis 2004, le grand public peut faire l'expérience d'une nuitée en prison.

Des acteurs jouent les gardiens bourrus et d'ex-détenus guident les visiteurs. À notre arrivée, en file indienne, on nous ordonne de laisser nos téléphones, bijoux et appareils électroniques. Murs verts, humidité, obscurité, atmosphère sinistre. Ceci n'est pas une auberge de jeunesse.

«So, moi, c'est Bill. J'ai 52 ans et en tout, j'ai passé sept ans de ma vie en dedans. J'ai une fille que j'ai pas vue depuis plusieurs années, je suis un ancien junkie, mais je suis pas un gars violent, t'sé. J'ai travaillé un peu dans le showbiz...», affirme en vrac ce Montréalais anglophone qui nous servira de guide.

Les étudiants sont pendus aux lèvres de celui qui n'avait que 18 ans quand il a été initié à la prison. Bill leur rappelle que dans leur emploi futur, ils auront le pouvoir d'aider les gens. «N'arrivez pas en prison avec l'intention d'intimider ou de faire un power trip.» Bill expose sans dentelle les jeux de pouvoir entre prisonniers, fait le récit de ses propres déboires en sevrage d'héroïne dans le «trou» (la cellule d'isolement), insiste sur l'importance d'aiguiser son sens de l'observation...

«Jusqu'aux années 1950, c'était pas chauffé ici. Dans les cellules, la nuit, il devait faire entre -5 à -10°C. T'imagines, la tuberculose? Et à la fin, c'était le sida, l'hépatite. Tu te rends compte: c'est heavy, ce que je te dis, là.»

Après les cellules et le trou, Bill nous entraîne au sous-sol, pour nous montrer le cachot. C'est noir, humide, angoissant. Il y a des coulisses brunes sur les murs en pierre et le sol est en terre. «Des hommes sont morts ici», dit Bill, qui nous rappelle que dans une vaste proportion de la planète, de telles conditions d'emprisonnement sont encore légion.

Et si c'était moi?

«La prison est une loupe de la société, qui révèle les jugements, les préjugés et l'intolérance des gens», raconte Nathalie, une ex-prisonnière qui, tout comme Bill, gagne sa vie comme guide.

Après la visite, nous nous retrouvons tous à la cafétéria. Une étudiante demande à Annie ce qu'elle trouve le plus dur dans son travail. «Me faire traiter de grosse vache, je ne trouve pas ça toujours drôle.»

La prostitution? Les agressions sexuelles? C'est aussi répandu qu'on le dit? «On ne le sait pas. On ne le voit pas», répond Stéphanie, qui soutient que par fierté, peu de détenus vont se dire victimes d'abus, même si les relations de pouvoir sont flagrantes. «Je sais qui dans ma section a la réputation de faire les meilleures pipes.»

À la Veille Prison, les hommes séjournaient à l'étage et les femmes, au rez-de-chaussée. Il arrivait que les épouses et enfants des prisonniers demandent le gîte. Ils cohabitaient alors avec les prisonnières, principalement des prostituées. Quand ils avaient 12 ans, les garçons étaient considérés comme des adultes et rejoignaient leur père.

Il faut maintenant essayer de dormir dans la nuit noire de notre petite cellule. On sera réveillé à 7h par un sifflet strident .

La lecture des faits divers ne sera plus jamais la même.