Pour les personnes transsexuelles, le changement de sexe est souvent une question de vie ou de mort. Littéralement. Aussi salvatrice soit-elle, la transition ne se vit pas sans heurts, comme le raconte le nouveau film de Xavier Dolan, Laurence Anyways. Quand l'amour survit, ça donne de belles histoires d'amour. Inspirantes et touchantes.

En juin 2010, Vicky Sawyer et sa femme, Lizzy, ont quitté les Bahamas en catastrophe. Vicky est transsexuelle. Dans l'archipel où elle vivait depuis toujours, elle n'était plus la bienvenue. On lui refusait des soins de santé. Elle était harcelée. Elle a même reçu de sérieuses menaces de mort. Lizzy aussi. C'en était trop.

La semaine dernière, le couple a célébré son 24e anniversaire de mariage dans son minuscule appartement, à Rosemont, loin du soleil et de la mer des Caraïbes. Loin de ses enfants et petits-enfants. Lizzy a 53 ans. Vicky, 54. L'amour est encore présent, toujours fort.

«Tous les matins, je plante mon regard dans ses beaux yeux bleus et je lui dis que je l'aime. Je ne peux m'imaginer respirer sans elle à mes côtés», confie Vicky, en tirant sur sa minijupe de denim. Son maquillage est discret, sa chevelure auburn ondule sur ses épaules.

Langton - aujourd'hui Vicky - était bijoutier quand il a rencontré Lizzy. Il a tout de suite craqué pour ses lèvres rouges et pulpeuses. «Il était insistant, mais il n'était pas mon genre, raconte Lizzy. Je pensais qu'il était gai. J'avais l'habitude de fréquenter des types machos. Notre relation a d'abord été amicale.» Elle est doucement tombée amoureuse. Deux ans plus tard, ils se sont mariés.

Langton n'a toutefois pas attendu avant d'annoncer à sa douce qu'il aimait porter des bas de nylon et des talons hauts. Elle a eu un choc. Voulait-elle vraiment s'engager avec cet homme? «Nous étions très proches, complices. Il était très gentil. Pas violent ni alcoolique. C'est donc une coquetterie que j'ai choisi d'accepter. Je ne savais pas dans quelle aventure je me lançais.» Langton non plus.

Lizzy a vécu chacune des étapes de la transition comme une secousse. Ç'a d'abord été le mascara et le rouge à lèvres. Puis, les ongles vernis et manucurés. «Chaque fois, je me disais que j'en avais assez. Puis je surmontais mes peurs et j'allais de l'avant», dit-elle. Quand Langton s'est vêtu en femme la première fois, elle a refusé qu'il l'embrasse. «Je me suis vue lesbienne, ça ne fonctionnait pas. Ç'a été très difficile à accepter. J'ai beaucoup cheminé depuis.» Elle raconte son histoire ouvertement pour la première fois.

À 29 ans, Langton a reçu un diagnostic de dysphorie du genre. C'était un an après avoir rencontré Lizzy. À 32 ans, Langton est devenu Vicky. «J'ai retiré mon masque pour vivre telle que j'étais.» En privé comme en public. «J'avais si peur pour elle, mais je l'ai toujours appuyée. Je l'aidais à se maquiller, à choisir ses vêtements. On a passé de drôles de séances de magasinage», dit Lizzy. Les enfants ont accepté la transition. Mais en privé, Vicky reste leur «daddy».

Des âmes soeurs

Pendant plusieurs années, Vicky n'a pensé ni aux hormones ni à l'intervention chirurgicale. Les amoureux travaillaient à la bijouterie, aux Bahamas, et ne se quittaient pas d'une semelle. La vie suivait son cours. Quand, un matin, Vicky s'est rasée de la tête aux pieds, Lizzy a réalisé que la transition ne faisait que commencer. De nouvelles tempêtes s'annonçaient. «Je savais qu'elle ne serait jamais satisfaite avant d'être allée jusqu'au bout.»

À 44 ans, Vicky a commencé à prendre des hormones, malgré les protestations de Lizzy. L'an dernier, au lendemain de son 53e anniversaire, elle a eu une vaginoplastie. «La veille, j'ai soufflé les bougies sur mon gâteau et j'ai souhaité devenir une femme. D'aussi loin que je me rappelle, je n'ai jamais eu d'autre souhait que celui-là.»

Lizzy philosophe : «Quand on partage sa vie avec quelqu'un, les joies et les souffrances de l'autre deviennent les nôtres. Je comprends ce qu'elle vit, mais j'ai encore d'étranges sentiments. Si son aspect masculin revenait, j'en serais heureuse. Ça n'arrivera pas. Alors, je préfère vivre avec elle telle qu'elle est. Si je la quitte, je quitte mon âme soeur. Que me restera-t-il?»

Les deux femmes apprivoisent une vie sexuelle différente, mais riche. «Ça ne m'enchante pas particulièrement, mais je m'habitue à son nouveau corps, indique Lizzy. Notre sexualité est plus globale, érotique. Je vois la personne que j'ai connue, pas la femme. Je suis capable de ressentir du désir pour elle.» L'attitude masculine, qu'elle considère encore comme dominante chez Vicky, l'allume toujours. Vicky fait une moue déçue.

Lizzy dit qu'elle est aujourd'hui une meilleure personne. Grâce à Vicky. «J'ai beaucoup appris. Je m'attarde moins à ce que les autres pensent. Je suis plus tolérante, compatissante.» Et assurément résiliente. La vie à Montréal n'est pas toujours facile. Vicky a perdu son premier emploi en raison de son changement de sexe. Elle travaille à temps partiel comme accompagnatrice à l'hôpital où elle a été opérée. Elle suit des cours de français. La situation du couple reste précaire.

Avant d'être bijoutier, Langton avait été capitaine d'un bateau de pêche. Il a offert à Lizzy une relation amoureuse à l'image de la mer. Souvent douce. Toujours imprévisible. Et parfois extrêmement houleuse. Malgré les tempêtes, le couple n'a jamais coulé. Aujourd'hui, Lizzy et Vicky n'ont qu'un rêve: retourner vivre leurs vieux jours paisiblement aux Bahamas. Auprès de leurs petits-enfants.