C'est une photo terrible. La photo d'un corps en ruine, détruit par une perte de poids extrême. Le corps de Maryse Deraîche, une ex-obèse de 31 ans qui a fait sensation sur le site d'Urbania en posant nue comme une Playmate revenue de l'enfer.

Sur la photo, ses seins autrefois ronds ne sont plus que deux gourdes desséchées, dévitalisées et vides. La peau de ses bras pend tristement sous un ventre distendu qui ressemble à un tablier en papier de verre. Même si la chirurgie bariatrique lui a fait perdre 205 livres, la fille a l'air triste et sa chair, encore davantage.

La photo est d'autant plus choquante qu'elle arrive après deux autres photos où, entièrement vêtue, Maryse Deraîche pose avec son joli minois aux cheveux blonds, sa taille de guêpe et ses belles courbes féminines. Pas une seconde on ne peut deviner, voire imaginer, la dévastation physique sous ses vêtements.

La photo a fait sensation et a récolté un nombre record de clics sur le site d'Urbania. Idem pour le texte très dénonciateur dans lequel Maryse se porte à la défense des obèses tout en exprimant, avec une certaine ambivalence, son sentiment de vivre un mensonge: belle de l'extérieur, détruite à l'intérieur.

En l'espace de quelques heures, Maryse est devenue la vedette virale de l'heure. Invitation chez Pénélope McQuade, à LCN, au micro de Dutrizac. Les témoignages de sympathie et d'admiration à son égard n'ont jamais cessé d'affluer sur le site d'Urbania et, depuis hier, Maryse a son propre site (www.reconstruiremaryse.com), destiné à l'aider à ramasser les 50 000 $ dont elle a besoin pour se payer une intervention reconstructrice du bas de son corps.

Avant de rencontrer Maryse Deraîche, j'étais convaincue que son coup de gueule était un canular, que sa photo était truquée et que la belle blonde n'avait jamais pesé 360 livres. Son refus obstiné de publier ses photos d'obèse ne faisait qu'accentuer la possibilité d'un coup monté. Tout comme la mémoire défaillante de sa directrice de stage à l'Université Laval, qui se souvenait certes de son nom, mais nullement de son obésité. Pourtant, dès que je me suis assise en face de Maryse dans un café du Vieux-Montréal, j'ai su immédiatement qu'il n'y avait aucun canular, aucun mensonge, aucun coup monté. Seulement une jeune femme et sa volonté de tirer un trait sur son ancienne vie d'obèse morbide, sans verser dans l'idéalisme rose-bonbon des magazines féminins. « Avec cette photo, qui a été faite sur un chantier de construction, à Montréal, par mon meilleur ami, le photographe Paul A. Larocque, je voulais d'abord m'insurger contre cette religion des photos «avant et après», où les obèses sont montrés avec leurs bourrelets comme s'ils étaient de la merde, puis après qu'ils eurent perdu du poids comme s'ils étaient des héros. Pourtant, c'est exactement la même personne. C'est juste le regard des autres qui a changé. Je voulais aussi montrer que la perte de poids par chirurgie bariatrique n'est pas un conte de fées. C'est dur, ça fait mal et il y a de très lourdes conséquences. C'est ça, la réalité.»

La réalité pour Maryse, aujourd'hui, c'est ce corps comme un champ de bataille, un corps étranger et meurtri qu'elle apprivoise lentement. Le 1er avril, cela a fait exactement deux ans qu'elle a été opérée à l'hôpital Laval de Québec et qu'elle a fait fondre un problème métabolique héréditaire. Pourtant, elle a encore le réflexe d'ouvrir grand les portes-fenêtres pour que son corps puisse en franchir le seuil sans s'accrocher dans le châssis. Quand on l'invite au restaurant, la première chose à laquelle elle pense, c'est aux chaises. Autrefois, avant d'accepter une invitation, elle appelait au restaurant pour vérifier s'il y avait des chaises sans barreaux pour s'éviter l'humiliation de devoir demander une chaise surdimensionnée. Maintenant, Maryse n'a plus à se préoccuper de ces détails, mais c'est plus fort qu'elle. Dans un coin de sa tête, elle est encore cette obèse honteuse et blessée, obligée de commander ses vêtements par catalogue aux États-Unis. Cela n'enlève rien à l'oeuvre extraordinairement utile qu'elle vient de faire par sa mise à nu dans Urbania. Au contraire. Non seulement elle nous a ouvert une fenêtre sur la douleur psychologique des obèses, mais sa mise à nu est une remise en cause de notre obsession de la minceur. Car son corps dévasté est le miroir à peine déformé de notre quête aveugle et folle d'une minceur d'apparat sans égard pour les conséquences.

Lorsque Maryse était obèse, elle avait une vie sexuelle et des amants qui savaient exactement à quoi s'attendre en sautant au lit avec elle. Depuis son intervention, Maryse est abstinente, un peu par gêne, mais aussi parce que dans la chambre de décompression de sa tête, il fallait qu'elle se réapproprie son corps; qu'elle se reconstruise, en somme.

Psychologiquement, la reconstruction est presque terminée. Il ne reste plus que la reconstruction physique par une intervention qui, d'après ses recherches, est aussi onéreuse qu'elle est miraculeuse. Elle n'avait pas prévu faire une collecte de fonds, mais quand des internautes touchés par son histoire ont voulu l'aider financièrement, elle a décidé de profiter de leur élan. Ainsi est né le site Reconstruire Maryse et son objectif de 50 000 $. Si jamais la somme récoltée dépasse le coût final de l'opération, qui sera bientôt dévoilé, Maryse s'engage à verser l'argent supplémentaire à la chaire de recherche sur l'obésité de l'hôpital Laval. En attendant, Maryse prépare son déménagement à Montréal en juin. Elle rêve de devenir journaliste. Elle rêve aussi de pouvoir un jour porter un maillot de bain sans être ridiculisée ou montrée du doigt. Puisse-t-elle être exaucée.