Le 26 avril, la motion 312 déposée par le député conservateur Stephen Woodworth sera discutée aux Communes. Sa question centrale: «Quand le foetus devient-il un être humain?» Pendant ce temps, au sud de nos frontières, la contraception et le droit à l'avortement se sont invités dans la campagne présidentielle. Bref, on remet sur la sellette des questions que certains croyaient classées. Près de 40 ans après l'arrêt Roe v. Wade et 23 ans après l'affaire Chantal Daigle, le libre choix des femmes est-il menacé?

Dans un texte intitulé My Pregnancy Rebellion, publié dans le webzine américain Salon la semaine dernière, la journaliste Marie C. Caba témoigne de «l'hystérie et de la paranoïa» qui pèsent sur les femmes enceintes aux États-Unis. Cette journaliste de San Francisco - qui a aussi une formation en bioéthique - est très consciente du discours extrême qu'ont tenu certains candidats républicains sur la contraception et l'avortement. Si elle se pensait jadis à l'abri des apôtres de la moralité conservatrice, en Californie, sa première grossesse lui a fait prendre conscience du statut de quasi «propriété publique» de son ventre de future maman.

«Dans certains États, on force les femmes à regarder l'échographie de leur futur enfant avant de considérer un avortement. Depuis que je suis enceinte, je me questionne beaucoup sur mon rôle de femme, d'auteure et de journaliste et je me sens très reconnaissance d'être dans une position où mon mari et moi sommes heureux d'attendre un enfant. J'imagine le désarroi de celles qui ne jouissent pas d'un tel soutien», exprime Marie C. Caba en entretien téléphonique.

Photo PC

Stephen Woodworth

Au Québec, où l'avortement est un acte légal, certains groupes pro-choix s'inquiètent d'une réouverture du débat sur l'interruption d'une grossesse non planifiée ou désirée.

Sophie de Cordes, porte-parole de la Fédération du Québec pour le planning des naissances, voit dans la motion 312 une menace non seulement pour le droit à l'avortement, mais aussi pour l'accès à certaines formes de contraception.

«Si l'on considère le foetus comme un être humain dès sa conception, cela veut dire que certaines méthodes comme le Plan B, la pilule du lendemain et même le stérilet pourraient être remises en question», énonce Sophie de Cordes, qui estime que le fait de donner au foetus un statut juridique indépendant de la mère qui le porte pourrait à terme contraindre les comportements des femmes enceintes. «Rendus là, on pourra commencer à dire aux messieurs de ne pas boire d'alcool, puisque ce n'est pas bon pour leur sperme.»

Préoccupations éthiques

Stephen Woodworth, très actif dans le mouvement chrétien contre l'avortement, souhaite que la définition de l'être humain dans la loi canadienne soit modifiée (actuellement, l'être humain est une personne née vivante). Le député de Kitchener Centre invoque les avancées technologiques - les images disponibles grâce aux échographies, les informations que nous avons sur le développement du foetus pendant la grossesse et le fait qu'il soit possible de pratiquer une intervention chirurgicale pendant la grossesse - pour revoir la loi.



Margaret Somerville, éthicienne médicale à l'Université McGill, est quant à elle convaincue de la pertinence de la motion 312 et surtout de la nécessité de rouvrir le débat sur l'avortement. Elle remet en question un contexte centré sur les désirs de la femme. «Les pro-choix défendent l'argument que le foetus n'existe pas jusqu'à sa naissance, aux yeux de la loi. Mais l'enfant qui n'est pas né, je crois, a besoin d'une certaine forme de protection», croit celle qui s'est entre autres prononcée contre les dérives de l'avortement sélectif selon le sexe et la présence d'une maladie (comme le syndrome de Down).

«Nous avons tous été des embryons, il ne faut pas l'oublier», réfléchit Margaret Somerville, qui regrette que le Canada soit le seul endroit au monde où il n'y a pas de limite au nombre de semaines de grossesse pour pratiquer un avortement. Elle fait également valoir que l'avortement est «un enjeu éthique et jamais un événement banal».

Du côté du Centre de santé des femmes de Montréal, on nous dit que la loi appliquée ici explique pourquoi plusieurs femmes provenant de pays où l'avortement est interdit ou restreint viennent au Canada pour subir une interruption volontaire de grossesse de façon sécuritaire. «Les avortements tardifs (au troisième trimestre) sont très rares; on parle de moins de 10 cas par année», souligne Anne-Marie Messier, du Centre de santé des femmes de Montréal.

Selon Mme Messier, s'il faut rouvrir la discussion sur l'avortement, le mieux serait de réintégrer les cours d'éducation sexuelle à l'école, ce qui, selon elle, freinera la prolifération d'informations fausses.

«On l'a vu avec le cas des Centre d'aide à la grossesse. Sous le couvert de la neutralité, ces organismes créés par des églises évangélistes donnaient des informations totalement erronées. Par exemple, on disait à des jeunes femmes que l'avortement cause le cancer du sein ou des syndromes de stress post-traumatique», relate Anne-Marie Messier.

Aux États-Unis, depuis le début de la campagne présidentielle, les Américains ont quant à eux eu droit à toutes sortes de commentaires aussi incroyables qu'anachroniques sur la contraception. Le conservateur Rick Santorum, dans ce que plusieurs décrivent comme une «guerre contre les femmes», s'en est pris aux «dangers de la contraception» et aux «effets pervers des tests prénataux qui mènent à des avortements».

Sophie de Cordes souligne que, même si le mouvement «anti-choix» est moins puissant au Canada qu'aux États-Unis, les pro-choix d'ici suivent ces questions de près. «Remettre en question le droit à la contraception, n'est-ce pas un recul pour les femmes?»

Photo AFP