Trois nouvelles tables à langer viennent d'être ajoutées au Parlement d'Ottawa, dont une tout près de la Chambre des communes. L'édifice du Centre compte désormais 11 tables à langer, et bientôt 12. Cet accommodement réjouit la députée du NPD Sana Hassainia, qui y voit une ouverture rafraîchissante dans un milieu «masculin et vieil homme» où la conciliation travail-famille n'a pas sa place. Du moins, pas encore.

Sana Hassainia, 37 ans, a fait les manchettes en février lorsqu'on a fait expulser de la Chambre des communes son poupon de trois mois, nommé Skander-Jack en l'honneur de Jack Layton. L'incident a fait scandale et a généré un débat sur la famille parmi les politiciens, et dans la population. «Ce n'était pas du tout programmé, attendu. J'ai trouvé difficile d'avoir à faire sortir mon bébé d'une façon aussi cavalière, mais l'incident a permis de remettre les pendules à l'heure», dit-elle.

À peine deux mois après son accouchement, la députée de Verchères-Les Patriotes a repris le collier. Par besoin et par devoir. «J'adore mon travail et les électeurs s'attendent à ce qu'on travaille pour eux. Je ne voulais pas les décevoir.» Son mari, en congé, s'occupe du bébé à la maison, située à quelques kilomètres du parlement. La députée fait l'aller-retour plusieurs fois par jour pour allaiter. Son mari et son bébé l'accompagnent parfois à la colline. C'était le cas le 7 février dernier, la journée où son poupon s'est retrouvé persona non grata.

Rappel des faits. Alors qu'elle finissait d'allaiter son bébé, Sana Hassainia a été avisée qu'un vote allait se tenir en lien avec l'abolition du registre des armes d'épaule. Elle a cherché son mari, en vain. Elle s'est donc rendue en Chambre, où un greffier l'a immédiatement avertie: le bébé devait quitter les lieux. Un page l'a alors confié à un membre du personnel. Il s'agissait, semble-t-il, d'un malentendu. Après coup, le président de la Chambre des communes a rappelé que les enfants sont tolérés sous certaines conditions exceptionnelles. Trois nouvelles tables à langer viennent d'être ajoutées au Parlement, dont une tout près de la Chambre des communes. L'édifice du Centre compte désormais 11 tables à langer, et bientôt 12.

«La politique fédérale présente un nouveau visage avec la présence de plusieurs jeunes femmes. Nous sommes une vingtaine de députées en âge de fonder une famille. Il faut s'adapter à cette nouvelle réalité», dit Sana Hassainia.

À Ottawa, les députées n'ont droit à aucun congé de maternité. «On veut que les femmes allaitent, qu'elles continuent de travailler, qu'elles fassent les deux à la fois. Mais on ne fait rien pour les aider», déplore la nouvelle maman. Elle ne revendique pas de congé - «je ne le prendrais pas» - ni le droit de traîner son bébé au travail à tout prix, mais elle prône davantage de souplesse à l'égard des jeunes parents. En politique comme ailleurs. «Si l'occasion se présente et que je n'ai pas le choix, j'aimerais pouvoir me présenter en Chambre avec mon bébé sans me faire montrer du doigt», dit-elle.

Pour le droit de travailler

La mésaventure de Sana Hassainia en a interpellé plusieurs. Elle a reçu des mots d'encouragement, mais aussi beaucoup de reproches. «Il y a encore des gens qui pensent que si tu viens d'accoucher, tu ne dois pas travailler et rester chez toi pour t'occuper de tes enfants. C'est rétrograde, je suis choquée», dit-elle.

Plusieurs nouvelles mamans souhaiteraient retourner au travail sans tarder si elles pouvaient continuer de jouir de leur bébé, a-t-elle remarqué. «C'est tellement malheureux d'avoir à faire le sacrifice de l'un ou de l'autre! Peut-on faire les deux? Assurément. Plusieurs mesures pourraient être mises de l'avant pour que des milliers de parents puissent être présents auprès de leur enfant sans que ça nuise aux employeurs.»

Pour favoriser une meilleure conciliation travail-famille chez les parents de poupons, la députée québécoise songe à déposer un projet de loi. «J'aimerais offrir la possibilité aux nouveaux parents, le père ou la mère, de vivre pleinement travail et famille et, dans un second temps, donner les moyens aux entreprises de mieux répondre aux besoins», dit-elle.

Sana Hassainia est consciente de profiter «de conditions optimales»: son mari est présent et son horaire, somme toute flexible. «Plusieurs n'ont pas cette chance.» Mener de front carrière et vie de nouvelle maman n'est toutefois pas de tout repos, admet-elle. «C'est un déchirement de quitter mon bébé tous les matins, je ne m'y fais toujours pas. Quand on doit rester quatre heures d'affilée en Chambre, c'est très pénible. Cependant, mon travail est tellement plein de défis, j'aime ça, alors ça me donne un petit remontant.»

Ne craint-elle pas que son message soit interprété comme une menace de recul, une pression pour un retour hâtif au travail? Pour plusieurs femmes, le congé de maternité est sacré. «C'est sûr que c'est équivoque, mais en bout de ligne, ça reste un choix personnel. Je veux qu'on puisse avoir la possibilité de choisir», souligne-t-elle.

Sans tambour ni trompette, Sana Hassainia souhaite contribuer à faire avancer la cause des femmes. Petit à petit. Elle a d'ailleurs siégé au Comité permanent de la condition féminine. «Les conditions des femmes au pays sont bonnes, mais mes parents m'ont toujours dit de me comparer aux meilleurs. Il y a donc beaucoup à faire pour améliorer la condition féminine. Il y a encore des femmes violentées pour qui les ressources manquent. À fonction égale, les femmes gagnent toujours moins que les hommes et, même en 2012, elles sont régulièrement défavorisées lors de l'embauche. Le congé de maternité et les obligations familiales effraient plus d'un employeur. C'est malheureux d'être handicapées de la sorte alors que nous sommes aussi performantes que les hommes. Sinon plus.»