Ruptures, amertume, vengeance... la pop a le coeur lourd par les temps qui courent. Et si les paroles des chansons qui trônent au sommet des palmarès étaient le reflet des angoisses de toute une génération? Coup de sonde.

Coeur de Pirate, dans son récent clip Adieu, déverse toute son amertume à l'endroit de celui qui l'a plaquée. «Tu fais l'amour en deux poussées», entonne de son timbre cristallin la jeune star québécoise, qui à l'écran, affiche une attitude très cool, assistant avec un sourire de malice à l'explosion des têtes des rivales féminines qui rôdent autour de son ex. Vamp tatouée, Coeur de Pirate se réapproprie son pouvoir féminin, dans un refrain où elle clame «va voir les autres, je n'en pense rien, je t'ai aimé et je t'assure que c'est la fin.»

Elle n'est guère la seule de sa cohorte, la jeune Béatrice Martin, à faire de la rancoeur le moteur de sa création musicale. Depuis six mois, il est impossible de passer une journée complète sans entendre les complaintes de la Britannique Adele qui, dans Rolling in the Deep, par exemple, utile ses précieuses cordes vocales pour régler ses comptes avec celui qui l'a trahie. «We could have had it all» (nous aurions pu tout avoir), s'époumone la pauvre Adele qui, s'il faut croire les paroles de ses chansons (comme la vengeresse Someone Like You), connaît une trajectoire amoureuse semée de trahisons, de ruptures et de déceptions. Une suite de catastrophes du coeur qui, au moins, a le mérite d'enrichir le compte bancaire de la jeune britannique de 23 ans.

Mais où est donc passée la désinvolture des Cindy Lauper de jadis qui «voulaient juste avoir du fun» ? Le pouvoir sexuel réapproprié de Madonna? La solidarité féminine des Spice Girls? La candeur trash de Britney? Le romantisme et les «I Will Love You» de Whitney?

«Les chanteuses sont un peu les porte-parole de l'imaginaire d'une génération», avance Diane Pacom, sociologue à l'Université d'Ottawa, qui soutient que si les Avril Lavigne, Adele, Coeur de Pirate, Beyoncé, Katy Perry et consoeurs dominent les palmarès, c'est parce qu'elles catalysent les paradoxes et névroses d'une période post-féministe.

Les mères des jeunes stars qui ont triomphé aux American Music Awards de dimanche dernier, rappelle Diane Pacom, chantaient leur désir de déployer leurs ailes pour se libérer de l'emprise des hommes. Leurs héritières, observe la sociologue, font de «l'hypersexualisation poétique» et nourrissent une amertume digne des divas vieillissantes et divorcées cinq fois.

«C'est le reflet d'une confusion totale sur le plan affectif. Les jeunes femmes, face à leur patron ou à quelque rapport d'autorité, n'éprouvent aucune crainte. Mais au niveau du couple, cela devient problématique. Leurs exigences sont immenses: il faut que le type performe, soit un meilleur ami et un bon amant, impeccable avec les enfants...» Et pendant ce temps, Beyoncé chante «My persuasion can build a nation, Endless power, the love we can devour, You'll do anything for me» (ma détermination peut construite une nation, pouvoir infini, l'amour que nous pouvons dévorer, Tu feras tout pour moi.»)

Et si l'ex-Destiny's Child (douce moitié de Jay Z) entend régner sur l'univers avec ses frangines, la sautillante Taylor Swift prie l'élu de son coeur de larguer sa petite amie pour elle avec des mots comme «She doesn't get your humour like I do» (elle ne comprend pas ton humour comme moi).

Elles passent facilement de solidarité à rivalité, les filles spirituelles de Madonna, qui sont aussi une génération de parents divorcés qui entretiennent un grand cynisme à l'endroit des relations affectives.

«Jadis, les femmes toléraient que leurs maris aient des maîtresses, cela faisait partie du jeu. Mais chez les jeunes filles, qu'une autre prenne ton chum, c'est de l'ordre de la trahison totale. Il n'y a jamais eu autant de chicanes et de violence entre filles que dans les écoles. Elles sont très guerrières, très amazones...» note Diane Pacom, qui rappelle que les jeunes pop stars d'aujourd'hui, qui chantent des choses comme «Tu veux jouer, Mais tu le regretteras, Personne ne gagne contre moi, Gardes tes larmes, je n'en veux pas» (Marie Mai, Garde tes larmes).

Adele broie du noir, Coeur de Pirate se venge, Beyoncé s'exhibe au nom des «Single Ladies», les héroïnes de Glee se crêpent le chignon et, bien sûr, plane toujours le spectre d'Amy Winehouse qui décrivait de sa voix unique son enfer affectif.

Et Lady Gaga? «Elle reste marginale, un peu bibitte», évalue Diane Pacom.

Personne n'aime se faire larguer. Mais les jeunes pop stars ont compris que tant qu'à passer par les ténèbres, autant en faire des tubes...