Noctambules, amies des stars, bavardes, excentriques ou carrément opportunistes, les pique-assiette professionnelles sont aussi indissociables du paysage mondain que les cocktails de crevettes d'un buffet froid. À la fin de l'été - haute saison des lancements -, notre journaliste Sylvie St-Jacques s'est improvisée pique-assiette, s'infiltrant dans une dizaine d'événements où elle n'était pas invitée. Par ici le Champagne, le vin, les petites bouchées et les sacs-cadeaux.

Un mercredi soir de septembre, les trois quarts du bottin de l'Union des artistes assistent aux 10 ans d'ARTV. Si une bombe explosait sur la scène du théâtre Maisonneuve, où se déploie le party, il faudrait annuler la saison de théâtre et ne diffuser que des reprises à la télé, pendant les cinq prochaines années. Catherine Pogonat discute avec Anne-Marie Cadieux. Catherine Trudeau, Pierre Lapointe, Louise Portal, Marie-France Bazzo, Pierre Curzi et une Moquette Coquette se racontent les temps forts de leur été, pendant qu'Angelo Cadet joue les DJ.

Le plan A était de n'y rester qu'une petite demi-heure, le temps de prendre quelques notes, avaler un Pellegrino et de s'éclipser, tout ça incognito. Mais avec déjà quelques sorties dans le corps depuis les derniers jours, je commence à prendre goût à la vie d'écumeuse mondaine.

Si bien que pour des raisons qui à jamais resteront nébuleuses, je me retrouve avec un verre de rouge dans la main droite, une coupe de Champagne dans la gauche, situation gênante qui me contraint à refuser le petit rouleau au saumon offert par la serveuse. Quelques minutes plus tard, j'abandonne mes verres d'alcool (gratuits), mon sac et mon casque de vélo, pour danser avec Florence K sur une toune jouée live par Radio Radio.

«Souriez!» ordonne Herby Moreau, avant de braquer son objectif sur mon visage un peu éméché et celui de l'illustre inconnu avec qui je tiens une passionnante conversation depuis 15 minutes.

Le flash éblouissant d'Herby s'impose comme un signe du destin: il faut partir, avant de se métamorphoser en «vraie» pique-assiette professionnelle...

Quelques jours plus tard, au bout du fil, le relationniste Jean-Sébastien Rousseau lâche un «Ah! mon Dieu» qui en dit long sur son rapport trouble avec tous les «faux journalistes» de la ville, quand il prend connaissance de ce projet de reportage sur les pique-assiette montréalais.

«En général, ce sont les gens qui demandent le plus de gestion pour aucun, ou très peu, de résultat», dit Rousseau, qui organise souvent des lancements dans le domaine culturel.

«Je ne me sentirais pas à l'aise de les nommer. Ce ne sont pas des gens méchants, ce sont souvent des personnalités farfelues. Certains inventent toutes sortes de tribunes, prétendent qu'ils vont faire des entrevues, tout ça pour obtenir des billets de théâtre gratuits. Mais en fin de compte, ils occasionnent des revenus perdus», déplore Jean-Sébastien Rousseau, qui avoue parfois «acheter la paix» plutôt que de bloquer la voie à des gens qui ne sont là que pour profiter d'un spectacle gratuit (et se servir au bar du cocktail de première).

Vadrouiller pour pas cher

Cette incursion intrusive dans le circuit automnal mondain a débuté à la fin du mois d'août, lors du lancement de l'album de Gregory Charles, au Club Soda. Aux détentrices des listes d'invités qui filtraient l'entrée du public, un candide «je suis journaliste à La Presse», aura suffi comme carton d'invitation.

Le temps d'enfiler un verre de rouge (gratuit) et de goûter aux acras de morues et ailes de poulet (préparés par les parents de Gregory, a précisé le chanteur), d'écouter quelques chansons et de repérer deux ou trois personnalités (Elizabeth Blouin Brathwaite, Geneviève Borne...), j'ai pu constater que de s'immiscer dans un lancement était un jeu d'enfant.

Le lendemain midi, rebelote au lancement de la programmation de Télé-Québec. «Porc ou boeuf?» offre le souriant préposé chargé de servir les portions chaudes du généreux buffet. Je n'ai eu aucune difficulté à me glisser dans cette grande fête de la télé: il n'y avait personne pour bloquer l'entrée aux intrus.

Après quelques incursions réussies dans de gros événements, un nouveau défi s'impose: celui de débarquer comme un cheveu sur la soupe dans des événements plus confidentiels.

Au lancement de la maison d'édition Leméac, dans un restaurant du Vieux-Montréal, je feins mon appartenance au cercle littéraire montréalais, en prenant place près du bar, un verre de blanc à la main et balayant la salle des yeux. Autour, il y a Biz de Loco Locass en conversation avec Georges-Hébert Germain, Marie-France Bazzo et Michel Tremblay qui sollicite des échos du dernier roman de Jacques Poulin.

Contraste: personne, ici, ne tweete frénétiquement.

La terrasse est bondée et accueille de (nombreux) fumeurs invités. Des bouchées sont servies.

Le lendemain, pour un petit apéro de début de soirée, je fais un saut à la galerie Dominique Bouffard (dans le quartier Centre-Sud), pour le vernissage d'une expo de photos d'Angelo Barsetti. L'endroit est exigu et l'ambiance est amicale, voire familiale. Je me contente d'un verre de vin et deux ou trois cubes de fromage...

Chez les beautiful people

Avec l'explosion des blogues et du nombre d'utilisateurs frénétiques de réseaux sociaux, il est plus facile que jamais de s'autoproclamer blogueur mode, blogueur bouffe, blogueur culturel. Un laissez-passer pour toutes les mondanités?

Josiane Bétit, relationniste pour plusieurs événements dans le domaine de la mode, soutient que l'apparition de toutes ces nouvelles tribunes n'est pas un problème. Et ce, malgré l'apparition de nombreux blogueurs qui s'improvisent spécialistes de mode. «Nous sommes très sollicités, mais en revanche, on essaie aussi de démocratiser la mode. Si on n'accepte pas que quelqu'un assiste à un événement, on va lui envoyer un mot pour lui expliquer les raisons.»

Pour tester l'étanchéité des frontières du pays des bien fringués, la petite robe noire chic sort du placard pour assister à l'un des plus chic et sélects événements de la Semaine de mode: le party de lancement du magazine Dress to Kill, à l'hôtel W.

Dans la file d'attente devant le chic hôtel du centre-ville, tous les fashionistas ne sont pas égaux. De spectaculaires cartes de mode reçoivent les égards du portier qui leur libère le passage vers le party, pendant que les «nobodys» patientent humblement.

«Il n'y a plus de place dans le party. Mais vous pouvez quand même aller prendre un verre au bar, à votre gauche», nous informe le portier.

Voyons donc. Voir si j'ai enduré pendant 35 minutes les babillages en franglais des deux filles qui me précédaient dans la file, pour me retrouver dans un plan B avec les laisser-pour-compte habillés par Le Château. Direction le party. Le vrai.

Réflexe de pique-assiette désormais aguerrie: je cherche les «vedettes» parmi la nuée de sosies de Lady Gaga, de mannequins et de leurs copains androgynes. Je crois apercevoir Martin Picard et repère facilement Denis Gagnon.

Le choc, après deux semaines à trinquer «sur le bras»: le prix des drinks du partyDress to Kill est bien au-dessus de mon budget d'écumeuse. Après un verre d'eau, une tournée des lieux et une tentative un peu ratée d'investir la piste de danse, c'en est assez. Surprise: à la sortie, un sac-cadeau contenant une miniboîte de chocolat, des échantillons de shampoing et des coupons-rabais dans divers commerces est remis à chaque invité.

Dans le taxi, sur le chemin du retour, je décide que le temps est venu de prendre ma retraite de pique-assiette. Quelques jours plus tard, en pleine séance de magasinage au centre-ville, je suis tentée par une affiche invitant les clients à une «soirée de shopping».

«Y'aura-t-il des bouchées et du vin?» Puis, à bien y penser, ça suffit. À la prochaine, mes amis les stars locales. J'accroche ma petite robe noire de pique-assiette.

Pique-assiette

Définition

Pique-assiette (selon le Petit Robert): personne qui se fait partout inviter à dîner. «D'invité perpétuel, Pons passa à l'état de pique-assiette» (Balzac). Synonymes: écornifleur, parasite.

Le projet

Septembre étant la «haute saison» des lancements, nous nous sommes donné le défi d'infiltrer le circuit des partys montréalais dans les milieux de l'art visuel, la télé, la musique, la mode...

Objectif

Repérer les lieux et événements où l'on peut manger (et boire) gratuitement, espionner gentiment les vedettes locales, voir qui tweete compulsivement, démontrer qu'avec un peu de créativité, on peut tous les soirs remplir son agenda mondain...

Conclusion

Une carrière de pique-assiette, aussi alléchante soit-elle, demande de l'endurance, une certaine dose de front et la capacité à dire «non» au troisième service de vin gratuit.