Ça ne rate jamais. Le mois de septembre arrive et la tension monte. Que ce soit pour la liste des effets scolaires à dénicher, de nouveaux souliers à acheter ou des inscriptions au centre sportif de toute la famille à renouveler, c'est la folie. La liste des choses à faire ne cesse de s'allonger. De quoi perdre, bien malheureusement, toute la «zénitude» accumulée pendant les vacances. Mais pourquoi diable est-ce ainsi? Est-ce une fatalité? Vivre est allé interroger des penseurs pour trouver quelques pistes de réponses. Verdict? Ils ont chacun leur façon de voir les choses. Et ils sont aussi débordés que nous!

La perspective psychanalytique

Marie-Claire Lanctôt Bélanger, psychanalyste

«Les choses se bousculent parce que j'ai beaucoup à faire. Je m'en demande beaucoup.»

- Pourquoi le temps passe-t-il si vite?

«C'est une grande question. Personnellement, plus je vieillis, plus je trouve que le temps rapetisse. Que j'en ai de moins en moins! C'est sûrement proportionnel aux tâches qu'on se donne. Si je n'avais rien à faire, le temps serait très long. Si on a à attendre, c'est très long. De mon côté, les choses se bousculent parce que j'ai beaucoup à faire. Je m'en demande beaucoup. J'ai beaucoup d'exigences envers moi-même.»

- Comment moins courir?

«Je ne sais pas! Les gens vous diront d'être plus zen, de faire des listes. C'est une question très intéressante. Moi, mes patients, parfois, je trouve au contraire qu'ils ne sont pas conscients du temps qui passe. Des fois, on laisse passer le temps. On laisse passer les occasions d'emploi. La perspective de faire un effort demande de travailler, et parfois on laisse tomber. Or, le temps, lui, ne revient pas. Finalement, moi, je suis une angoissée du temps. Oui, ça me fait mal parfois, c'est douloureux, ça me prend au sternum.»

- Idée pour moins souffrir du manque de temps?

«L'idée, c'est de se dire que c'est certain qu'on va passer au travers. On va y arriver. On va réussir. Moi, ça me rassure de me dire ça. C'est de la pensée positive. Sinon, le stress peut nous paralyser. Il faut aussi abandonner le plus-que-parfait. Il y a quelque chose dans l'imparfait qui peut nous rassurer. Attention, abandonner le plus-que-parfait, ça ne veut pas dire de se satisfaire de la médiocrité. Du bof. C'est plutôt échapper à la contrainte trop tyrannique du plus-que-parfait. L'idée, c'est de se rassurer: les choses vont se faire, même si c'est légèrement imparfait. Même si ça n'est pas aussi parfait que ce que j'aimerais...»

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La perspective psychiatrique

Sonia Lupien, directrice scientifique du Centre d'études sur le stress humain, hôpital Louis-H. Lafontaine

«Il faut comprendre que le temps est inexorable.»

- Pourquoi le temps passe-t-il si vite?

«En fait, ça n'est pas vraiment mon domaine. Je n'arrête pas de dire que le stress, ça n'est PAS la pression du temps. Mais s'il y a un point que j'aimerais faire, c'est bien celui de l'inexorabilité du temps. Pourquoi a-t-on l'impression que le temps passe si vite? Parce qu'on a plus de choses à faire en 24 heures. Avec la technologie, l'internet, les gens ne supportent plus les délais. On veut des réponses sur-le-champ, tout le temps. Autrefois, quand on envoyait des lettres par la poste, on était au contraire conditionnés à ne pas avoir de réponse instantanée. Nous sommes donc les premiers responsables, parce que nous voulons toujours aller plus vite!»

- Et pourquoi veut-on aller si vite?

«Je dirais qu'on est pris en otage, aujourd'hui, huit heures par jour. Nos milieux de travail ne sont pas adaptés aux nouvelles réalités technologiques. On ne peut pas aller chez le dentiste à 11h. Les employeurs veulent du présentéisme. On est pris en otage huit heures par jour et on ne peut pas faire autre chose. Sans parler du transport pour se rendre au travail, on finit par être pris 10 heures par jour en otage. Du coup, après, on veut faire autre chose, sinon on vire fou! Et on remplit nos soirées et nos week-ends d'activités.»

- Et pourquoi le stress en septembre?

«Je ne sais pas si c'est partout pareil, mais au Québec, les mois de juillet et août sont synonymes de vacances. Moi, j'adore le mois de juillet. Savez-vous pourquoi? Parce que je n'ai plus de courriels. Je suis d'une efficacité diabolique (rires). Autant on ne supporte pas les délais dans l'année, autant on les accepte l'été. On s'attend à des délais. Mais, en septembre, on ne les supportera plus. Et, au même moment, l'école reprend, tout le monde se bouscule dans les magasins pour acheter les fournitures scolaires, le plus tard possible pour profiter le plus longtemps possible de l'été. Pourquoi? Parce qu'on n'a pas compris que le temps est inexorable.»

- Des trucs pour moins souffrir?

«Il faut comprendre que le temps est inexorable. Faire du time management. S'organiser. Le temps ne s'allongera pas. Comprendre ce qui nous fait mal: moi, c'est aller chez Bureau en gros, fin août, me battre pour des crayons. Moi, fin août, je suis à la plage. Je m'arrange pour faire ça à un autre moment, et puis on n'en parle plus. Je suis la fille la plus relaxe.»

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La perspective philisophique

Jean Laberge philosophe, auteur du livre En quête de sens et d'un blogue du même nom

«La perception que nous avons du temps provient de la civilisation dans laquelle nous baignons selon laquelle tout doit être utile et mesurable.»

- Pourquoi le temps passe-t-il si vite?

«Pour le philosophe, la question est plutôt de savoir ce qu'est le temps, s'il existe objectivement, au-delà de notre conscience. Là-dessus, l'ABC de la réflexion commence par Saint Augustin, qui pose ainsi le problème: «Si personne ne me le demande, je le sais; si on me demande de l'expliquer, je ne le sais plus!» Voici maintenant pourquoi le temps est si énigmatique. On s'entend pour dire que le passé n'est plus; que le futur n'est pas encore. Donc, qu'en est-il du temps présent? Est-il ou non? Or, le présent, s'il était toujours présent - l'éternité, en somme -, le passé n'existerait pas. Donc, pour être du temps, il faut que le présent passe; par conséquent, le présent n'est que du temps passé; mais le passé n'est plus puisqu'il est passé. Conclusion: si le temps existe, il faut qu'il n'existe pas... Ouf! Bon, voilà pour les débuts ardus de la réflexion philosophique sur le temps. Le temps n'existerait donc que dans notre conscience, pas dans la réalité. Or, pour nous, modernes, le temps «file à toute allure». Pourquoi? Parce que le temps, c'est de l'argent... Donc, la perception que nous avons du temps provient tout simplement de la civilisation dans laquelle nous baignons, selon laquelle tout doit être utile et mesurable.»

- À la rentrée en septembre, pourquoi sommes-nous si pressés par le temps?

«Parce que l'important, c'est le travail. Nous, modernes, nous ne sommes rien sans le travail, car le travail est foncièrement utile. Ainsi va la modernité. Les vacances nous rappellent que le temps est une invention humaine. En vacances, nous baignons pour un moment dans un monde fait d'activités en apparence «inutiles»; par exemple, contempler la beauté d'un paysage, admirer une oeuvre d'art, savourer une rencontre, lire un roman, connaître une autre culture, etc. Pour celui ou celle qui, en vacances, découvre par exemple les cantates de Bach, le temps n'existe plus.»

- Un truc, pour moins courir?

«On m'accusera sans aucun doute de prêcher pour ma paroisse, mais le meilleur moyen de s'évader de l'emprise du temps, c'est de cultiver les arts et la philosophie!

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La perspective anthropologique

Pierre Trudel, professeur d'anthropologie au Cégep du Vieux Montréal

«Nous avons une culture hédoniste. Le temps, c'est important. Beaucoup plus important que dans une société moins hédoniste.»

- Pourquoi le temps passe-t-il si vite?

«Je vais vous répondre à titre d'anthropologue et d'être humain qui voit le temps passer. Je crois que cela relève d'abord de questions neurologiques, en ce qui a trait à notre perception du temps qui passe. La perception du temps change avec l'âge, la quantité de souvenirs qu'il y a dans notre cerveau. C'est pour ça que les enfants ont l'impression que le temps est si long! Et puis, il y a une question d'espérance de vie: si dans une société, on vit plus ou moins vieux, on a une notion du temps différente. Ensuite, il y a la question culturelle, qui joue aussi dans la façon dont le temps peut être perçu. J'ai beaucoup étudié les cultures autochtones, et ils ont une notion du temps tout à fait différente de la nôtre. Bien sûr, aujourd'hui, avec la vitesse, la notion du temps change aussi énormément. Je crois que cela est lié à notre économie.»

- Mais pourquoi particulièrement à la fin de l'été, avant la rentrée?

«Évidemment, plus on a de choses à faire, moins on voit le temps passer. Je m'interroge aussi sur la popularité des voyages. Mon voisin revient de Turquie, et il m'a dit qu'au bout d'une semaine, il avait l'impression d'être parti un mois. Les voyages aussi modifient notre perception du temps. Je m'interroge à savoir si la popularité des voyages ne serait pas aussi liée à tout ça. Vous savez, nous avons une culture hédoniste. Le temps, c'est important. Beaucoup plus important que dans une société moins hédoniste.»

- Et comment faire, alors, pour moins courir?

«Oh! (rires!) Il faut faire des choix stratégiques. C'est très difficile, mais il faut faire des choix pour être moins influencés par le contexte. Parce que tout le monde se plaint du manque de temps. Mes étudiants se plaignent, moi-même je me plains! C'est un trait de notre civilisation, de notre société. Alors il faut faire des choix stratégiques et couper. Comme là, vous voyez, je manque de temps pour vous parler... (rires!)»