«Désolée, je ne peux pas vous serrer la pince... j'ai les mains pleines de terre!» Ça saute aux yeux dès qu'on foule son terrain: Audrey Silk ne s'enfarge pas dans les fleurs du tapis.

Ancienne policière à New York, la mince brune à la chevelure abondante coule sa retraite tranquille dans le jardin de sa résidence de Brooklyn. Un beau magnolia, quelques géraniums, son chien Bingo, son perroquet Albert... et bientôt, une centaine de plants de tabac!



D'abord, contre les taxes...


Fumeuse acharnée, Audrey Silk cultive chez elle tout ce qu'il lui faut pour s'adonner à son vice depuis 2009. Cette année-là, le gouvernement américain a décuplé les taxes sur les produits de nicotine. «La livre de tabac est passée de 1,09 $ à 24,79 $ du jour au lendemain... C'est de la persécution!», lance Audrey, dégainant son briquet pour s'allumer une cigarette.

Depuis, chaque mois de mars, Audrey se livre à son petit rituel: son sachet de «Golden Seal» déniché sur l'internet pour 2,50 $, elle plante les graines dans des bacs de terre qu'elle garde amoureusement dans sa chambre à coucher. En mai, elle sort ses plants dans son jardin où ils continuent à croître jusqu'à hauteur de six pieds. Lorsque les feuilles de tabac commencent à jaunir, fin juillet, elle les étend une à une sur des cordes à linge bricolées dans son sous-sol et les fait sécher. Sa récolte est alors prête pour la consommation.

«Chaque plant donne environ quatre paquets de cigarettes», dit Audrey entre deux bouffées. Comme un paquet coûte environ 12 $ ici, elle évalue ses économies à 5000 $.

Guérilla des droits des fumeurs

À New York, reconnu pour sa lutte acharnée contre le tabagisme, Audrey Silk est devenue au fil des ans une sorte de guérilla des droits des fumeurs. Souvent invitée à CNN et à Fox News, elle a aussi fondé un site internet de lutte contre le harcèlement envers ceux qui fument (nycclask.com). «Le lobby antitabac est devenu tellement puissant. Il faut se tenir debout!», lance-t-elle avant de siphonner une autre touche.

Et contre le maire Bloomberg...

Prochaine bataille pour Audrey: l'interdiction de fumer qui entrera en vigueur le 23 mai dans tous les parcs, plages et espaces piétonniers de la Big Apple. La Ville avait été l'une des premières à bannir la cigarette de ses bars et restaurants, en 2003. «Comme toutes les modes partent de New York, dit Audrey, il faut dénoncer. On fait tout pour rendre la cigarette socialement inacceptable... C'est assez!»

Audrey la rebelle prévoit donc organiser un rassemblement de fumeurs le dernier week-end de mai dans un endroit qui reste à déterminer. «Peut-être à la plage de Brighton», avance-t-elle, quartier new-yorkais reconnu pour abriter une importante communauté russe. «Ces gens ont fui la persécution. Ce serait symbolique!» Audrey n'exclut pas non plus un geste d'éclat en plein coeur de Time Square, où la cigarette sera également bannie.

Fumeuse un jour

Audrey Silk refuse de dire quand elle a commencé à fumer ou combien de cigarettes elle consomme chaque jour. «Les anti-fumeurs adorent utiliser ça pour nous faire des remontrances», dit l'insoumise qui, en 90 minutes, a eu le temps d'en griller 4. «J'aime le rituel d'ouvrir mon paquet et de m'en allumer une. Je n'ai jamais essayé d'arrêter.»

À 47 ans, Audrey est bien consciente que la cigarette pourrait finir par la tuer. «Oui», répond sèchement celle qui bénéficie d'une assurance maladie de la police de New York pour le reste de ses jours. Mais elle est d'avis que les risques liés au tabac et à la fumée secondaire sont exagérés.

Et croit-elle que le maire Bloomberg finira par légiférer contre les plantations de tabac privées sur le territoire de New York? «Probablement que ça s'en vient», dit-elle, réaliste, avant d'écraser son mégot dans un cendrier.

En attendant, elle fume en pleine connaissance de cause: «Le tabac est légal, je suis pleinement informée des risques, alors maintenant, laissez-moi tranquille!»

Audrey jette un coup d'oeil sur son jardin et en rallume une autre.