L'intimidation en milieu scolaire semble de plus en plus répandue, ne serait-ce que par l'ajout de la cyberintimidation au problème existant. Les effets sur les victimes ne sont plus à démontrer. Ils vont de l'atteinte de l'estime de soi à la baisse de performance scolaire, à la dépression, à l'abandon scolaire, aux idées et même aux gestes suicidaires. Sa prévalence comme sa gravité en font un problème de société qui appelle à la mobilisation de nombreux acteurs non seulement dans l'intervention, mais aussi dans la prévention.

Il nous faut d'abord différencier l'intimidation des conflits habituels ou des chicanes courantes entre enfants. Ici, il ne s'agit pas d'un mouvement d'agressivité pour obtenir quelque chose, mais bien d'une forme répétée de violence qui vise à rabaisser l'autre, souvent sans aucun gain secondaire apparent. L'agresseur a besoin d'affirmer sa position de supériorité en plaçant l'autre dans une position d'infériorité. Il y a ici plus que la victime et le bourreau. Il y a les tiers, témoins directs ou virtuels du mal infligé à l'autre. Leur rôle n'est pas banal: l'intimidateur cherche un public qui, même silencieux et passif, le reconnaît comme le plus fort et contribue ainsi à maintenir son statut de supériorité. De son côté, la victime est d'autant plus humiliée qu'il y a des observateurs de son impuissance à se défendre. C'est d'ailleurs pourquoi elle a tendance à ne pas se confier.

Le silence néfaste

Pourquoi les observateurs se taisent-ils? Sont-ils si nombreux à être violents, à manquer d'empathie? Je ne le crois pas. S'ils venaient à la rescousse de la victime, ils pourraient craindre d'être la prochaine victime. De manière plus subtile, ils risqueraient ainsi d'être identifiés au plus faible. Or, l'identification, aussi partielle soit-elle, à la faiblesse d'un autre ou à un autre plus faible est menaçante même à l'âge adulte, là où l'identité est pourtant développée. Cela l'est encore davantage pour les jeunes. Chacun sait bien qu'il y a à l'intérieur de lui faiblesses et forces, pouvoir et impuissance. L'alliance tacite avec l'abus de force et de pouvoir pourrait être l'attitude choisie comme pour jouer à mettre à l'extérieur de soi et à distance ses propres faiblesses et impuissances. Si je me moque de l'autre, si j'accompagne celui qui le fait, cela confirme que je ne suis pas comme ça.

L'exemple le plus frappant d'une telle dynamique est celui du jeune qui se fait traiter de «tapette». À l'adolescence, le doute sur sa propre identité sexuelle est très répandu. Si l'autre est traité de «tapette», je ne me porterai pas à sa défense au risque d'être insulté à mon tour. De plus, si je m'associe à ceux qui rient de lui, je confirme que je ne le suis pas.

La force du réseau

La solitude est l'ingrédient majeur qui maintient le jeune et souvent même ses parents dans une situation d'impuissance. Il faut tout un réseau et non seulement des individus pour mettre fin aux situations isolées comme pour faire de la prévention. Les jeunes ont besoin d'être sensibilisés aux divers rôles que ces situations peuvent les inciter à jouer, souvent malgré eux, à la souffrance qu'ils peuvent infliger, à la médiocrité d'une valorisation ainsi obtenue, au pouvoir et à la responsabilité de chacun même lorsqu'il n'est pas directement impliqué. Au-delà de tout, ils doivent être convaincus que l'intimidation n'est pas un jeu et qu'il n'y a pas de gagnant. Les parents, les professeurs, les éducateurs et tous les adultes susceptibles d'être observateurs ou acteurs de cette chaîne de comportements bénéficieraient aussi d'une meilleure connaissance du phénomène et des ressources qui sont à leur disposition pour agir efficacement, c'est-à-dire ensemble.

Rose-Marie Charest est présidente de l'Ordre des psychologues du Québec. Vous pouvez lui faire part de vos commentaires ou lui suggérer des thèmes de chroniques à vivre@lapresse.ca.