On sait le chemin parcouru par les femmes au XXe siècle, mais on oublie parfois à quel point il a été long et laborieux. Un livre tout récent en rappelle les différentes étapes, en adoptant l'angle particulier de l'éducation. La fabrique des filles, de Rebecca Rogers et Fançoise Thébaud, raconte en effet cette marche vers l'émancipation et l'égalité, de 1870 à 1975. Même s'il s'attarde au cas français, il reste pertinent, car on peut facilement faire des parallèles avec le Québec.

On sourit parfois devant les exemples de ce passé révolu - la parfaite ménagère des années 50, les cours de sténo de l'entre-deux-guerres, les exercices de gymnastique complètement farfelus de la fin du XIXe siècle-, mais le destin des femmes peu éduquées du début du siècle dernier est bien triste. «On n'a pas eu la belle vie, pas une bonne enfance, pas une bonne jeunesse, rien...» a raconté M.P.L., née en 1909, dans un témoignage recueilli en 1980. C'est ce qui rend La fabrique des filles intéressant, cette volonté de personnaliser l'histoire en intégrant de nombreux extraits de journaux intimes d'écolières, en reproduisant des diplômes, en faisant revivre des enseignantes et des pionnières.

On parle d'éducation, mais on parle aussi de jouets, de modèles à suivre, de lutte des classes et de religion. Tout est lié, démontrent les deux auteures. On découvre ainsi à quel point l'école a préparé le terrain au mouvement féministe... mais aussi comment le mouvement féministe a influencé les changements dans les écoles.

Le livre est séparé en trois parties (1870-1914, 1914-1945, 1945-1975), et les deux premières sont nettement supérieures à la dernière période évoquée. Bien qu'on y relate «le lent et tardif effritement d'un destin féminin et d'une éducation sexuée», le sujet principal, l'éducation, est un peu occulté au profit de la lutte des femmes.

Cela n'empêche pas La fabrique des filles de faire un portrait global fascinant et instructif d'un domaine qui a tellement évolué en 100 ans qu'on en sort un peu étourdi. Heureusement, c'est aussi un «beau livre» au graphisme aéré et soigné, où les images d'archives sont nombreuses et toujours bien mises en évidence.

La fabrique des filles, de Rebecca Rogers et Françoise Thébaud, éd. Textuel, 160 p., 61,50$