Elle vous sert un verre, un sandwich ou un troisième café. Peu importe le jour ou l'heure de la journée. Avec le sourire. Toujours. Elle ne se plaint jamais de vos caprices et se souvient rigoureusement que vous préférez la viande rouge, la vinaigrette italienne et les frites maison. Parfois, elle vous appelle même par votre petit nom. C'est clair, ne s'improvise pas serveuse qui veut. Portrait d'un métier qui en dit long sur notre monde.

La réalisatrice de Waitress, femmes, serveuses et l'art du service, un documentaire signé Maya Gallus, diffusé dimanche soir à 19h sur Canal D, a voulu dépeindre toutes les complexités du métier de serveuse parce qu'elle-même, comme tant d'autres femmes, a porté le tablier, servi aux tables et compté ses pourboires. «Mon premier boulot, ça a été comme serveuse, à 15 ans, se souvient celle à qui l'on doit aussi Erotica, a Journey Into Feminine Sexuality. C'est comme un rite de passage, chez les femmes, pour faire de l'argent rapidement.»

Vrai, dans l'inconscient collectif, le métier de serveuse est évidemment un métier de femme. Seulement de femme? En fait, illustre le documentaire, les femmes dominent dans les restos bas de gamme (avez-vous déjà vu un homme vous servir une omelette au bacon dans une halte routière?) alors que dans les restos haut de gamme, le schéma est inverse: cette fois, les hommes dominent largement. «Pour moi, on peut dresser plusieurs parallèles entre l'industrie du service et d'autres professions où, là aussi, les femmes tentent de briser un plafond de verre», dit Maya Gallus.

Dans son film, elle nous présente plusieurs serveuses: dans une gargote à Toronto, dans un resto de serveuses sexy à Montréal, dans un café à Tokyo... Toutes témoignent de leur réalité, abordant une foule de thèmes en vrac: le culte de la jeunesse, de la beauté (et des gros seins, notamment pour les serveuses sexy), de la difficulté physique du travail, du rapport avec les clients parfois (souvent) capricieux. «Ce qu'on accepte avec le costume, on n'accepterait pas le dixième en civil», souligne une serveuse. Il faut dire que toutes s'entendent: «C'est un jeu.» «Nous sommes un personnage.»

Puis - et la transition est assez brutale - le film nous transporte en France, où le service est perçu littéralement comme une «vocation». Une vocation d'homme dans un monde d'hommes, s'entend. Quelques femmes tentent néanmoins de percer (quoique pas dans la haute cuisine, les traditions étant ici tenaces), non sans peine. «La culture française est assez machiste, témoigne une des rares maîtresses d'hôtel. Pourtant, je ne fais pas un combat féministe, je gagne simplement ma vie!» Les commentaires des confrères («Les femmes sont plus émotives») en disent long sur le chemin qu'il reste à faire.

Fait cocasse: les serveuses de Montréal que montre le film sont issues de restos pour le moins stéréotypés: Buona Notte («Les clients viennent pour voir les jolies serveuses, c'est ça, le concept»), Houster («Le sexe vend, faut pas se le cacher») et Les Princesses, un resto de serveuses topless qui a fait les manchettes dernièrement parce qu'il exploite l'érotisme illégalement («C'est de la nudité, pas du sexe!» plaide pourtant une serveuse).

Les serveuses montréalaises ont-elles la réputation d'être particulièrement «pitounes»? Chose certaine, «une serveuse nue qui sert des oeufs le matin, on ne voit pas ça ailleurs, répond la réalisatrice en riant. Only in Montreal!»

Cela dit, Maya Gallus espère bien que son documentaire lèvera le voile sur un métier peu valorisé quoique drôlement exigeant, tant physiquement que psychologiquement. «On s'imagine souvent que c'est un petit boulot à la portée de tous. Or, cela prend beaucoup de technique! J'espère que les serveuses cesseront d'être invisibles et qu'on verra enfin la personne derrière le personnage», conclut-elle.

Waitress, femmes, serveuses et l'art du service, un documentaire de Maya Gallus, dimanche soir, à 19h, à Canal D.

Photo: André Pichette, La Presse