Accès facile au crédit, loyers à la hausse... Les étudiants quittent le nid parental plus tard aujourd'hui qu'il y a 20 ans, ce qui explique sans doute pourquoi les mariages entre étudiants pour l'obtention de prêts et de bourses se font plus rares. Et, des années plus tard, ceux qui l'ont fait le regrettent-ils?

Delphine avait 18 ans et son fiancé 19 le jour où ils ont uni leurs destinées à la mairie de Longueuil. «C'était mon premier chum. Nous nous étions rencontrés cinq ans plus tôt, dans un avion. Comme son père lui coupait les vivres, il m'a demandée en mariage pour les prêts et bourses et pour que nous puissions vivre ensemble en appartement. Mais c'était aussi un mariage d'amour», relate la jeune femme, 20 ans après ses premières et uniques noces qui ont fini en grande fête sur la terrasse du Saint-Sulpice.

Un an plus tard, Delphine et son premier amour étaient séparés.

«Nous étions le seul couple en appartement de tout notre groupe d'amis; c'était toujours la fête, chez nous. Nous avons divorcé quelques années plus tard, mais nous sommes restés amis», relate Delphine, qui malgré tout ne regrette pas son mariage. «Il n'y a pas eu de conséquences fâcheuses ni rien à séparer. C'est un peu fou d'avoir fait ça, mais ça ne me définit pas.»

Et le magot pour les études, dans tout ça? «La demande de mon chum a été acceptée tout de suite. C'était bien, pour lui, parce que ceux dont les parents gagnaient plus de 50 000$ par année n'avaient pas droit aux bourses. Pour être admissible, il fallait soit provenir d'une région éloignée, être enceinte ou avoir arrêté l'école», rappelle Delphine.

Dans un tel contexte, donc, le mariage était une option alléchante, plus pratique que romantique, pour nombre d'étudiants peu fortunés qui tombaient dans «la craque du plancher».

Après 33 ans d'union heureuse et trois enfants, Lise Martin reste tout aussi rationnelle pour expliquer son mariage devant Dieu et les hommes: son conjoint et elle se sont mariés surtout pour l'aspect pratique et financier de la chose. Il s'agissait du choix le plus judicieux pour favoriser son compagnon, qui entrait à la maîtrise, et faire plaisir à la parenté, qui voyait d'un mauvais oeil le fait qu'ils vivent en union libre.

«C'est un contrat, ce n'est pas important. Nous n'aimions pas le flafla. Nous serions encore ensemble aujourd'hui même si nous n'étions pas mariés», dit-elle tout en évoquant la liberté que permettaient ces «mariages de raison».

«Nous étions contents de partir de chez nos parents parce que ça nous donnait la liberté de sortir, de faire ce qu'on voulait. Et pour être considérés comme «indépendants de nos parents» aux yeux de l'aide financière, il fallait être mariés.»

Les Tanguy ne se marient plus

«Le mariage entre étudiants, pour les prêts et bourses, n'est plus tellement à la mode», observe Juliette Perri, du bureau de l'aide financière aux étudiants de l'UQAM. Elle explique le déclin des mariages blancs notamment par le fait que l'accès au crédit est plus facile et par les changements dans les moeurs. De nos jours, fait valoir Juliette Perri, les étudiants dans le besoin préfèrent contracter un prêt personnel, demander une marge de crédit ou encore prendre une pause d'étude de 24 mois, pour être considérés comme «indépendants» par le bureau de l'aide financière.

Le fait que les étudiants tardent à quitter le nid familial freine aussi leurs élans matrimoniaux.

«Aujourd'hui, les droits de scolarité sont beaucoup plus chers et les appartements, on n'en parle même pas. Je crois qu'autrefois, on se mariait pour les prêts et bourses mais aussi pour faire sa vie et partir de chez ses parents», estime Juliette Perri.

Selon Alain Roy, professeur au département de droit de l'Université de Montréal, le phénomène des mariages de raison entre étudiants est moins répandu aujourd'hui. «Ça fait un bout de temps que j'ai vu ça. Y a-t-il une prise de conscience plus grande sur les impacts que laisse un mariage? Peut-être aussi qu'aujourd'hui, les jeunes adultes trouvent une marge d'autonomie en restant chez leurs parents sans perdre leur confort et leur dépendance économique.»

Sur le plan juridique, est-il possible et facile d'annuler une union entre deux personnes qui se sont épousées pour des raisons pratiques comme les prêts et bourses? Alain Roy explique que les juges pourraient refuser d'annuler un mariage s'ils estiment que les conjoints étaient de mauvaise foi. Quant au divorce, il s'obtiendra sans problème. «Aujourd'hui, quand on demande le divorce, on n'a pas besoin de dire pourquoi, il suffit d'être séparé depuis un an.»

Ou on peut faire comme les personnages de Valérie Blais et d'Éric Bernier dans Tout sur moi, qui affichaient fièrement et ouvertement leur statut de couple marié pour les prêts et bourses. Bref, ne garder que le meilleur et de beaux souvenirs de ce qu'on a fait avec la bourse.

Se marier «gai» pour les bourses

Entendues dans un camp d'été la semaine dernière: deux monitrices hétérosexuelles et colocataires qui annonçaient leur intention de profiter de la loi sur le mariage gai pour s'épouser et bénéficier de l'aide financière aux étudiants.

Pointe de l'iceberg d'un nouveau phénomène?

Selon le code criminel...

Mariage feint

292. (1) Quiconque obtient ou sciemment aide à obtenir un mariage feint entre lui-même et une autre personne est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans.