En 1995, le Conseil australien de recherche médicale a recommandé pour la première fois aux femmes enceintes de s'abstenir de consommer de l'alcool. Six ans plus tard, l'organisme australien a fait volte-face : sept consommations par semaine étaient subitement devenues acceptables durant la grossesse, à condition de ne pas en prendre plus d'une ou deux par jour.

Puis, au printemps dernier, retour à la case départ : l'abstinence était de nouveau de mise.

Ces revirements, qui ont fait couler beaucoup d'encre parmi les chercheurs spécialistes de l'alcool durant la grossesse, illustrant bien le dilemme auquel font face les autorités de santé publique. Tout porte à croire qu'il n'existe pas de seuil sûr de consommation d'alcool, mais aucune étude ne l'a démontré de façon définitive. Et il faut à la fois décourager la consommation d'alcool et éviter que des femmes décident d'avoir un avortement parce qu'elles ont pris quelques verres entre le moment de la conception et celui du test de grossesse.

«De plus en plus, on conseille aux femmes qui songent à avoir des enfants de cesser de boire», explique Colleen O'Leary, épidémiologiste de l'Université de l'Australie-Occidentale. «Mais la moitié des grossesses ne sont pas planifiées. Alors il ne faut pas effrayer les femmes.»

La Dre O'Leary, qui est d'origine vancouvéroise, vient de publier une étude montrant qu'une faible consommation d'alcool (un verre par mois) durant la grossesse n'est pas associée à des problèmes de comportement à l'enfance et qu'une consommation modérée (un verre par semaine) double le risque d'anxiété à 5 ans. «Tout ce qu'on a réussi à montrer, c'est qu'il y a des changements cellulaires, dit la Dre O'Leary. Mais il n'y a rien au plan du comportement. Cela dit, je crois qu'il faut être cohérent dans nos avis : il ne viendrait pas à l'esprit d'une femme enceinte de consommer des fromages au lait cru, des pâtés ou des charcuteries, alors que le risque est sûrement moins élevé que pour l'alcool.»

Dans un rapport publié en 2006, l'Institut national de la santé publique du Québec estime qu'entre 36 et 144 bébés naissent chaque année avec le syndrome de l'alcoolisme foetal, un problème grave lié à la consommation excessive et fréquente d'alcool par la mère pendant sa grossesse. En outre, entre 100 et 430 bébés subissent des inconvénients, quoique moins graves, de la consommation de leur mère. Comme les femmes québécoises sont trois fois plus susceptibles (26 % contre 9 %) que les autres Canadiennes de boire pendant la grossesse (selon Statistique Canada), cela signifie qu'entre 0,5 % et 2 % des Québécoises qui boivent durant leur grossesse causent des dommages actuellement mesurables à leur bébé.

Le Québec est la seule province où les autorités de santé publique ouvrent la porte à une consommation modérée d'alcool durant la grossesse. Tout comme les associations médicales canadiennes, la brochure québécoise La grossesse et l'alcool en question recommande nettement l'abstinence.

Mais à la question «Nous célébrerons notre dixième anniversaire de mariage, puis-je boire à cette occasion ?», la brochure répond , après avoir réitéré le conseil d'abstinence : «Personne ne devrait culpabiliser une femme enceinte qui choisirait de prendre un verre à l'occasion.»

La France, où de nombreuses femmes enceintes boivent du vin et mangent des fromages de lait cru, a récemment décidé de recommander l'abstinence durant la grossesse. «Selon ma compréhension, les autorités médicales veulent viser les femmes qui boivent beaucoup parce qu'elles sont nombreuses, dit la Dre O'Leary. Mais elles estiment qu'elles doivent présenter un message uniforme, au risque d'inquiéter certaines femmes qui ont bu un verre ou deux alors qu'elles ignoraient qu'elles étaient enceintes.»