En mai prochain, les membres de l'Organisation mondiale de la santé adopteront la «Stratégie visant à réduire l'usage nocif de l'alcool». C'est la première fois que l'OMS s'attaque à l'alcool, qui est responsable de 2,3 millions de morts chaque année sur la planète. Pour plusieurs, il s'agit d'une étape logique après les succès de la guerre à la cigarette.

Les cibles de l'ébauche de la stratégie, rendue publique l'automne dernier, sont multiples. Éducation, traitement, alcool au volant, restriction des lieux et des moments de vente d'alcool, promotion et publicité, prix de l'alcool, alcool frelaté, tout y passe. Les priorités varient énormément d'une région à l'autre de la planète, ce qui crée des tensions. Le grave problème d'abus de vodka contrefaite qui dévaste la Russie, les soirées de beuverie des jeunes Américains et les empoisonnements à la bière artisanale en Afrique - qui ont poussé le gouvernement du Kenya à diminuer les taxes sur les bières Diageo - sont radicalement différents.Éduc'alcool a collaboré à la mise au point de la stratégie de l'OMS. « Au Québec, on fait tout ça depuis des années », affirme Hubert Sacy, directeur d'Éduc'alcool, organisme en partie financé par la Société des alcools du Québec. «Nous contrôlons le prix et la disponibilité de l'alcool, nous luttons contre les incitations à la consommation excessive et nous recommandons que les jeunes ne soient pas initiés trop tôt à l'alcool et qu'on leur enseigne à boire de la bonne manière.» Depuis 2004, la Régie des alcools, des courses et des jeux a renforcé sa surveillance quant au respect de l'interdiction des rabais occasionnels dans les bars et de l'interdiction de consommer de l'alcool fort dans les restaurants «apportez votre vin».

Qu'en est-il des promotions de la SAQ ? Sur ce point, Éduc'alcool renvoie La Presse à son code d'éthique et au Conseil d'éthique de l'industrie québécoise des boissons alcooliques, qui veille à son application. Le code d'éthique bannit les promotions qui ramènent le prix des boissons au-dessous du prix de la boisson la moins chère de la même catégorie. Dans ses deux derniers rapports annuels, le Conseil d'éthique rapporte avoir entamé des discussions avec la SAQ sur ce type de promotion, notamment sur la base de plaintes de clients qui considéraient que les promotions de la SAQ favorisaient les clients les plus aisés.

Comme l'illustre le cas de la SAQ, l'industrie collabore tant bien que mal. En janvier, le Conseil européen du commerce de détail du voyage s'est associé au Conseil international des aéroports pour faire dérailler l'une des propositions du brouillon, la taxation des achats d'alcool hors taxe, pour préserver une source de revenus dépassant les 3 milliards de dollars américains.

Athlètes alcooliques

Les chercheurs du domaine se méfient de l'industrie. Un économiste de l'Université Curtin à Perth, en Australie, a calculé que les athlètes de rugby sont plus susceptibles d'avoir des problèmes d'alcool s'ils sont les porte-parole de produits alcooliques. Et un politologue de l'ONG Forut, en Norvège, a déterminé que les politiques de quatre pays africains - le Malawi, l'Ouganda, le Lesotho et le Botswana - en matière d'alcool sont presque identiques à un projet de politique écrit par le brasseur SABMiller.

Mais les divergences d'opinions ne se limitent pas à l'industrie et à la science. Plusieurs chercheurs craignent que les Américains n'imposent leur modèle de contrôle de l'alcool. «Chaque fois qu'on parle de consommation d'alcool, les Américains sont convaincus que l'âge légal de 21 ans est la politique idéale», indique Evelyn Vingilis, épidémiologiste de l'Université Western Ontario. «Les seules études qu'ils acceptent sont celles qui comparent des États américains et montrent que la hausse de l'âge légal a permis de réduire le nombre d'accidents de voiture. Mais le Canada a connu une baisse similaire sans augmenter

l'âge légal.»

Alexander Wagenaar, épidémiologiste de l'Université de Floride qui étudie l'impact du prix de l'alcool sur la consommation (une augmentation du prix de 10 % réduit de 5 % la consommation de bière, de 7 % celle de vin et de 8 % celle d'alcool fort) a un avis diamétralement opposé. «Si on faisait une étude bien calibrée, je suis sûr qu'on verrait que le nombre d'accidents a diminué plus vite aux États-Unis qu'au Canada, dit le Dr Wagenaar. Je pense que, dans un monde idéal, l'âge légal pour consommer de l'alcool serait de 21 ans partout sur la planète.»

La seule étude ayant comparé les États-Unis et le Canada sur ce point, selon la Dre Vingilis, a été faite par une étudiante au baccalauréat en économie de l'Université Berkeley qui a infirmé l'idée que l'âge légal de 21 ans est une panacée universelle. «Je pense qu'il faut davantage viser la limitation de la consommation par le prix», dit l'épidémiologiste ontarienne.

19 ans partout

En 2007, la Stratégie nationale sur l'alcool du Canada avait recommandé que l'âge l'égal pour acheter de l'alcool soit fixé à 19 ans dans toutes les provinces. «Le but était de diminuer les problèmes aux frontières», explique Gerald Thomas, politologue de l'Université Victoria, qui a participé à la mise au point de la stratégie canadienne. «Beaucoup de jeunes de Colombie-Britannique viennent en Alberta pour profiter de l'âge légal de 18 ans. Il y a le même problème à Gatineau. Nous avons choisi de recommander 19 ans parce que les provinces qui ont adopté cet âge légal sont plus nombreuses. Ça serait plus simple.» À noter, l'organisme Mothers Against Drunk Driving tient mordicus à l'âge légal à 21 ans aux États-Unis, alors que sa filiale canadienne ne recommande pas d'imiter les États-Unis sur ce point.

Plusieurs études se sont penchées sur le lien entre consommation précoce et abus d'alcool. L'une des plus citées, publiée en 2006 dans la revue Archives of Pediatrics and Adolescent Medicine par des épidémiologistes de l'Université de Boston, calculait que les gens qui commencent à boire avant 14 ans ont 80 % plus de risque de devenir alcooliques que ceux qui commencent à boire après 21 ans.