Hier soir avait lieu le vernissage de l'exposition L'échangeur Turcot, entre ciel et terre, à la maison de la culture Marie-Uguay. Le photographe André Denis nous y montre le controversé échangeur sous un autre angle, celui de la beauté.

M. Denis avait commencé sa carrière derrière l'objectif. Il faisait partie du groupe de six photographes qui ont ouvert la galerie Dazibao. Mais, lorsqu'il a fondé une famille, il a décidé de ranger son appareil à la faveur d'un gagne-pain un peu plus stable.

 

C'est en 2003 qu'il a renoué avec sa passion de jeunesse, puis, du même coup, à s'intéresser à l'échangeur Turcot.

En fait, il a fallu qu'il essaie de l'éviter pour mieux le découvrir. C'est en cherchant un autre chemin pour aller travailler qu'il s'est retrouvé en dessous de l'immense mille-pattes de béton, construit en 1967, dans la rue Notre-Dame.

«D'un point de vue graphique, c'était extrêmement intéressant. Je suis un passionné de perspective. Puis, le vieillissement a donné lieu à de très belles textures», raconte celui qui se qualifie de «photographe de rue».

Au moment où l'échangeur Turcot est devenu un sujet d'actualité et de controverse, en 2007, le projet artistique a débouché sur un certain engagement citoyen. M. Denis a voulu en savoir davantage sur l'histoire du lieu. Il a rencontré l'urbaniste Jean Décarie. Lorsque le ministère des Transports du Québec a commencé à parler de réaménager l'échangeur - qui est emprunté quotidiennement par 280 000 véhicules, dont 28 000 camions -, le photographe s'est intéressé aux groupes de mobilisation qui s'opposent au projet.

«Je suis devenu plus conscientisé. J'ai arrêté de prendre ma voiture pour aller travailler (NDLR: il habite à Dollard-des-Ormeaux et travaille au centre-ville). Ma position est maintenant proche de celle des mobilisateurs. Il faut penser au quartier, à la santé publique, à l'avenir. Dans 10 ans, est-ce que les gens vont encore vouloir aller travailler en voiture et contribuer à la pollution de la ville? Il faut réduire notre dépendance à l'essence. Et en plus, il n'y a personne qui aime ça être pris dans sa voiture, en pleine heure de pointe.»

Le projet du MTQ est d'abaisser l'échangeur pour en reconstruire un nouveau au niveau du sol ou en remblai. «De faire un remblai, ça reviendrait à mettre un mur, explique André Denis. Dans mes photos, on voit que l'échangeur actuel permet quand même de voir au travers.» Comme dirait son ami Pierre Lavoie, auteur d'un texte qui accompagne l'exposition: «Ces longs gestes coordonnés découpent des portions de ciel.» D'autres parlent du fameux «effet cathédrale» de l'échangeur Turcot.

Sept ans d'appartenance

La démarche d'André Denis s'inscrit sur la durée. Il a mis sept ans à apprivoiser son sujet. «J'ai des cartons remplis de photos. Des photos prises l'été, l'hiver, le matin, le soir. Même si l'échangeur n'est pas comme une personne, qu'il ne bouge pas, il pose. Je ne peux pas faire deux photos pareilles. Aujourd'hui, on ne peut malheureusement plus aller directement sous l'échangeur. C'est clôturé et il y a de la sécurité.»

L'artiste aime développer un sentiment d'appartenance avec les lieux qu'il photographie. C'est pourquoi il y consacre souvent plusieurs années. Son prochain projet, intitulé pour l'instant Territoires incertains, explorera ces lieux, toujours autour de l'échangeur, dont la propriété est floue et qui deviennent ainsi des espaces de «laideur», une laideur que des gens comme André Denis transforment en poésie.

«J'aime beaucoup l'idée d'être réellement présent dans le lieu où je suis. Ces photos sont comme un puits temporel. Peut-être que plus tard, quelqu'un va tomber sur mes photos et qu'elles auront une sorte de valeur d'archives.»

«Ce que j'essaie un peu de dire avec le travail que j'ai fait sur l'échangeur Turcot c'est: occupons-nous de nos affaires, occupons-nous de notre ville. Ne faisons pas semblant que les problèmes n'existent pas. Regardons-les en face. Il faudrait faire comme New York, avec ses t-shirts «I Love New York». I Love Montréal. I Love l'échangeur Turcot!»

L'exposition L'échangeur Turcot, entre ciel et terre, se tient jusqu'au 28 mars, à la maison de la culture Marie-Uguay, 6052, boulevard Monk, 2e étage.