Un couple tente en ce moment en Suède une expérience hors du commun. Il a décidé de cacher à tout le monde le sexe de son enfant. Le bambin de 2 ans vit donc sa petite vie quotidienne sans que personne n'ait le droit de savoir, à part son père et sa mère et les rares autres personnes qui ont changé sa couche, s'il s'agit d'un garçon ou d'une fille.

Parfois l'enfant porte la robe, parfois le pantalon, parfois il a les cheveux attachés, d'autres fois courts. Rose, bleu, violet, jaune... Ses vêtements sont de toutes les couleurs.

 

Bref, aucun moyen de savoir si Pop (son surnom) est plus fée rose ou plus Batman et c'est exactement ce que veulent ses parents. Au printemps, le couple a expliqué au quotidien Svenska Dagbladet qu'il avait décidé de cacher l'identité sexuelle de son enfant pour le protéger des stéréotypes associés à l'un ou l'autre des deux sexes. Ils veulent que Pop grandisse sans être jugé, interpellé, formé, avec des a priori associés aux filles ou aux garçons.

L'expérience a surpris les Suédois qui se sont enflammés sur son bien-fondé. Mais dans ce pays scandinave, qui a toujours été à l'avant-garde des réformes sociales égalitaristes, on ne s'étonne pas autant qu'ailleurs de tels exercices.

En Suède, la recherche de la parité entre les hommes et les femmes est un projet de société, qui demeure bien vivant malgré ses hauts et ses bas depuis 50 ans.

Et si on se fie aux palmarès, dressés par le Forum économique mondial sur l'égalité hommes/femmes dans les pays du monde entier, ce projet fonctionne. L'an dernier, la Suède figurait au premier rang des pays les plus égalitaires. Cette année, il est au troisième rang car la Norvège et la Finlande l'ont doublé à l'arrivée. Le Canada? Il occupe la 31e place...

Et en connaissez-vous beaucoup de pays qui, comme la Suède produisent des best-sellers féministes écrits par... un homme, tels que Millénium de Stig Larsson?

Mais est-ce dire que l'égalité règne partout?

Peaufiner l'égalité

En fait, ce qui frappe dans ce pays, si engagé dans sa quête d'égalité, c'est à quel point on ne semble pas réaliser comment on est en avance sur les autres.

«Êtes-vous certaine qu'on soit aussi avancé qu'en France dans les hautes directions?» demande un homme d'affaires, Sören Hullberg, directeur général du très bo-bo hôtel Story, dans le centre de la capitale.

«Ne sommes-nous pas dans une égalité plutôt hétéronormative?» s'enquiert Renita Sörensdotter, professeur d'anthropologie à l'Université de Stockholm.

Bref, la barre est rendue haute dans la quête de l'égalité. Disons qu'on est rendu pas mal plus loin que la lutte pour l'équité salariale ou le droit de vote...

Dans les faits, on est rendu à une autre étape et la quête de l'égalité semble étroitement liée à la vie quotidienne: qui fait le lavage, la porno est-elle assez féministe, les garçons peuvent-ils jouer avec des poupées?

«Il y a beaucoup d'égalité en Suède, continue Mme Sörensdotter, mais on manque d'égalité dans la vie de tous les jours. On a fait beaucoup de chemin dans la sphère publique et en éducation. Mais la division du travail, à la maison, n'a pas tant changé que ça. C'est encore difficile de convaincre les hommes d'accomplir les tâches traditionnellement féminines.»

Même son de cloche chez Sonja Schwarzenberger, jeune éditrice du trimestriel culturel et féministe Bang. «Les hommes sont applaudis ici parce qu'ils s'occupent beaucoup des enfants. Mais les femmes demeurent celles qui tiennent le fort, les gestionnaires par défaut de la maison et de la vie familiale.»

Elle ajoute: «Il y a une certaine amertume dans l'air, autant du côté des hommes que des femmes, face à cette situation.»

D'où l'idée d'éduquer les enfants dans un contexte totalement neutre, comme Pop, où les rôles domestiques sexués seront effacés et ou tout sera échangeable et échangé...

La neutralité à la suédoise à l'école

Ce n'est pas d'hier que la Suède se préoccupe de la «neutralité» des responsabilités dans les activités de tous les jours.

«Dans les années 70, on avait réussi à se rendre assez loin dans la création d'une société sexuellement neutre (gender neutral), mais la sexualisation des rôles est revenue par la porte d'en arrière. Ça ne m'étonnerait pas que la société de consommation ait eu un rôle à jouer là-dedans», explique Gunilla Bjerén, professeur de sociologie et directrice pendant neuf ans du centre d'étude féministe de l'Université de Stockholm.

À la fin des années 90, la Suède a tenté de nouveau quelques expériences pédagogiques qui ont fait parler d'elles bien au-delà de ses frontières.

Dans la ville de Gävle, par exemple, une maternelle a décidé de créer un environnement n eutre (poupées et camions interdits, vêtements le plus unisexe possible, etc.) et de filmer ses éducateurs, avec leur accord, pour montrer à quel point leurs comportements étaient conditionnés par le sexe des enfants.

De cette expérience, dont les résultats ont été analysés, on a retenu une chose: il est plus difficile de convaincre les petites filles silencieuses de sortir de leur coquille et d'adopter des comportements dits plus «masculins» que de convaincre les gars d'adopter des attitudes plus «féminines». En revanche, la transformation des garçons a suscité la controverse et provoqué des interrogations, notamment chez les parents, inquiets de la «féminisation» de leurs petits.

Bref, tous les parents ne sont pas comme ceux de Pop...

«On aime se trouver très égalitaires, mais on doit aussi se remettre en question», affirme Petra Ostergren, penseuse controversée qui trouve que le féminisme suédois est trop «classe moyenne».

Selon Sonja Schwarzenberger, aussi, la route est loin d'être terminée. «Il y a encore de la violence conjugale, qui va parfois jusqu'au meurtre. Il y a encore des choses à changer et des hommes à qui il faudrait demander: Voulez-vous vraiment ça pour vos amies, vos mères, vos soeurs?».