Une étude attaque la mode du multitâche, déjà la cible de nombreuses critiques. Des sociologues de l'Université Stanford ont découvert que les adeptes du multitâche ont plus de difficulté que la moyenne à passer d'une tâche à l'autre.

«C'est très ironique», explique Clifford Nass, l'auteur principal de l'étude, publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences. «Le multitâche vise justement à faire plusieurs tâches en même temps, à passer rapidement d'une tâche à l'autre. Si on met plus de temps à regagner notre concentration quand on se tourne vers une nouvelle tâche, c'est contre-productif.»

 

Le multitâche consiste par exemple à écouter la radio ou la télévision tout en faisant une recherche sur l'internet. «Cette habitude peut être nuisible si elle cause des goulots d'étranglement cognitifs», explique M. Nass

Pour son étude, le sociologue californien a divisé 262 cobayes - des étudiants de Stanford - en deux groupes, selon qu'ils pratiquaient peu ou beaucoup le multitâche. Il a constaté que les fervents du multitâche étaient beaucoup moins bons pour écarter les distractions et qu'ils mettaient beaucoup plus de temps à passer d'une tâche à l'autre. L'expérience qui mesurait ce délai consistait à mettre en ordre des lettres, puis des chiffres. La différence entre les deux groupes atteignait quatre secondes.

Deux explications

Deux explications sont possibles. «Soit le multitâche diminue la capacité de passer d'une tâche à l'autre, dit M. Nass. Soit les gens qui ont des difficultés à passer d'une tâche à l'autre sont, pour une raison mystérieuse, attirés par le multitâche. Peut-être pensent-ils erronément améliorer leur performance. Quoi qu'il en soit, il faut tenir compte de cet effet pour éviter que certaines catégories de personnes soient désavantagées dans un monde qui met de plus en plus l'accent sur l'efficacité et la flexibilité. La nécessité de répondre rapidement aux courriels oblige les gens à surveiller sans cesse leur boîte de réception. Sacrifier la performance dans notre tâche principale pour pouvoir surveiller d'autres sources d'information n'est pas nécessairement un bon calcul.»

Pour déterminer si ces difficultés cognitives sont causées par le multitâche, ou si les gens qui ont ces difficultés sont plutôt attirés par le multitâche, M. Nass va faire cet automne une expérience par imagerie neurologique. «Nous verrons quelles régions du cerveau sont activées. S'il s'agit de régions qui changent peu à l'âge adulte, on peut considérer que le multitâche n'est pas responsable des difficultés cognitives. Mais s'il s'agit de régions très plastiques, le multitâche est alors coupable et devrait être évité.»