Imaginez la scène. Nous sommes la veille de la Saint-Valentin. Un vendredi 13 pas comme les autres. Geneviève Dussault, 37 ans, en couple depuis 20 ans et mère de deux enfants, coiffée, maquillée et toute de blanc vêtue, se pointe à la caserne de pompiers où travaille son conjoint pour lui faire une surprise. Et quelle surprise. «La surprise de sa vie.»

Accompagnée d'une bonne trentaine de personnes, de la famille et des amis intimes, elle s'avance lentement vers son conjoint, s'agenouille à ses pieds et récite la formule d'usage, d'ordinaire répétée, rêvée, et non improvisée. Mais qu'importe: «Bertrand Savoie, acceptes-tu d'être mon mari?»

 

Oh my God, se dit le principal intéressé.

Et crac, un célébrant les marie aussi sec. «Pour le meilleur et pour le pire», en quelques minutes à peine.

Certains diront qu'elle a du guts. D'autres, qu'elle est complètement inconsciente. En fait, Geneviève Dussault vous répondra que cela allait tout simplement de soi. Il faut savoir que l'idée de la surprise ne venait pas tout à fait d'elle: elle répondait à un concours, lancé par la station de radio Q92 un mois plus tôt. Baptisé Ambush Wedding, le concours invitait les femmes à poser leur candidature pour surprendre leur conjoint dans un mariage surprise. La robe, les anneaux, la fête, même le voyage de noces, étaient fournis par la station de radio, un «cadeau» évalué à près de 15 000$. Quelques 450 femmes ont répondu à l'appel, des filles en couple, souvent depuis longtemps, tout simplement trop occupées pour se lancer dans l'organisation d'un mariage.

«C'était un jeu, explique la nouvelle mariée, tout juste de retour, après deux semaines de croisière dans le Sud. Choisir d'avoir des enfants avec mon conjoint a été une beaucoup plus grosse décision que de me marier.»

«Nous sommes ensemble depuis 20 ans, avec deux enfants, renchérit Bertrand Savoie. Pour nous, le fait de se marier, c'est tout simplement une preuve qu'on continue un bout de chemin ensemble.»

Le commentaire est révélateur. Au Québec, l'engagement passe de plus en plus par les enfants, et non par le mariage, constate Hélène Belleau, sociologue de la famille à l'INRS, urbanisation, culture et société. Ici, 35% des personnes en couple vivent en union libre, 65% sont légalement mariés. Ailleurs au Canada, les proportions sont plutôt de 13% et de 87%. «Pour beaucoup de Québécois, le mariage est encore associé à l'Église catholique et aux rôles traditionnels.»

Pourquoi encore se marier à l'église, alors? Les couples qui optent pour un mariage religieux sont généralement en quête de spiritualité, ou alors apprécient, telle la romantique Carrie de Sex in the City, le côté conte de fées de la célébration, répond la sociologue, qui doit publier un livre sur la question sous peu.

Ceux qui optent pour un mariage civil, par contre (qui, fait à noter, ont beaucoup de points en commun avec les couples qui préfèrent l'union de fait) voient plutôt le mariage comme un événement privé, et préfèrent du coup une célébration à leur image: un mariage en hélicoptère, en plongée sous-marine, ou encore un mariage-surprise, par exemple.

Et ceux qui ne se marient pas? Peut-être ont-ils d'autres préoccupations (les enfants, la maison, les voyages), ou encore sont-ils tout simplement effrayés par l'ampleur financière et organisationnelle que peut prendre la planification d'un mariage. De fait, le tiers des lectrices interrogées dernièrement par le magazine Weddingbells avoue que la planification d'un mariage est nettement plus stressante que plaisante.

«On a associé le mariage à des choses accessoires. La robe, le voyage de noces, les fleurs. La décoration a pris tellement d'importance! C'est sûr que ça va en rebuter plusieurs», analyse Martine Tremblay, auteure d'une thèse de doctorat sur les rituels du mariage au XXe siècle, à l'Université du Québec à Trois-Rivières.

C'est le cas de Sophie Banford, qui a tout de même opté pour une célébration, sur un coup de tête, à un mois de préavis, dans sa cour, avec ses proches. C'était en mai dernier. Un mois plus tard, c'était fait, terminé, signé. «On s'est mariés pour adopter. Au plus vite, avoue-t-elle tout de go. Ça me tentait vraiment pas de planifier un mariage pendant un an. On dirait que cela devient beaucoup plus gros que ce que c'est. Les gens perdent de vue pourquoi on fait ça. Parce qu'à la base, d'abord et avant tout, un mariage, c'est pour s'unir à la personne qu'on aime.»