Ça a sonné à la porte. «Tu viens marcher un peu?» a demandé le voisin.

Il était midi, «j'ai dit oui, je n'avais rien à faire de toute façon. Cela faisait 20 ans que je n'avais pas été chez moi, un midi de semaine, en dehors de mes vacances».

Ce jour-là, Philippe Dubuc venait de se faire mettre à la porte. Congédié sans ménagement comme c'est la coutume dans la haute finance: au café du coin, pendant qu'au bureau on s'activait à désactiver tout ce qu'il comptait de mots de passe informatiques.

 

Tout ça, l'année de ses 40 ans, avec trois enfants à la maison.

Ce congédiement était écrit dans le ciel. Philippe Dubuc l'avait vu venir. «Et pourtant, quand ça arrive, tu reçois ça comme une tonne de brique».

Vu les congédiements en cascade dans la haute finance, Philippe Dubuc n'a pas envisagé de trouver un nouvel emploi dans ce domaine. Pas même essayé. «Je savais que je n'avais pas le goût de repartir à zéro ailleurs, même si je dévore toujours autant les nouvelles financières.»

C'est là-dessus, donc, qu'est arrivé le voisin et ses invitations à aller prendre l'air, qui n'étaient pas complètement désintéressées. «Mon ami, propriétaire d'une compagnie de distribution de disques, a fini par me mettre dans la tête de lancer avec lui une étiquette de disques de vinyle. Je n'étais pas certain que j'avais ce qu'il fallait pour partir en affaires J'avais beau être un tripeux de musique, je n'avais aucune compétence dans le domaine.»

L'idée a fait son chemin, Philippe Dubuc a fait ses modèles financiers et conclut que, oui, le disque vinyle n'avait pas qu'un passé, mais aussi un avenir. «Par exemple, Metallica a sorti deux versions vinyle de son dernier disque: une version de 33 tours, une autre de 45 tours. U2, Jimi Hendrix, tout été réimprimé.»

«Dans le fond, j'avais toujours eu envie de partir ma petite affaire. Je regardais autour de moi, et je trouvais qu'après toutes ces années à travailler dans une banque, je n'avais jamais vraiment rien bâti, dans le fond.»

Sauf pour des funérailles, une fois, Philippe Dubuc n'a plus touché à ses cravates et à ses vestons, qui s'empoussièrent.

«À leur retour de l'école, les enfants passent toujours une quinzaine de minutes à raconter leur journée, raconte Caroline, la conjointe de Philippe Dubuc. Même s'il a toujours été un bon père, Philippe, qui n'arrivait pas avant 19h30 en semaine, n'avait jamais entendu ces récits de retour d'école. Les premiers temps, il m'a regardé, les yeux tout pétillants, et m'a demandé: «C'est toujours comme ça, vos après-midi?»»