«Un nouvel amour? À mon âge? Allons donc!» Voilà parfois la première réflexion qui vient à l'esprit de personnes âgées dont le coeur s'emballe à nouveau. Et pourquoi pas? Témoignages et regard sur ces papillons retrouvés et sur le renouveau qui les accompagne.

Cache-cache amoureux

Depuis bientôt trois ans, Marie-Jeanne et Jean passent le plus clair de leur temps les yeux dans les yeux dans une résidence de Brossard. Une idylle que le couple de 93 ans n'attendait plus... 

«La résidence, je ne voulais rien savoir de ça! Je n'étais pas prête!» En 2014, Marie-Jeanne Dupuis doit se résoudre à séjourner deux semaines dans une résidence pour personnes âgées. La femme de 90 ans habite alors dans le même duplex que sa fille, mais comme cette dernière part en voyage, elle se résigne à déménager temporai-rement. Puis, coup de théâtre: Marie-Jeanne fait la rencontre de Jean Quesnel, un homme qui allait bouleverser sa vie.

C'est dans cette balançoire que Marie-Jeanne et Jean ont fait connaissance. «Ma fille Mireille et moi, on s'est assises, et Jean était là, tout seul. On a commencé à parler, et quand on lui a demandé ce qu'il avait fait dans sa vie, il nous a répondu qu'il était "dans les chevaux", comme entraîneur. Ma fille lui a répondu: "Ah ben! Ma mère a toujours aimé les chevaux!" Elle allait souvent aux courses!" On a commencé à parler... et je l'ai trouvé vraiment fin!»

Ce qui devait être un mauvais moment à passer s'est transformé en séjour exaltant pour Marie-Jeanne. «Jean, il me plaisait! On s'appelait avec le cellulaire que ma fille m'avait prêté, mais avant qu'elle revienne, j'ai demandé à mon autre fille d'effacer tous les appels [dans l'historique]!» En souriant, son fils Robert Pilon résume la situation: «Tu ne voulais pas que Gysèle voie plein de fois le même numéro de téléphone sur son cellulaire!» Marie-Jeanne acquiesce: «C'est ça, mais ça n'a pas marché! Quand elle est revenue, ma fille m'a demandé "C'est qui, ça, Jean?"»

Attirée par Jean, Marie-Jeanne souhaite alors s'installer pour de bon à la résidence. Soudainement, elle est prête. En racontant cette histoire, sa voix s'enraye. L'émotion est toujours vive. «Gysèle, l'aînée de mes soeurs, et ma mère vivaient ensemble depuis 10 ans, explique Robert Pilon. Elles avaient leur vie ensemble. Ma mère craignait de briser quelque chose dans la vie de sa fille si elle partait. Aujourd'hui, tout le monde reconnaît que c'était la meilleure chose qui pouvait arriver.»

Les filles de Marie-Jeanne connaissent l'idylle qui pousse leur mère à faire le saut en résidence, mais la femme craint d'en informer son fils. Après 49 ans de mariage et de longues années de veuvage, elle hésite. «Ils jouaient à cache-cache! Quand je venais, Jean retournait dans son logement», se rappelle Robert en riant.

Robert devine rapidement pourquoi sa mère semble si heureuse. Il raconte avec humour que dès qu'il quittait l'appartement de sa mère, celle-ci ouvrait sa porte pour laisser à nouveau entrer «son» Jean. Au bout de quelques semaines, le couple se dévoile enfin, au grand bonheur de tous. «Je suis bien. Jean, c'est un bon gars», lance Marie-Jeanne, les yeux brillants. Loin de juger négativement leur mère, les trois enfants de Mme Dupuis se réjouissent de cette relation.

«Je me disais que mon fils allait dire: "Franchement, ma mère... à l'âge qu'elle a!" J'étais rendue à 90 ans! Il aurait bien pu dire: "Elle est capotée, la bonne femme!"» Puis, en souriant, elle déclare: «Mais il me plaisait, Jean...»

Seul et sans enfant, Jean apprécie la présence de Marie-Jeanne. Le couple habite séparément, mais il passe toutes ses journées ensemble. Jean a la clé de l'appartement de sa douce. «On va déjeuner ensemble, il vient dîner ici, et le soir, on va souper ensemble, raconte Marie-Jeanne. Parfois, on va voir des films. On regarde aussi le hockey, et je lui dis: "À la deuxième période, tu t'en vas chez vous ! Moi, je m'en vais me coucher!" Je n'ai pas besoin de lui dire. Il va regarder la troisième période chez lui!» Jean opine en riant: «Je n'ai pas le choix!»

«C'est en parlant des chevaux qu'on s'est mieux connus. Puis on s'est attachés», résume Mme Dupuis. Elle précise au passage qu'«il a toujours été bien à sa place»! «Trop, même! Une fois, je me collais quand on jouait au bingo. Je disais que c'était le soleil qui m'aveuglait, mais c'était pour me coller! Lui, il se poussait encore plus loin! Je faisais signe à ma fille qui était là, l'air de dire: "Regarde-le donc, lui!" Elle a fini par lui dire: "Elle se colle sur toi, ne te pousse pas sur le mur!" Il pensait que je voulais de la place!»

Cet amour imprévu transporte le nouveau couple. Tous deux soulignent qu'à plus de 90 ans, ils ne s'attendaient pas à retrouver les papillons du début d'une relation. «C'est de l'amour, mais ce n'est pas la même chose qu'à 20 ans, tempère Marie-Jeanne. Il y a aussi beaucoup d'amitié entre nous deux.» Jean ne se fait pas prier pour souligner la franchise et le dynamisme de son amoureuse. Et lorsqu'elle s'inquiète des yeux doux que lui font d'autres femmes, il la rassure: «Je ne vais nulle part. Je suis bien. Je reste ici...»

Démarche photographique

Afin de mettre en lumière la proximité des couples que nous avons rencontrés, nous avons choisi de les prendre en photo sur pellicule 35 mm noir et blanc. Le résultat capté confère une atmosphère particulière aux photos; une ambiance qui se distingue de la photo numérique. Un véritable retour aux sources pour le photographe de La Presse Martin Chamberland !

«Je n'y croyais plus»

Dans leur résidence de Montréal, Cécile Carbonneau et André Guitard se déplacent toujours (toujours!) main dans la main. Les amoureux de 81 et 79 ans se sont «trouvés» il y a un peu plus de cinq ans... à un moment où ils n'attendaient plus rien de l'amour.

En acceptant de remplacer au pied levé l'actrice principale d'une comédie musicale de sa résidence, en 2012, Cécile Carbonneau ne se doute pas que sa vie est sur le point de basculer. L'auteur de la pièce, André Guitard, vient de perdre sa femme. Pour ne pas sombrer dans l'isolement, l'homme s'investit dans ce spectacle. Le duo travaille des partitions et il fait plus ample connaissance. La connexion est évidente, mais la relation demeure chaste.

C'est leur passion commune pour les arts qui aura raison de leur réserve. Par le truchement du hasard, Cécile et André assistent seuls à un concert de Noël à la fin de l'année. En route, Cécile tient le bras de son compagnon pour éviter de glisser. Puis, au moment où la pièce Bel astre que j'adore s'amorce, les deux amis se regardent dans les yeux. «Ça a fait "clic"!» raconte Cécile, le regard brillant. «On communiait à la même chose», ajoute André. Malgré tout, Cécile résiste: «Pour moi, amour égalait souffrance. Je ne voulais pas souffrir.»

Après le concert, le couple attend le métro sur le quai. De l'autre côté, deux jeunes amoureux s'embrassent. André se tourne vers Cécile et lui lance: «C'est beau, l'amour, hein?» La réplique n'est pas celle qu'il aurait espérée: «C'est beau, mais c'est pour les jeunes!» L'homme de 75 ans ne se démonte pas. «L'amour n'a pas d'âge!» fait-il remarquer à Cécile. Les jours filent, et Cécile se rend à l'évidence: ils sont amoureux. «Je ne me suis pas battue longtemps!» raconte-t-elle. À la fin du mois de janvier, le couple s'officialise «enfin».

Pas de temps à perdre: à la Saint-Valentin, les amoureux se fiancent. André subit une opération cardiaque au printemps, et lorsqu'il quitte l'hôpital sain et sauf, une amie du couple s'exclame: «Super! On aura un mariage cet été!» Le 7 août 2013, le couple convole en justes noces. «Mes fréquentations avec André, c'était comme si c'était la première fois pour moi, raconte Cécile. La première fois, pour moi, c'était pour partir de chez moi au plus vite! Et là, c'est un grand amour. Hein, chéri?»

Le couple s'installe alors à la Résidence Élogia, près du parc Maisonneuve, à Montréal. De là, il entend vivre pleinement cet amour inattendu. «Je me sens tellement vivante! Je souhaite ça à tout le monde! J'ai 81 ans faits, mais je ne me sens pas cet âge-là!», s'exclame Cécile. Le couple voyage, suit des cours d'improvisation, fait du théâtre et assiste à de nombreux spectacles. «Il y a une symbiose. On se rejoint», ajoute André.

«Tu veux un café, mon amour?» demande Cécile à son mari. Dans la cuisine, la conversation bifurque: un nouvel amour après 75 ans est-il si différent d'une relation en jeune âge? «L'amour, c'est complexe, philosophe André. Ce n'est pas uniquement physique. C'est la communion de deux personnes. On est corps, oui, mais on est esprit aussi.» Sa femme lui décoche un sourire entendu et ajoute: 

«C'est la tendresse, les caresses... le toucher est important, mais c'est différent. Et puis bon, il faut faire attention à son coeur!»

Cécile a toutefois dû provoquer un peu les choses, au début de leurs fréquentations. «Je l'ai invité chez moi, raconte-t-elle. J'avais un petit divan à deux places, et je lui ai fait remarquer qu'il était distant. Ça l'a provoqué! lance-t-elle en riant. On a commencé à se prendre les mains.» André se défend gentiment: «J'avais appris dans ma vie qu'il fallait prendre son temps avec les femmes: c'est ce que je faisais.» L'ancien directeur de bibliothèque et agent de développement au Rwanda insiste sur la «connexion intellectuelle» qui les lie.

Les proches de Cécile et d'André applaudissent le bonheur des nouveaux mariés. La femme de 81 ans répète d'ailleurs ce que lui avait dit une amie, lorsqu'elle résistait encore à André: «Cécile, pourquoi n'ouvrirais-tu pas ton coeur? Le bonheur, il passe à notre porte, et si on ne le fait pas entrer, il va passer tout droit!» L'air taquin, Cécile lève les yeux vers André: «J'ai laissé entrer, le bonheur. Et je ne l'ai pas regretté!»

Photo Martin Chamberland, La Presse

Cécile Carbonneau et André Guitard se sont rencontrés à un âge avancé et filent le parfait bonheur depuis quelques années.

Un second souffle

Les papillons des premiers rendez-vous n'ont pas d'âge, mais quels sont les effets d'un nouvel amour chez les couples de personnes âgées? Sans être une panacée, ces sentiments auraient tout de même plusieurs impacts positifs.

Un phénomène marginal?

Dans les résidences du Groupe Maurice, où l'on trouve environ 300 appartements, deux à trois nouveaux couples se forment généralement chaque année. «On pense que parce qu'on a 80 ans, la vie de couple ne nous intéresse plus, mais non ! Bien au contraire», explique Chantal Beaulieu, vice-présidente adjointe à l'exploitation au Groupe Maurice. Le psychologue Jean-Luc Hétu remarque que le scénario est souvent le même: «Il s'agit à mon sens d'un phénomène marginal, bien que plus fréquent dans les résidences pour personnes âgées, entre veufs et veuves. On commence à se fréquenter [...], et après un certain temps, l'un des partenaires emménage dans l'appartement de l'autre.»

Briser la solitude

«Les gens qui arrivent chez nous arrivent souvent seuls. Ils viennent briser la solitude, explique Mme Beaulieu. Souvent, on les intègre à des groupes, et il se forme des amitiés... et parfois, des couples. On le remarque quand on les voit arriver main dans la main.» Elle précise toutefois que plusieurs personnes âgées déménagent en résidence après la mort d'un conjoint. «Il y a une période de deuil à vivre, tempère-t-elle. Par contre, le sentiment de partager quelque chose est très fort, peu importe l'âge.»

Impact positif

Le psychologue Jean-Luc Hétu, auteur notamment du livre Psychologie du vieillissement, note qu'en général, les personnes âgées bénéficient d'une relation de couple, pourvu qu'elle soit saine. «Plusieurs recherches démontrent que le simple fait d'être en couple exerce un impact positif sur le système immunitaire et sur la fréquence des ennuis de santé de toutes sortes, en comparaison avec les personnes vivant seules.» Il apporte toutefois un bémol: «La grande majorité des personnes âgées me paraissent heureuses dans leur célibat, surtout si elles ont dû s'occuper longtemps d'un conjoint atteint d'une maladie dégénérative, en particulier d'une démence. [Après] leur deuil, ces personnes goûtent leur liberté retrouvée.»

Réaction des enfants

Et qu'en pense la famille des nouveaux amoureux? «Les enfants sont souvent soulagés d'apprendre la nouvelle, car ils réalisent que leur parent cessera de souffrir de solitude, et que parfois même, il reprendra goût à la vie», soutient Jean-Luc Hétu. Plusieurs personnes âgées vont toutefois attendre un moment avant de vivre un nouvel amour au grand jour. La crainte d'une réaction négative, souvent en lien avec des considérations financières, peut freiner les nouveaux couples. Or, les conflits demeurent rares. «La relation ne reste d'ailleurs pas secrète très longtemps en résidence: c'est un gros village! fait remarquer Chantal Beaulieu. Les familles sont souvent très favorables à ces unions, parce qu'elles notent que le sourire réapparaît!»

Amour distinct

La nature d'une relation de couple chez les personnes âgées varie d'un couple à l'autre, prévient M. Hétu. «Ces amours paraissent moins passionnelles que ça peut l'être au début de l'âge adulte; elles paraissent davantage vécues sur la base d'affinités. Il y a sans doute de nombreuses exceptions, comme il y en a aussi chez les couples plus jeunes...» Le psychologue croit qu'il serait intéressant d'approfondir la question, surtout dans un contexte où les baby-boomers vieillissent. «Il est permis de croire qu'ils seront plus expérimentés, plus sélectifs, non seulement dans le type de partenaire qu'ils rechercheront, mais dans le style de relation qu'ils voudront établir avec lui ou avec elle.»

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