Vous êtes assis dans le bar, face à la porte d'entrée. Vous balayez la salle du regard. Chaque fois que quelqu'un entre, vous levez la tête. Le cellulaire à la main pour vous occuper, vous attendez. Non, vous n'êtes pas seuls.

Des gens comme vous, venus à la rencontre de quelqu'un - un inconnu, une première fois - , les serveurs en voient passer des dizaines. Votre robe sexy, votre pantalon trop chic, rien ne leur échappe. Ils entendent vos conversations moyennement naturelles, voient votre sourire qui se dessine (ou s'efface) et notent, toujours, ce malaise qui s'installe, quand arrive (enfin!) la facture...

«On les appelle les Tindates!», nous dit spontanément le barman et gérant du Bily Kun, Alexandre Filteau.

«Tu le vois tout de suite, enchaîne François Sacchetti, gérant du Roméo. Souvent, le gars est overdressed...»

Tinder Tuesday

C'est que ces rendez-vous anonymes ont, mine de rien, carrément changé la dynamique des bars en quelques années. Tinder affirme générer plus de 1 million de rendez-vous, et ce, chaque semaine. Dans le Washington Post, un propriétaire de bar racontait récemment avoir baptisé les mardis les «Tinder Tuesday »: ces soirées jadis peu occupées, aujourd'hui remplies de couples d'inconnus. «Oui, absolument, confirme Alexandre Filteau. Dans la semaine, il y a beaucoup plus de couples qui viennent nous voir.»

Une nouvelle clientèle qui consomme par contre généralement moins que la moyenne: un verre, et puis c'est tout. Ciao bye. «Ils partent après une première consommation.» Soit c'est que ça ne clique pas (on a déjà vu une cliente se lever et quitter aussitôt son rendez-vous arrivé!), ou peut-être « par prudence », croit Aimée Édith Cloutier, serveuse au Plan B, qui voit passer son lot de «Tinders réguliers», des habitués qui choisissent, tenez-vous bien, toujours la même table... (sans parler de ceux qui enfilent les rendez-vous la même soirée!)

«On a déjà trouvé un papier avec des questions. Des questions basiques, du genre: aimes-tu les animaux? Au moins, la personne était préparée...»

«Les gens ont peur d'avoir l'air fou s'ils consomment trop», reprend le gérant du Roméo.

Finis les échanges

Si «dans le temps» (lire: avant Tinder, il y a quatre ans), les gens sortaient pour «aller à la chasse», reprend le barman du Bily Kun, c'est beaucoup moins le cas aujourd'hui. «Les gens sont plus réservés et ne parlent pas avec les voisins de tables, note-t-il. C'est fou, les gens ne se parlent plus! Nous, à part les groupes, on n'a plus que des tables de deux. Même les tables de quatre sont occupées par des couples.»

Quand échanges il y a, c'est souvent une fois le rendez-vous terminé, et avec le serveur ou le barman, devenus d'office complices. «Je me souviens d'une fille qui est venue me voir au bar, m'a demandé deux shooters de Jameson...», raconte François Sacchetti, du Roméo. Son «Tinder» venait de partir: «on a bien ri, mais ce n'était vraiment pas mon genre», avait-elle confié.

Et puis sachez-le: les serveurs savent souvent avant vous si ça marchera... ou pas! «On a deux ou trois clients réguliers qu'on sait qui sont là-dessus, confie le propriétaire du Laïka, Bruno Ricciardi-Rigault. Et on fait des paris!»