Couper ses petites lèvres ou gonfler ses grandes lèvres. Réparer son hymen ou infliger une cure de jeunesse à sa vulve. La chirurgie intime n'a jamais été aussi populaire. Pourquoi vouloir adapter son sexe au goût du jour? Regard sur un phénomène beaucoup moins intime qu'il n'en a l'air.

LE SEXE FÉMININ SOUMIS À L'ESTHÉTIQUE

Les lèvres? Trop longues, trop pendantes, trop brunes. Le vagin? Trop large. La liste de reproches que les femmes adressent à leurs parties intimes est longue. La mode est aux complexes du sexe et, depuis une dizaine d'années, le succès de la chirurgie intime ne se dément pas.

« Tout le monde s'accorde pour dire que c'est une épidémie de jeunes femmes qui demandent de la chirurgie et qui ne voient pas l'utilité des petites lèvres, constate la Dre Isabelle Girard, présidente de l'Association des obstétriciens et gynécologues du Québec. On a tous le même effarement. »

Aux États-Unis, le nombre de labiaplasties (réduction des petites lèvres) a ainsi bondi de 44 % de 2012 à 2013. C'est la plus forte croissance du secteur après les implants fessiers, selon l'American Society for Aesthetic Plastic Surgery (au Canada, aucun chiffre n'est disponible).

Qui sont ces jeunes femmes? C'est une fille de 12 ans dont la mère juge les petites lèvres anormalement grosses. Ou une ado qui a tellement honte de l'apparence de son sexe qu'elle ne peut faire l'amour à la lumière. Ces cas rapportés par la gynécologue Céline Bouchard illustrent la forte demande pour la labiaplastie.

Prise en charge par la Régie de l'assurance maladie du Québec quand les femmes témoignent d'une gêne physique, la labiaplastie est toutefois loin de faire l'unanimité chez les gynécologues.

« Il y a des malaises dans notre profession. C'est un peu comme l'avortement », illustre la Dre Bouchard.

POPULAIRE

Cette demande n'a pourtant pas échappé aux chirurgiens plastiques et esthétiques de la région de Montréal, qui sont nombreux à offrir cette opération.

En moyenne, une labiaplastie nécessite une anesthésie locale et dure de 20 à 45 minutes. Son prix peut varier de 2500 $ à 5000 $.

Et les filles complexées par leur vulve ne sont pas rares, croit le Dr Papanastasiou, chirurgien plastique montréalais.

« On peut avoir autant de complexes pour sa vulve que pour ses petits seins », dit celui qui fait en moyenne de deux à quatre opérations des petites lèvres par semaine.

APRÈS « LA GUERRE DU POIL »

Depuis l'avènement de l'épilation intégrale, le sexe féminin ne se dérobe plus aux regards et révèle une anatomie encore mal comprise. Mis à nu, le sexe féminin est-il pour autant libéré?

« C'est une fausse idée de la libération », déplore Richard Poulin, professeur émérite de l'Université d'Ottawa, spécialiste de l'hypersexualisation et de la pornographie.

Longtemps jugé érotique, le poil pubien a en effet disparu non pas sous l'influence de l'émancipation des femmes, mais plutôt à la suite de l'essor des magazines comme Playboy et Penthouse, qui l'ont chassé de leurs photos pour contourner la censure.

C'était la « guerre du poil », et elle a fait au moins une victime : la toison intime, reléguée, dans l'univers du X, à une sous-catégorie (le hairy porn). Le sexe imberbe est devenu la norme. Et avec lui, le souci d'avoir un sexe qui correspond aux canons du moment.

Il suffit aujourd'hui de feuilleter des magazines féminins pour constater que des vedettes mettent volontiers leur entrejambe en valeur par leurs vêtements moulants ou par l'absence de pantalons (on pense à Miley Cyrus, Lady Gaga ou Beyoncé), et affichent une plastie sans reliefs... et sans débordements.

« Beaucoup de femmes voient des films pornos où tout est "clean", et c'est ce qu'elles veulent. Je ne peux pas expliquer cette demande autrement qu'en disant : "C'est notre société qui veut ça" », explique le Dr Carlos Cordoba, chirurgien plasticien et esthétique de Montréal.

OBJECTIF ABRICOT

Cette quête n'épargne pas les femmes plus mûres, à qui la chirurgie esthétique promet un rajeunissement du sexe.

Le Dr Cordoba observe que le « lipofilling » (l'injection de ses propres graisses dans les grandes lèvres) devient de plus en plus populaire auprès des femmes ménopausées, qui cherchent à éviter que leur vulve « ratatine ».

Les rides ne sont plus seulement traquées sur le visage et le cou : il faut aussi avoir des grandes lèvres et un mont de Vénus dodus.

« Ce ne sont pas toutes les cultures qui s'intéressent au rajeunissement de la vulve », relativise la Dre Geneviève Blackburn, médecin généraliste spécialisée en esthétique, qui a sa clinique à Montréal. Ce type d'opération est plus prisé des femmes d'origine sud-américaine, observe Mme Blackburn, dont la pratique compte des travailleuses de l'industrie du sexe, tout comme des « madames Tout-le-Monde ».

« C'est important de ménager les attentes, dit-elle. Si une femme a 50 ans, malheureusement, elle n'aura pas une vulve de 20 ans. Il faut apprendre aux patientes à s'accepter. Le but, ce n'est pas d'avoir 15 ans toute sa vie. »

NORMES

La nymphoplastie est une opération relativement récente, mais l'idée de couper les lèvres, elle, n'est pas nouvelle. Tout au cours de l'histoire (en Occident et ailleurs), la religion puis la médecine n'ont pas épargné le sexe féminin.

En cela, se couper les lèvres et soumettre son sexe aux modes n'est peut-être pas si éloigné des pratiques de mutilation comme l'excision, ou d'autres pratiques fréquemment critiquées comme l'hyménoplastie.

« On peut en tout cas repérer des représentations communes en jeu dans ces pratiques autour de l'importance de conformer le sexe féminin à des codes régissant la sexualité, nuance Mme Piazza, qui a consacré sa thèse à la nymphoplastie. Ces trois pratiques sont orientées par des représentations qui considèrent le sexe comme sale, anormal, impur, et capable d'une activité débordante et dangereuse. »

LEXIQUE DES OPÉRATIONS INTIMES

HYMÉNOPLASTIE

La restauration de l'hymen. Ce type d'opération, prisé des femmes issues des cultures maghrébines, est assez fréquent à Montréal. « Ce sont des femmes brillantes, qui sont rendues à penser au mariage, mais qui sont à cheval entre deux cultures », dit le Dr Mario Luc, chirurgien plastique qui a sa clinique à Laval. « Ces femmes ne sont pas dupes, elles savent qu'elles ne redeviennent pas vierges, mais elles ne veulent pas de problèmes pour leur mariage. » Cette opération est rapide, mais coûte plusieurs milliers de dollars.

LABIAPLASTIE

Aussi connu sous « nymphoplastie », c'est la réduction des petites lèvres au niveau de la vulve. L'opération peut réduire une ou deux lèvres. À noter, selon les gynécologues, qu'il n'existe pas de lèvres anormales. Aujourd'hui, les femmes qui consultent un professionnel pour une labiaplastie demandent à ce que leurs petites lèvres ne dépassent pas les grandes lèvres. Le Dr Mario Luc constate que cette opération intime est la plus demandée après les opérations mammaires chez ses clientes.

VAGINOPLASTIE

C'est la restauration (ou le rajeunissement) du périnée et du vagin. « La plupart du temps, ce sont des femmes qui ont eu un, deux, trois ou quatre enfants, et dont le canal vaginal est plus large. Les déchirures peuvent aussi mal cicatriser », dit le Dr Carlos Cordoba. Le canal est alors resserré. Cette opération peut coûter plus de 7000 $.

LA COULEUR DU SEXE

Les parties génitales deviennent « brunes » avec la puberté. Mais en ces temps de blanchiment anal, cette teinte est elle aussi mal vue, et des femmes ayant une labiaplastie demandent parfois à être débarrassées des parties les plus colorées de leurs lèvres. « Elles préfèrent que ce soit plus rose, alors j'enlève la partie la plus pigmentée », dit le Dr Mario Luc.

ILLUSTRATION LA PRESSE

Des pratiques contestées

Les états d'âme d'un chirurgien plastique

Ôter les poils de son sexe et chercher à lui redonner une apparence prépubère encourage-t-il les goûts des pédophiles? C'est ce que croit un chirurgien montréalais. « On n'aide pas [à lutter contre la pédophilie] en donnant aux femmes des sexes d'apparence prépubère », confie-t-il. La profession crée des excès... et les nourrit. « On voit souvent des femmes avec des lèvres monstrueuses. On se dit : mais qui fait ça? La réponse, c'est nous. On le fait parce que c'est rentable de le faire. Quand quelqu'un vient nous voir, on voit de l'argent. »

Les gynécologues divisés

Selon la Dre Céline Bouchard, les labiaplasties faites en milieu hospitalier (et prises en charge par la RAMQ) suscitent parfois des réactions hostiles du personnel soignant. « C'est mal vu », dit-elle. La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada a pour sa part rendu un avis négatif sur la chirurgie esthétique génitale des femmes (la Dre Céline Bouchard est l'une des signataires), accusant ceux qui en vantent les mérites dans des pubs de créer des « besoins factices ». Mme Bouchard en pratique une vingtaine chaque année et se dit « ambivalente ». « On ne peut pas dire aux femmes qu'elles sont anormales. Mais il faut aussi respecter une femme adulte, qui a ses désirs. »

>>> L'avis rendu en décembre 2013

Silence du côté de la RAMQ

Le nombre de labiaplasties couvertes chaque année par la RAMQ reflète-t-il la popularité de cette pratique observée par les chirurgiens plastiques? Contactée huit jours avant la parution de cet article, la Régie n'a pas eu le temps de trouver la réponse à notre question et ne nous a fourni aucun chiffre. La RAMQ devrait-elle continuer à prendre en charge cet acte qui est de plus en plus demandé pour des raisons esthétiques? Cet acte doit-il encore être « codé »?

« Il n'y a aucun signe que la fréquence des labiaplasties est en hausse et que des tonnes d'argent public sont investies là-dedans », répond la Dre Isabelle Girard, présidente de l'Association des obstétriciens et gynécologues du Québec (AOGQ). L'AOGQ ne compile pas de chiffres sur ce sujet.

Des opérations qui tournent à l'amputation

La labiaplastie est-elle une opération aussi bénigne que le prétendent les publicités? Pas vraiment. Ainsi, le Dr Mario Luc fait aussi des réparations auprès de femmes qui ont été « ratées » ailleurs. « Cette semaine, j'ai eu une femme qui a été complètement amputée. Il ne reste plus rien de ses lèvres. Elle veut une reconstruction esthétique », dit-il. « La reconstruction peut améliorer la situation. Mais l'idéal, c'est de ne pas se faire manquer. Ce n'est pas une opération à prendre à la légère. »

ILLUSTRATION LA PRESSE