Qu'est-ce que c'est au juste, être fidèle? Fidèle à qui? À quoi? Et l'infidélité, pourquoi ça fait mal? Aussi mal? Cette délicate question a été étudiée en long et en large, mais essentiellement dans le contexte de couples hétérosexuels. D'où la question: et les femmes, entre elles, qu'en pensent-elles?

Une candidate à la maîtrise en sociologie à l'UQAM, Johanne Lavoie, a décidé de s'attaquer précisément à cela: le concept de fidélité chez les femmes homosexuelles.

Nous l'avons rencontrée pour élucider quatre grandes questions qui, malgré nos airs de femmes libérées, continuent de déranger...

Une question de morale pour les femmes

Johanne Lavoie le précise d'emblée. Elle n'est ni sexologue ni psychologue. Encore moins experte en questions de genre. Ce qui l'intéresse, c'est le «concept» de la fidélité. En un mot: comment on la définit, on l'applique, on la vit. Et comment on la subit, aussi.

Pour comprendre comment les femmes définissent la fidélité entre elles, il est important de remonter dans l'histoire, croit-elle. «Même si, évidemment, l'histoire n'est pas une ligne droite.»

Du coup, la fidélité - et ses longs entretiens avec des femmes lesbiennes, âgées de 20 à 50 ans, le confirment - relève pour elles du domaine du devoir moral, quasi philosophique. Pour les femmes, qui, pardonnez le cliché, ont tendance à mélanger désir et amour, la fidélité se définit donc en termes de confiance, d'honnêteté, de valeurs, de respect et, par-dessus tout, d'exclusivité sexuelle. «Fondamentalement, le concept a une haute teneur morale et une grande épaisseur historique.»

Et pour les hommes, une question de contrat

Les hommes, qui n'ont jamais, historiquement, été tenus d'être fidèles, ont une conception de la fidélité forcément différente. Pour eux, la fidélité est un «contrat entre individus, entre les parties impliquées. Et il est toujours possible de l'ouvrir pour en modifier les modalités». Du coup, pour les hommes, qui ont appris à distinguer le désir de l'amour, l'exclusivité sexuelle n'est pas forcément associée au contrat. Mais elle le peut. «Les hommes gais, s'ils sont fidèles, c'est parce qu'ils en ont vraiment envie. Cela relève de leur contrat moral.»

Les femmes lesbiennes, doublement fidèles?

La question se pose. En effet, si, historiquement, les femmes ont été forcées socialement à la fidélité, est-ce que deux femmes en couple sont deux fois plus fidèles? Ou à tout le moins, doublement soumises à cette norme morale? Chose certaine, la question de l'amour et des émotions dans la définition de la fidélité est non seulement «fondamentale», mais ici «doublement renforcée», répond la chercheuse.

Mais la femme libérée, elle, où est-elle alors? Vrai, le discours entourant la fidélité au sein du couple a beaucoup évolué avec les années. Les femmes rencontrées par la chercheuse le confirment: elles parlent de plus en plus des divers modèles amoureux, de possibilités conjugales de toutes sortes, polyamours, trios, etc. Mais dans les faits? Au-delà du discours? «La monogamie demeure LE modèle conjugal», confirme Johanne Lavoie. Pensez-y: deux femmes, avec une conception commune de la fidélité en tant qu'exclusivité, est-ce vraiment surprenant?

L'infidélité, une question de perspective

Ce qui mène évidemment à l'épineuse question de l'infidélité, un concept finalement très variable, selon notre définition de la fidélité. Si, comme les femmes lesbiennes, vous voyez la fidélité comme une question d'exclusivité sexuelle, bref, une relation monogame, forcément, une incartade met en péril l'existence du couple, puisqu'elle sera associée à un abus de confiance, terriblement douloureux. À l'inverse, si la fidélité est perçue comme un contrat (comme pour les couples gais) et qu'à l'intérieur de ce contrat, on s'entend sur certaines libertés, alors une aventure ne vient pas nécessairement mettre en péril le couple. L'aventure n'est pas associée à un abus de confiance ni à de la malhonnêteté, puisqu'elle est en quelque sorte prévue dans le contrat. «Toutes ces questions touchent finalement l'éthique du vivre ensemble», conclut la chercheuse. D'où la grande et existentielle question: «Quand on voit le nombre de célibataires, de séparations, de divorces, est-ce que le couple monogame est vraiment ce que l'on veut?»