L'inévitable question de la contraception revient hanter les couples une fois que la famille est complète. Stérilet? Retour au condom? Une application sur son téléphone? L'abstinence n'étant pas vraiment une option, des milliers de couples québécois règlent la question une fois pour toutes et choisissent la « grande opération ». Le plus souvent, c'est monsieur qui se fait sectionner les autoroutes à spermatozoïdes.

La plus petite des grandes opérations

Simon* a pris sa décision: il va subir une vasectomie. Il a 40 ans, son aîné a commencé l'école, sa petite dernière a 4 ans. Avec sa blonde, qui vient d'avoir 38 ans, il a été convenu qu'il n'était plus question d'agrandir la famille. Il a déjà eu son rendez-vous préopératoire, ne lui reste qu'à passer à l'acte...

« Je pensais qu'il allait sortir de là et prendre son rendez-vous pour la vasectomie. Ça fait cinq mois qu'il a son petit papier, mais il ne l'a pas encore fait », rigole Mylène, sa conjointe. Simon aurait pourtant pu subir l'intervention une petite semaine après avoir été vu par le médecin. Pourtant, il branle dans le manche.

« Je dealais encore avec l'idée de perdre mon pouvoir de géniteur », explique Simon, pour justifier sa décision de repousser l'opération. Songer à la vasectomie l'a incité à s'interroger sur la masculinité. Il y a aussi la console Nintendo qui le détourne de ses bonnes intentions, glisse-t-il, en sachant très bien que ce n'est pas une excuse très convaincante...

Champion de la vasectomie

Une fois passé sous les ciseaux du médecin, Simon fera partie de ces très nombreux Québécois vasectomisés. En effet, quelque 13 500 hommes subissent cette intervention chaque année au Québec, un chiffre stable depuis 10 ans qui place la province parmi les champions mondiaux de la vasectomie.

« Il y a des pays comme la Nouvelle-Zélande où il s'en fait aussi beaucoup, dit le Dr Michel Labrecque, qui a pratiqué des milliers de vasectomies ici et ailleurs dans le monde. Je sais que le Bhoutan a déjà été sur la «map», mais les chiffres ont baissé. Il y a aussi l'Angleterre et la Hollande où il se fait plus de vasectomies que de ligature des trompes, mais chez nous, c'est vraiment beaucoup plus. »

Les derniers chiffres publiés par l'Institut de la statistique du Québec sont éloquents: il s'est pratiqué 13 798 vasectomies contre 2768 ligatures en 2011. « Ce qui est marquant, c'est la chute draconienne des ligatures », remarque le Dr Labrecque. La ligature des trompes est en baisse constante depuis 1978 et a été surpassée par la vasectomie il y a 25 ans déjà.

« Il n'y a aucun tabou sur la vasectomie au Québec. Comme si ça faisait partie du parcours naturel, une fois que la famille est faite », remarque-t-il par ailleurs. Simon le confirme: « Ceux qui l'ont fait ou qui ont considéré l'option en parlent facilement. »

L'idée des femmes?

« L'an dernier, ça se jasait dans le vestiaire au hockey, raconte aussi Yannick. Ça doit venir des blondes, j'imagine. » Lui-même a subi une vasectomie il y a deux ans, un peu avant d'avoir 40 ans. « La décision m'a été un peu imposée. Ce n'était pas un désir ardent de mon bord », admet-il. Yannick s'empresse toutefois de préciser qu'il « n'a pas résisté ».

Mylène avoue que c'est elle qui a mis l'option sur le tapis avec Simon. « Ça a toujours été moi qui ai pris quelque chose pour empêcher la famille, fait-elle valoir. On a été très négligents pendant quelques années et on a été chanceux parce qu'on n'a pas eu de grossesse [non désirée]. » Pour son couple, l'heure n'est toutefois plus au risque.

Simon, Yannick et Francis, qui s'est fait vasectomiser à 33 ans, jugent tous les trois normal pour l'homme d'en arriver à prendre le relais de la contraception après que leur blonde en a été la principale responsable pendant des années. Alors, la vasectomie, pourquoi pas? Surtout que cette intervention est relativement courte (une quinzaine de minutes) et plutôt légère, puisqu'elle n'exige qu'une anesthésie locale alors que la ligature des trompes se fait sous anesthésie générale.

« Coupé, broché, brûlé »

Yannick et Francis ont tous deux subi une vasectomie classique, pratiquée à l'aide d'une incision sur le bord de chaque testicule. « Coupé, broché et brûlé », résume Francis, pour parler de son opération incluant incision, ligature et cautérisation des canaux. Yannick, lui, ne sait pas trop. « Je n'ai pas posé beaucoup de questions, parce que j'imagine que je ne voulais pas avoir trop de détails », dit-il.

« Tout le monde me disait: après l'opération, tu te mets un sac de pois gelés sur la poche et tout va bien aller, caricature-t-il. Moi, ça n'a pas été si bien que ça. » D'un côté, tout était O.K., mais de l'autre, son scrotum a gonflé, bleui et s'est révélé douloureux. « Tu te mets à craindre les infections et les complications », raconte-t-il. Il a souffert pendant une semaine, mais ne s'est finalement pas retrouvé dans le 1 % des hommes qui vivent des complications après l'opération.

Francis n'a pas eu de conséquences imprévues. Il se rappelle surtout que, le jour de son opération, il est allé visiter un ami à vélo... et qu'il est plutôt rentré à pied. « C'est mon seul regret », assure ce papa de trois enfants, aujourd'hui âgé de 36 ans. Point bonus: il ne fait plus ce cauchemar autrefois récurrent de l'arrivée d'un quatrième enfant!

Simon, lui, ne vit pas d'inquiétude quant à sa vasectomie à venir. Il sait que ça ne change rien à la mécanique sexuelle - l'éjaculation demeure, les érections sont inchangées, etc. Il a vérifié. « Tous les gars à qui j'en ai parlé m'ont dit que ça n'avait rien changé à leurs habitudes et à leurs pratiques: ils ont toujours envie de baiser et se masturbent une fois par jour comme avant! », lance-t-il, d'un ton léger.

Il lui suffit maintenant de prendre le téléphone. « Le décompte est commencé, ma blonde a déjà pris son rendez-vous pour faire enlever son stérilet », dit-il. Ce que Simon ne savait pas, c'est qu'elle ne l'avait pas encore fait au moment de parler à La Presse+. Mylène a toutefois assuré qu'elle le ferait sitôt l'entrevue terminée... Ne reste qu'à défroisser le petit papier.

* Les prénoms ont été changés.

Une stérilisation définitive

Le Dr Michel Labrecque dit s'assurer que ses patients comprennent bien ce qu'est la vasectomie avant de la pratiquer. « Il y a des gens qui pensent que ça se déconnecte et que ça se reconnecte comme on veut, ce n'est pas le cas », dit-il. La vasectomie est une stérilisation en principe définitive. Il est possible de tenter de la renverser (cette opération s'appelle vasovasostomie), mais le succès de cette autre opération est loin d'être garanti. Il s'agit par ailleurs d'une intervention plus complexe d'environ deux heures sous anesthésie.

Sans bistouri, sans suture

La technique de la vasectomie sans bistouri a été inventée en 1974 par un médecin chinois et introduite au Canada en 1992 par le Dr Michel Labrecque, qui en a pratiqué des milliers dans sa clinique de Québec. Explications.

  1. Le chirurgien procède à une anesthésie locale à l'aide d'une microaiguille ou d'un jet d'anesthésiant.

  2. Il identifie et saisit le canal déférent à travers la peau du scrotum préalablement rasé.

  3. La peau du scrotum est percée sur quelques millimètres à l'aide d'une pince au bout très pointu. Les deux canaux seront sectionnés l'un après l'autre à l'aide de ce seul petit trou.

  4. Le chirurgien extirpe le canal déférent, le coupe, pratique des ligatures sur chacun des deux bouts qui sont ensuite cautérisés - c'est cette petite brûlure que certains confondent avec un « laser ». Le canal est ensuite réintroduit dans le scrotum.

  5. Une fois les deux canaux coupés - un pour chaque testicule -, l'opération est terminée en une dizaine de minutes. Généralement sans points de suture.

L'avis du médecin

Le Dr Michel Labrecque recommande aux hommes de s'informer des techniques utilisées par le médecin avant de subir l'intervention. « Toutes les techniques ne sont pas égales devant Dieu », prévient-il. Deux broches ou deux fils pour ligaturer les canaux déférents ne suffisent pas, selon lui. « Il y a beaucoup d'échecs », insiste-t-il. Pour assurer le succès de l'opération, il faut aussi cautériser les bouts des canaux et faire en sorte qu'ils ne se touchent pas - ce qu'il appelle « l'interposition du fascia ». « Quand on combine ces deux techniques-là, l'efficacité est très grande », assure-t-il.

Un tabou en France

C'est un mot que les Français préfèrent ignorer. À sa simple évocation, une grimace d'horreur absolue se dessine sur leurs visages. Une véritable mutilation, estiment certains, un acte barbare pour d'autres, la vasectomie est très peu pratiquée en France et se révèle être un tabou.

« En Europe, plus on descend vers le sud, moins la vasectomie est pratiquée et acceptée. Il y a clairement une bonne dose de machisme reliée à cela. C'est une pratique anglo-saxonne. En France, qui reste tout de même un pays méditerranéen, la vasectomie est très peu développée », constate Stéphane Droupy, professeur d'urologie au CHU de Nîmes et responsable du Conseil scientifique de l'Association française d'urologie.

Il faut dire que la stérilisation à visée contraceptive est un acte chirurgical qui a été légalisé seulement en 2001. « Avant, il fallait avoir une justification médicale à léser un organe sain, que ce soit la ligature des trompes ou la vasectomie. Les rares médecins qui acceptaient de le faire quand même prenaient des précautions personnelles vis-à-vis des patients pour ne pas qu'il y ait de poursuites. Malgré la loi, ce principe prévaut encore, on a dans l'esprit que ce n'est pas bien de léser un organe sain. De plus, le souhait du patient ne sera pas forcément pris en compte, surtout s'il est jeune et sans enfant. On le protège contre lui », explique le Dr Stéphane Droupy.

La loi stipule que seules les personnes majeures peuvent demander une stérilisation à visée contraceptive, puis la loi impose un délai de réflexion de quatre mois entre la première consultation et l'intervention chirurgicale de stérilisation. L'urologue doit expliquer aux patients qu'ils ont le droit de conserver du sperme dans une banque, car si jamais ils changeaient d'avis, il y aurait toujours cette possibilité. Au moment de cette première consultation, il doit aussi diriger les patients vers le site internet du ministère de la Santé qui présente les autres moyens de contraception.

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Quatre mois plus tard, lors de la seconde consultation, le patient devra confirmer par écrit sa volonté d'accéder à l'intervention, puis c'est à la prochaine rencontre que sera pratiquée l'intervention chirurgicale.

Plus facile au Québec

L'urologue français a pratiqué un an au Québec, au CHU de Sherbrooke, il y a quelques années. Il se souvient très bien de la première fois qu'il a vu un patient pour une vasectomie. Lors de la consultation, il a exposé en détail, comme en France, toutes les informations concernant la vasectomie.

« J'ai reçu un coup de fil du médecin traitant me demandant ce qui s'était passé! En entendant mon accent, le médecin a tout de suite compris la situation et m'a dit qu'ici, on fait confiance aux patients, qu'ils savent ce qu'ils font et n'ont pas besoin de délai de réflexion », se rappelle-t-il.

Encore aujourd'hui, la plupart des médecins français refusent de faire des vasectomies à des patients trop jeunes qui n'ont pas d'enfants.

« Je ne refuse pas de le faire, mais ça nécessite plus de discussion. Ce n'est pas naturel, mais on peut considérer qu'il y a de bonnes raisons de le faire, mais il faut vraiment s'assurer des motivations. »

Cette facilité à se faire vasectomiser au Québec renferme des travers, selon le Dr Droupy. Il y a beaucoup de patients qui changent d'avis et qui souhaitent un renversement de la vasectomie, appelée une vasovasostomie. « C'est peut-être très facile de faire une vasectomie, j'en faisais 10 ou 15 par semaine au CHU de Sherbrooke contre 1 par mois en France, mais si vous regardez les délais d'attente pour une vasovasostomie, c'est parfois jusqu'à deux ans au Québec, car très peu de spécialistes la pratiquent. »

D'autre part, les couples se séparent et il arrive fréquemment que les hommes souhaitent refonder une famille avec une nouvelle compagne. « Quand on observe en Amérique du Nord les problèmes des hommes qui ont recours à la procréation assistée, le nombre de causes obstructives est très élevé (dues à des vasectomies). C'est sans comparaison par rapport à la France. Ce sont à l'évidence des seconds mariages d'hommes de plus de 40 ans qui ont été vasectomisés. »

Nouvelle conjointe, nouvelle famille

Au Québec, le nombre de vasovasostomies est estimé à 500 par année, contre 13 500 vasectomies (donc 3,7 %). « C'est toujours agaçant », convient le Dr Michel Labrecque, qui pratique la vasectomie depuis 1981. Il ne croit tout de même pas que c'est parce que ses collègues ou lui-même se sont trompés en évaluant les motivations des patients au cours de la rencontre préopératoire. « Ce n'est pas qu'ils ont des regrets », dit-il, pour expliquer les demandes des hommes. Il parle plutôt de changement imprévu dans la vie des hommes qui rencontrent une nouvelle conjointe et, finalement, désirent un nouvel enfant.

Chaque année, seuls quelques milliers de Français ont recours à la vasectomie. En 2010, on en comptait 1961, puis 2323 en 2012, et 3155 en 2013. En général, ce sont des couples où il y a une contraception impossible pour la femme, car il y a une contre-indication médicale. Le côté pratique de la vasectomie n'est pas mis en valeur en France.

« Il y a une évolution, d'une part, parce qu'on a une ministre de la Santé qui est une femme, Marisol Touraine, et qu'elle a lancé l'an dernier une grande campagne de sensibilisation sur les différents moyens de contraception. De plus, avec les problèmes des pilules de troisième génération, elle a demandé un rapport complet sur la contraception en France pour établir la liste de tous les moyens de contraception, dont la vasectomie qui commence à sortir de la confidentialité. D'autre part, je dirais qu'il y a aussi une tendance à la parité (rien par rapport au Québec): quand les femmes décident de ne plus avoir d'enfants, le mari n'a pas beaucoup de bonnes raisons de refuser la vasectomie, à moins qu'il ait d'autres idées derrière la tête! », estime l'urologue français Stéphane Droupy, père de cinq enfants et qui précise qu'il n'est pas vasectomisé.

- Olivia Lévy