Patrick Moote a un petit pénis. C'est la raison pour laquelle sa fiancée a refusé de l'épouser. C'est aussi le point de départ de Unhung Hero, documentaire culotté et un peu cowboy où l'Américain voyage de la Californie à la Papouasie à la recherche de toutes les méthodes possibles et imaginables pour augmenter le gabarit de son sexe. La virilité se mesure-t-elle encore et depuis toujours à la longueur du pénis?

Est-ce que ça prend du courage pour faire un documentaire sur son petit pénis? «Ça prend quelque chose, convient Patrick Moote. Ou plutôt pas assez de quelque chose...» Avec un ami réalisateur, il a concocté un documentaire foutraque qui braque les projecteurs sur cet organe qui fait la fierté... ou la honte des gars.

Pourquoi rendre votre histoire aussi publique?

Quand j'ai raconté à mon ami Brian Spitz que ma fiancée avait refusé de m'épouser parce que mon pénis est trop petit, on a commencé à parler de la possibilité de faire quelque chose. On s'est demandé si la taille est importante et si des informations crédibles étaient disponibles à ce sujet. On a fouillé et il n'y avait vraiment rien. (...) On y a vu l'occasion de faire quelque chose de potentiellement positif tout en s'informant nous-mêmes.

On parle beaucoup de votre pénis dans le film, mais on ne le voit pas. Pourquoi?

On a pris cette décision au moment du montage. Mon pénis a été filmé bien des fois, il était impossible de faire autrement dans ce genre de tournage: il a été mesuré, examiné, etc. Mais on a réalisé que si on ajoutait cette espèce de moment Boogie Nights, on renforcerait l'idée que c'est correct de juger quelqu'un en fonction de la taille de son sexe. Ce n'est qu'au moment du montage qu'on a pris conscience du vrai sens du film et que de me mettre sous les projecteurs de cette manière allait à l'encontre de ce message-là.

Avez-vous eu l'occasion de parler avec d'autres hommes, dans un groupe de soutien, par exemple?

On a trouvé un groupe de soutien pour les hommes avec des petits pénis, oui. Ces scènes ont été coupées au montage, mais je pense qu'il y en a un bout dans les suppléments sur le DVD. C'était trois ou quatre gars. On s'est assis et on a discuté. C'était très intéressant de voir combien ces hommes étaient minés par cette insécurité et ça m'a fait réaliser que la mienne aurait pu être pire. Celle que je vivais, moi, n'était pas aussi terrible que ce que ces hommes-là vivaient en étant confrontés au même problème.

Votre question initiale était: est-ce que la taille compte? Avez-vous une réponse?

Ma réponse à moi serait que la taille ne compte pas, mais la vérité c'est que la taille compte pour certaines personnes, de diverses manières. Trop gros, c'est un problème pour bien des gens. La plupart des filles disent que trop gros, c'est un plus gros problème que trop petit. Je pense que l'important n'est pas seulement de trouver une personne avec qui on s'entend bien émotivement et mentalement, mais aussi physiquement. J'ajouterais toutefois ceci: l'idée que les gens se font d'un pénis normal est vraiment distordue.

Il est en effet très facile de trouver sur l'internet des forums où des hommes s'inquiètent de leur sexe...

Je pense qu'il est très difficile pour les hommes de trouver l'information adéquate. Juste la rechercher, c'est admettre qu'on n'est pas un homme. Alors, les hommes se tournent vers une source d'information facilement accessible: la pornographie. (...) La première fois que j'ai vu un autre pénis, c'était dans un film porno. Je me suis dit: mais qu'est-ce que c'est que ça? J'ai un pénis et il ne ressemble pas du tout à ça!

Vous avez exploré diverses méthodes censées augmenter la taille du pénis. Y en a-t-il une qui fonctionne?

La chirurgie, en Corée, si on veut augmenter la circonférence du pénis, c'est une façon de faire. Le corps réabsorbe une partie de la graisse injectée, mais selon ce que j'ai entendu, c'est une méthode assez efficace et assez permanente. En ce qui concerne les pilules, les pompes et le «jelquing», j'ai parlé à des gens qui m'ont dit que ç'avait fonctionné pour eux et qui n'avaient aucune raison de me mentir. Selon mon expérience personnelle, c'était beaucoup de travail pour pas grand-chose...

Le film compte un passage très inquiétant, celui où un homme s'apprête à vous injecter de l'huile dans le corps du pénis. Vous y avez vraiment songé?

Quand j'ai vu ce que le gars faisait vraiment, qu'il faisait couler son huile d'une bouteille de Coke, j'ai vraiment commencé à m'inquiéter. Je m'étais dit que j'allais dire oui à tout. On était en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au milieu de nulle part, il n'était pas question que je laisse passer cette occasion sans me rendre le plus loin possible avant que le bon sens ou la peur du sida ne me rattrape. C'est ce qui est arrivé.

Est-ce que ce documentaire a eu un impact sur votre vision des stéréotypes féminins?

J'ai toujours été conscient que les femmes sont soumises à d'énormes pressions de la part des médias ou des hommes. Je crois avoir toujours été sensible à ça. La notion du corps des femmes comme objet est bien implantée dans notre société. Je constate qu'on en arrive au même point avec les hommes. Nous subissons tous d'énormes pressions pour être, agir et correspondre à un certain modèle. Un modèle impossible à atteindre pour la majorité des gens.

Votre petit pénis, vous vous en fichez, maintenant?

Je ne peux pas dire que je m'en fiche. Je suis engagé dans une relation en ce moment et ce n'est pas comme si je me promenais tout nu dans la maison. Je continue à couvrir mes parties intimes rapidement. Faire ce film n'a pas été une cure, mais ça m'a aidé à être plus à l'aise avec moi-même et à trouver quelqu'un qui soit à l'aise avec cette partie de moi comme avec le reste.

Le film Unhung Hero est notamment offert sur la plateforme Netflix et l'iTunes Store.

Une inquiétude de taille

Des dizaines de godemichés sont accrochés aux présentoirs de la boutique Séduction, boulevard Métropolitain. Il y en a des petits et des gros, parfois à l'effigie d'acteurs porno, mais la plupart sont de taille tout à fait raisonnable. «Les femmes veulent en général un modèle standard, six pouces, explique Sandra Laforce. Ce sont plus souvent les hommes qui partent avec un gros format pour leur conjointe que les femmes elles-mêmes.»

Étonnant? Pas tant que ça. Que les hommes optent pour un godemiché de taille supérieure à la moyenne est peut-être un signe que leur propre rapport au pénis est distordu: près d'un homme sur deux, selon une étude américaine, souhaiterait en avoir un plus gros. Et la quasi-totalité d'entre eux  (94%) surestiment la taille d'un pénis normal, ce qui explique peut-être pourquoi ils sont nombreux à être atteints du «syndrome du vestiaire», c'est-à-dire à craindre de se dénuder devant d'autres hommes de peur d'être le moins bien membré du groupe.

«Les gars sont plus fascinés par le pénis que les filles en général, croit d'ailleurs Laura*. Ils veulent savoir s'ils sont normaux, ce que les filles en pensent. Je pense que c'est plus important pour les gars que pour les filles.» Son intuition est juste: une forte majorité de femmes (85%) se disent satisfaites du sexe de leur conjoint.

D'où vient ce décalage avec la réalité? Peut-être du fait que la sexualité joue encore un rôle important dans la définition de ce qu'est un homme. «Il y a une forme d'adulation du gros pénis dans notre société, c'est une marque de puissance, de plus grande virilité», expose Gilles Tremblay, professeur de sociologie à l'Université Laval.

Ne vous fiez pas au David de Michel-Ange, marbre viril au sexe pourtant modeste dans les bras duquel Céline Dion a pris la pose récemment : la petitesse de son sexe était idéologique et représentait son esprit civilisé. L'équation entre gros pénis et virilité se fait depuis des siècles. Des vases érotiques montrent d'ailleurs que ceux qu'on peignait en Grèce antique n'étaient pas particulièrement fluets...

La faute à la porno?

Montrer d'impressionnants sexes masculins - et l'extase que provoque leur simple vue - demeure la norme, de nos jours. «Il est trop facile de ne pointer qu'un seul phénomène, mais il faut admettre qu'on assiste à un surcroît de visibilité de la pornographie, constate Simon Corneau, du département de sexologie de l'UQAM. Elle vend une image spectaculaire qui peut faire naître un doute dans l'esprit des hommes et des femmes.»

Patrick Moote, «héros» du film Unhung Hero, est le premier à dire qu'il s'est senti «petit dans ses culottes» lorsqu'il a regardé de la porno pour la première fois. Il n'est pas le seul: des hommes gais que Simon Corneau a rencontrés dans le cadre de ses recherches doctorales lui ont aussi confié s'être interrogés sur leur masculinité après avoir visionné un film XXX.

Le sociologue Marc Lafrance, de l'Université Concordia, estime que nous vivons une époque paradoxale. Bien qu'il existe désormais une variété de modèles de masculinité (hypermasculin, métrosexuel, rétrosexuel, etc.), il constate que le pénis constitue un élément «plus important que jamais» de la masculinité pour certains hommes. «On observe une reconsolidation d'une masculinité conventionnelle», résume-t-il.

«Ces inquiétudes concernant le pénis s'insèrent dans un contexte plus large où règne l'idéologie de la perfection corporelle. C'est une chose qui nous distingue vraiment, historiquement», remarque également le sociologue. Le corps de l'homme est désormais traité en objet dans la publicité («J'en ai jamais vu d'aussi longue», clame par exemple une réclame pour le nouveau format allongé des canettes de Perrier) et représente un marché à exploiter pour les entreprises des domaines de la santé, de la beauté et de l'apparence. Pénis compris.

Simon Corneau juge d'ailleurs que la médecine nourrit le mythe du gros pénis et s'en nourrit avec des interventions faites «au nom de l'estime personnelle». Extenseurs, comprimés, pompes et chirurgie, on propose toute une gamme de traitements aux hommes désireux d'augmenter la taille de leur sexe, même si la plupart des spécialistes jugent qu'aucune méthode n'est efficace et sûre.

Ce marché du grossissement du pénis serait malgré tout gigantesque: 5 milliards, selon le film Unhung Hero - l'équivalent du budget de l'ONU. Ce chiffre n'est «pas impossible», croit Marc Lafrance, qui ajoute qu'il est difficile de trouver des données précises sur ce milieu composé d'une foule de petites entreprises plus ou moins marginales. «C'est une industrie qui roule, et pas à peu près», assure le sociologue.

Briser le silence

«Ces industries sont propulsées par le désespoir d'hommes qui se perçoivent comme des ratés de la masculinité», affirme Marc Lafrance. Laurence Barraclough était l'un de ceux-là avant de tourner My Penis & I, film dont la grande vedette est son pénis, qui fait moins de 9 cm en érection. En parler a aidé ce jeune Britannique à passer de la haine de soi à l'acceptation de son corps, un atout qu'il tente de transmettre dans son deuxième documentaire, My Penis & Everyone Else.

Marc Lafrance croit aussi que les hommes doivent briser le silence, même s'il sait que c'est plus facile à dire qu'à faire puisqu'ils hésitent déjà à parler de leurs problèmes de santé et de leurs émotions. «Alors, le pénis, c'est un gros tabou. Même si on est en train de repenser la masculinité, des normes très fortes encouragent les garçons et les hommes à rester silencieux, estime-t-il. Ça ne nous aide pas, cette glorification du pénis.»

*Nom fictif.