On les a toujours crues pincées, prudes, froides, limite frigides. Bref, archi-puritaines, les femmes victoriennes. Or, voilà qu'un sondage réalisé auprès d'une quarantaine de femmes de l'époque, probablement le tout premier du genre puisqu'il porte explicitement sur les pratiques sexuelles, nous les présente sous un tout nouveau jour. Curieuses, coquines même et, ô scandale!, carrément portées sur la chose...

En 1948, puis en 1952, les rapports Kinsey sur les habitudes sexuelles des hommes et des femmes créent tout un émoi. Pour la première fois, croit-on, on aborde une question jusque-là demeurée taboue: le sexe. Imaginez un peu la controverse.

Or, c'était sans savoir que, plus de 50 ans plus tôt, une femme (pionnière à plusieurs égards) avait fait exactement la même chose, à un détail près: son enquête à elle est restée secrète. Oubliée et quasi enterrée, pendant de très longues années.

L'auteure? Clelia Mosher, née en 1863 dans l'État de New York. Parce qu'elle était tuberculeuse, son père, physicien, ne voulait pas qu'elle fasse d'études. Trop faible, croyait-il. Entêtée, la jeune femme a quand même décidé d'aller à l'université, avec quelques économies.

De fil en aiguille, elle s'est retrouvée à Stanford, en hygiène, puis à John Hopkins, en médecine. Une rare femme dans un monde d'hommes. Et c'est là, dans le cadre de ses recherches sur la santé des femmes (elle a toujours cherché à remettre en question et à briser les stéréotypes sur les femmes), qu'elle s'est mise à enquêter. Pas sur n'importe quoi: sur la vie des femmes mariées de son époque. La vie, les relations, le sexe. Tout.

C'est un historien de Stanford, Carl Degler, qui a mis la main sur cette recherche dans les années 70. «C'était il y a quelque temps, dit-il d'une voie chevrotante mais amusée au bout du fil. La plus belle - et la seule - découverte de ma carrière d'historien!» L'homme, qui a presque 90 ans aujourd'hui, s'en souvient comme si c'était hier: «Je travaillais sur l'histoire des familles et, en fouillant dans les archives, je suis tombé sur une série de questionnaires jamais publiés. C'est simple, personne n'était au courant de ces données!»

Elles n'en constituent pas moins des témoignages uniques et même historiques, dit-il: «Ce sont les témoignages sur la sexualité des femmes les plus anciens que nous ayons! Le sexe, ce n'est pas quelque chose dont on parlait à cette époque.» Sa grande surprise repose d'ailleurs sur l'aspect très «explicite» du questionnaire: «À quelle fréquence avez-vous un orgasme vaginal?» demande carrément la chercheuse aux femmes. «Je ne savais même pas que les femmes parlaient d'orgasme au XIXe siècle!» lance l'historien, ex-président de l'Organization of American Historians.

Qu'y apprend-on, au juste? «On se rend compte que les femmes étaient assez ouvertes et qu'elles parlaient de leurs expériences, relate la féministe Marilyn Yalom, qui traite de ce fameux sondage dans son livre A History of the Wife, paru récemment. Elles appréciaient beaucoup leur sexualité, et les trois quarts ont même dit avoir déjà éprouvé un orgasme.»

Vrai, le sondage, réalisé auprès de 40 femmes seulement, toutes universitaires, probablement issues de la haute bourgeoisie - bref, instruites -, n'est pas nécessairement représentatif. Mais il reste que l'image que l'on a de la femme victorienne l'est peut-être encore moins. «Les Anglais ont conçu, créé cette femme-ange, the angel in the house, qui n'a aucun désir sexuel. Mais ce n'est pas du tout la réalité que l'on trouve dans les écrits de cette époque», conclut l'auteure. Clairement pas.