Autres pays, autres moeurs. Une étude sur les habitudes alimentaires des jeunes immigrés montre que leurs habitudes alimentaires tiennent davantage de la société d'accueil que de leur pays d'origine. Dans la boîte à lunch, mais aussi à la maison. Dans les foyers maghrébins de Montréal, le pâté chinois tend à remplacer le couscous les soirs de semaine.

Qu'y a-t-il dans la boîte à lunch des jeunes Maghrébins qui vivent à Montréal? Des sandwichs et des pizzas-pochettes surtout. Car ils veulent ressembler le plus possible aux modèles présentés par la société dans laquelle ils vivent. Leurs choix alimentaires influent ensuite grandement sur ceux de leur famille, si bien que, les soirs de semaine, leurs mères mitonnent davantage du pâté chinois - grand favori - que du couscous.

 

Toutefois, pour les repas en famille la fin de semaine, les soirs de fête ou s'il y a de la visite, elles font des plats de leurs pays d'origine. S'il est important de s'adapter aux coutumes québécoises, transmettre l'héritage alimentaire est aussi primordial, notent Pierre Sercia et Alain Girard, auteurs d'une étude sur la transformation des pratiques et représentations alimentaires chez les enfants maghrébins issus de l'immigration récente.

Les jeunes qui ont participé à l'étude, l'une des rares qui s'intéressent aux mutations alimentaires des immigrés, avaient de 10 à 14 ans. Ils venaient de la classe moyenne. Les chercheurs ont aussi interrogé les parents de quelques-uns de ces enfants, qui fréquentent deux écoles musulmanes de la métropole.

Première constatation: même dans un milieu scolaire contrôlé, les habitudes alimentaires tiennent davantage de la société d'accueil. Il ne faut pas s'en étonner, précise Pierre Sercia: déjà, la boîte à lunch est un concept nord-américain. «Les enfants fréquentent aussi beaucoup l'espace commun en dehors de l'école», explique ce professeur du département de kinanthropologie de l'UQAM. Ils mangent dans les restos des grandes chaînes, regardent la télévision américaine, ont des amis de toutes les origines.

Ces nouvelles influences font ensuite pression sur la maisonnée. «Les enfants sont le facteur principal de changement dans la famille», indique Alain Girard. C'est aussi vrai pour les habitudes alimentaires.

Pas un sujet de discorde

Autre surprise: la transformation du menu familial n'est pas souvent un sujet de discorde entre les parents, nés ailleurs, et leurs enfants, nés ici pour la plupart. «Dans la famille, ce n'est pas un sujet aussi délicat que de choisir des partenaires, par exemple», constate Alain Girard. Les parents sont donc beaucoup plus permissifs lorsqu'il est question de nourriture. La pizza est d'ailleurs le plat préféré des 13 et 14 ans, qui ont un penchant appréciable pour le fast food.

Le scénario est le même dans d'autres communautés culturelles, les Chinois et les Sud-Américains, notamment, précise Alain Girard, étudiant au doctorat en sociologie de l'alimentation. Il s'intéresse particulièrement à l'assiette des populations migrantes. Leur ouverture aux habitudes alimentaires québécoises mène à une «créolisation» de leur patrimoine alimentaire, explique-t-il. «Les mères sont très ouvertes à essayer de nouvelles recettes, à faire des plats de pâtes, mais elles les cuisinent à leur façon», explique le chercheur. Cela mène inévitablement à des créations culinaires tout à fait uniques.

L'analyse de la transformation du modèle alimentaire permet de saisir les mutations que subit la cellule familiale des immigrés, concluent les chercheurs. Autrement dit, si on analysait le contenu des assiettes des immigrés, on découvrirait beaucoup de choses sur leur état d'esprit.

Dans un contexte de migration, le comfort food a aussi une signification toute particulière, explique Alain Girard. Il ramène les parents plus près de leurs racines gastronomiques et crée un moment de communion avec leurs enfants, qui ont eu moins de contact avec ces racines. La nourriture «traditionnelle» réconfortante favorise aussi l'intégration, précise le chercheur. «Si on se sent bien, dit-il, on est moins bouleversé par l'ensemble des autres facteurs.»