«On pense que la crise alimentaire réduit l'obésité. Or, ce n'est pas le cas. Au contraire.» Laurette Dubé, professeure au département de gestion à l'Université McGill et spécialiste du comportement des consommateurs, croit qu'il faut se méfier des déductions faciles.

Le contexte économique influe sur l'alimentation. En temps de crise, les consommateurs se tournent vers de la nourriture bon marché qui est souvent moins riche en nutriments et plus grasse.«Les gens vont passer du plus cher au moins cher, poursuit Laurette Dubé. Et ce qui est moins cher est justement de moindre densité nutritive. L'écart du coût par calorie est significatif.»

Une partie des consommateurs fera davantage ses achats en fonction du prix. «Nous sommes des illettrés de la nutrition», juge Patrick Webb, de l'école des sciences de la nutrition Fiedman, à Boston. «Il n'y a pas de ministère de la Nutrition, dit-il. Nulle part au monde.»

C'est ce qui explique selon lui que, en situation d'urgence, on croit encore que l'important est de pouvoir manger. Point. Peu importe la valeur nutritive de la nourriture. Et c'est aussi ce qui expliquerait que l'aide humanitaire envoyée aux pays en crise est souvent inadéquate. «On pense que, dès que les gens mangent, c'est correct, alors on leur envoie n'importe quoi.»

Patrick Webb est à Montréal pour participer à la rencontre sur les crises alimentaires de l'Université McGill. Durant trois jours, des gens de l'industrie alimentaire, des représentants d'organismes non gouvernementaux et des universitaires discutent des défis liés à l'alimentation, tant aux plans de l'économie que de l'agriculture, de la santé et de la politique.

«Des rencontres comme celle-ci sont essentielles», dit-il, justement parce qu'elles décloisonnent les disciplines et permettent de meilleures interventions. Autant à l'échelle locale qu'internationale.

On peut difficilement comparer la crise alimentaire et financière d'un pays à l'autre, mais on peut sans aucun doute affirmer que, dans tous les cas, les plus pauvres en paient chèrement le prix, explique le directeur de la nutrition de l'Organisation mondiale de la santé pour l'Europe, Francesco Branca. «Dans les pays développés, on voit les consommateurs se tourner vers les magasins au rabais pour acheter leur nourriture, quitte à acheter des aliments d'origine douteuse.»

Polarisation de la nourriture

À l'inverse, l'incertitude a fait mal à des chaînes de supermarchés haut de gamme. Aux États-Unis, l'épicerie de produits bio et naturels Whole Food a élargi sa palette pour offrir des choix plus abordables à ses clients, qui sont pourtant parmi les plus privilégiés. «Un climat d'insécurité crée inévitablement un déplacement dans le budget», explique Jordan Lebel, professeur au département de marketing de l'école de gestion John-Molson de l'Université Concordia. «La nourriture est souvent le premier endroit où les gens coupent», explique-t-il.

Cette situation mène à une polarisation de la nourriture. Il y a la diète à 1 $ des magasins d'articles au rabais, explique Jordan Lebel, et la «gourmetisation».

Un grand vide alimentaire existe entre ceux qui achètent le fromage orange en tranches et les autres qui paient 10 $ pour un crottin de chèvre, note Richard Wilk, professeur d'anthropologie à l'Université de l'Indiana.

Dans cet État américain, il y a des fromageries artisanales, des vergers où l'on fait pousser des espèces rares, des microbrasseries et des marchés publics. Il y a aussi d'immenses entrepôts où l'on peut faire son épicerie. «Il y a Wal-Mart et la petite épicerie fine de quartier, dit Richard Wilk. Et entre les deux, il n'y a plus rien.»

Selon lui, l'industrie doit combler ce trou béant en offrant des aliments de bonne valeur qui ne soient pas des produits de niche. Les acheteurs devront pour leur part accepter de payer un peu plus pour avoir de la nourriture de meilleure qualité.