Manger plus de fruits et de légumes, éliminer les gras trans et le fast food, éviter les sucreries. C'est ce qu'il faut pour être en santé. Le discours santé est tellement envahissant que les Québécois se sentent coupables de croquer un morceau de chocolat ou mordre dans un épais steak saignant.

«Le discours santé est un peu trop dominant. Il finit par devenir contraignant. Au Québec, on est moins en lien avec le plaisir naturel de manger. Ce qui pose problème, ce n'est pas de manger du chocolat, mais d'en manger trop», constate Marie Watiez, psychosociologue de l'alimentation et conférencière aux journées annuelles de santé publique qui se déroulent cette semaine à Québec.Marie Marquis, professeure-chercheuse au département de nutrition à l'Université de Montréal, a analysé les publicités alimentaires de la revue Châtelaine de 1980 en les comparant avec celles de 2005. Elle aussi se rend compte que dans la publicité «les gens se sentent coupables, même en 2005, d'apprécier les aliments». Des exemples : «La gourmandise est tout à fait permise», lit-on dans une pub. «Savourez sans remords», dit une autre.

«Dans la publicité, on n'intègre pas la notion de plaisir de manger, comme si on avait peur que les gens mangent trop», dit Marie Watiez.

Pourtant le plaisir de manger n'est pas synonyme de quantité, mais de la qualité de la nourriture, plutôt, croit Mme Watiez. La psychosociologue de l'alimentation, Française d'origine, vit au Québec depuis une dizaine d'années. Les Québécois n'ont pas la même relation à la nourriture que les Français, selon elle.

Des exemples. «Au Québec, la gourmandise a un sens de gloutonnerie, d'excès. En France, la gourmandise est plus proche de la notion de gourmet. En tout cas, elle n'a rien à voir avec la gloutonnerie. Le rapport à la nourriture est plus fonctionnel au Québec. Le temps consacré à manger est moins long. Et le budget nourriture est plus petit ici qu'en France. Oui, on met de l'argent pour des occasions festives, mais au quotidien, on veut que ça coûte le moins cher possible», constate Marie Watiez.

Comment apprendre le plaisir de manger aux enfants?

«Il faut faire l'éveil sensoriel des enfants, leur laisser toucher, sentir, éplucher les légumes. Une carotte, c'est sucré, ça fait du bruit quand on la croque. L'éducation sensorielle passe par la manipulation de la nourriture. Le but c'est que l'enfant ne croit pas que parce que c'est bon, c'est ennuyant».

Développer le plaisir de manger, c'est apprécier la qualité de la nourriture, c'est apprendre à la déguster, et en bout de ligne, c'est manger moins. «Quand on déguste du chocolat, on n'est pas obligé de manger toute la tablette».

Pas question d'éliminer le hamburger ou le pogo de sa diète, selon Mme Watiez, pensons plutôt à le cuisiner chez soi, avec des aliments sains.

La pub alimentaire : 1980 et 2005

Marie Marquis a comparé les publicités alimentaires dans la revue Châtelaine. Une même pub à 25 ans d'intervalle: une femme dont le pantalon ne ferme pas, les deux femmes ont pris du poids. La solution? La pub de 1980 suggère la prise d'un substitut de repas. En 2005, la solution est la margarine légère.

L'importance du poids est toujours là 25 ans plus tard. Mais la notion d'exercice physique a bien évolué.

Dans une publicité de fromage au lait écrémé de 1980, une femme couchée sur le côté, lève la jambe. Une petite note dans la pub conseille de lever la jambe... si le médecin est d'accord! «C'est totalement ridicule. On conseille de bouger, mais prudemment. Comme si la femme risquait de se blesser en bougeant. En 2005, on met l'image de la femme en mouvement. Bouger va de soi, parallèlement avec une bonne alimentation.»

Mme Marquis remarque combien les publicités de 2005 donnent l'illusion de cuisiner. «On donne une recette de gâteau. Il s'agit seulement d'un assemblage d'ingrédients, pour plus de rapidité. On est loin de la recette traditionnelle de nos mères», dit-elle.

À la culpabilité de manger des aliments meilleurs au goût que pour la santé, s'ajoute celle ne plus cuisiner, constate Mme Marquis.