La sangsue évoque un remède de grand-mère. Pourtant ce petit animal qui aime à se gorger de sang est aujourd'hui un auxiliaire précieux dans les hôpitaux pour la chirurgie réparatrice.

«La sangsue, c'est ce qu'il y a de mieux pour revasculariser un greffon afin d'éviter la nécrose», explique Charleric Bornet, pharmacien hospitalier à l'hôpital de la Conception à Marseille (France).

L'animal, qui mesure 5 à 10 cm, aide à lutter contre les caillots et à rétablir la circulation capillaire lors d'une transplantation de doigt ou de lambeau de peau. Sa salive contient des molécules aux multiples propriétés: «anticoagulantes, vasodilatatrices, anesthésiantes, antalgiques», énumère le dr Bornet. La plus connue est l'hirudine (anticoagulant), utilisée comme médicament.

L'application est indolore, la seule difficulté est de bien faire mordre l'animal à l'endroit désiré. Pour la sangsue, à jeun depuis des mois, c'est le dernier repas. Au bout d'une demi-heure elle tombe d'elle-même, rassasiée, après avoir absorbé 15 à 20 millilitres de sang.

«Elle devient comme une petite poire, on la tue alors avec de la Javel» avant de la détruire avec les déchets infectieux, explique le Dr Bornet. Le nombre de sangsues prescrites individuellement varie. «On est monté jusqu'à vingt sangsues par jour».

Les hôpitaux publics marseillais utilisent chaque année près de 500 sangsues (Hirudo Medicinalis). La plupart des CHU français conservent des stocks. L'utilisation de ce remède naturel et bon marché, favorisée par l'intérêt pour la médecine alternative, se développe depuis une trentaine d'années. En Allemagne, des études ont montré son efficacité en rhumatologie.

La sangsue a été très employée durant des siècles pour toutes sortes d'affections, notamment par millions au XIXe siècle en France sous l'influence du chirurgien François Broussais, avant de tomber en désuétude et de disparaître des pharmacies en 1938. Elle a été remboursée par la Sécurité sociale jusqu'en 1972.

Très sensible à la pollution, ce ver d'eau hermaphrodite doté de trois mâchoires, cinq paires d'yeux et deux ventouses est en voie de disparition en Europe occidentale.

Aujourd'hui, seuls les hôpitaux peuvent la prescrire et quatre éleveurs existent dans le monde: Zaug (Allemagne), Biopharm (Royaume-Uni), Leeches USÀ (États-Unis) et en France Ricarimpex.

La sangsue se vend six euros et arrive à l'hôpital par paquets de cinquante, à jeun depuis trois mois. Toujours affamée en attendant d'aider un patient à guérir, elle reste au réfrigérateur -- le froid l'endort -- dans des aquariums d'eau minérale soigneusement grillagés pour prévenir toute fuite.

Une fois par semaine, les aquariums sont désinfectés dans le cadre d'un protocole élaboré avec le Clin (Comité de lutte contre les infections nosocomiales) pour limiter les risques d'infection.

La salive des sangsues transporte en effet des bactéries, notamment l'aeromonas. C'est leur principal inconvénient. À l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, le protocole prévoit de placer sous antibiotiques les patients traités aux sangsues.

Ricarimpex élève ses sangsues en Gironde et dans les Landes et les nourrit au sang de canard depuis la crise de la vache folle qui a banni le sang de boeuf.

L'éleveur travaille avec des écoles et universités françaises ainsi que le Centre international de la sangsue médicinale à Moscou sur de nouvelles possibilités d'usage, depuis les maladies cardio-vasculaires jusqu'à l'eczéma ou l'herpès en passant par la maladie d'Alzheimer.