Le témoignage public de Maryse Deraîche, ex-obèse, a suscité un raz-de-marrée de réactions. Des doutes, des critiques et un lot d'encouragements. Un cas isolé? Pas du tout. Quatre femmes, qui ont subi une chirurgie bariatrique avec succès, ont accepté de raconter leur expérience. Leur obésité. Les aléas de l'opération. Et, surtout, leur impression de renaître. Même si, dans leur tête, elles seront toujours obèses. Témoignages.

Lucie Déry, 34 ans. Opérée le 1er mars 2012

Poids initial: 300 livres. Poids perdu: 47 livres

Un matin, Lucie Déry est sortie de son lit. Péniblement. Elle avait mal aux chevilles, aux genoux. Elle s'est longuement regardée dans le miroir. «J'étais au bout du rouleau. On ne peut pas être gros, en forme et bien dans sa peau.»

Après avoir rejeté la chirurgie pendant longtemps - «Je voyais cette solution comme un échec» -, elle s'est résignée à passer sur la table d'opération. Pour son estime personnelle, pour sa santé. Pour ses filles de 10 mois et 5 ans. «Je veux être une maman en forme.»

La dérivation biliopancréatique est une intervention majeure - «On ne se fait pas enlever un ongle incarné» -, mais pas magique. Lucie le sait. «On remet le compteur à zéro, mais l'obésité morbide est une maladie de dépendance, au même titre que l'alcool et la drogue. Une fois mon poids santé atteint, c'est ma responsabilité de le maintenir.» On lui a dit qu'elle pèsera un jour 150 livres.

Sa peau a commencé à «pendouiller». «L'important est d'être en santé, mais je trouve illogique que les opérations reconstructrices soient à nos frais. L'obésité morbide est une maladie, au même titre qu'un cancer. Des champignons et des plaies peuvent se former entre les plis de peau. Quand on doit rouler la peau des seins pour faire des bosses dans le soutien-gorge, c'est pas comme vouloir du D quand on porte du A!»

Lucie Déry a commencé à prendre du poids à l'adolescence, après de sérieux problèmes personnels. À 23 ans, elle pesait 300 livres. Elle en a beaucoup souffert. «J'étais belle, mais personne ne s'intéressait à moi. C'est un cercle vicieux, car on t'isole, on se sent moche.» Elle a déjà réussi à perdre 118 livres par elle-même, mais elle a tout repris lors de sa première grossesse. Malgré tous ses efforts, le pèse-personne est resté ingrat depuis.

«L'obésité est le seul handicap qui fait rire. Rit-on d'un aveugle qui tombe dans la rue? La société promeut la malbouffe, mais rien n'est adapté à nous. C'est très pénible. Le chirurgien opère le corps, pas la tête. Je craindrai toujours de ne pas pouvoir m'asseoir sur une banquette au restaurant, de rester coincée dans un tourniquet au magasin. J'aurai toujours le réflexe de demander une rallonge pour la ceinture en avion. Dans ma tête, je serai toujours obèse.»

Danielle Vaillancourt, 39 ans. Opérée le 7 décembre 2007

Poids initial: 292 livres. Poids perdu: 168 livres

Avec ses 124 livres et un corps refait au coût de 20 000$, Danielle Vaillancourt est plus heureuse que jamais. «Je suis née une seconde fois en 2007. Aujourd'hui, les portes s'ouvrent devant moi, les gens me sourient et me disent bonjour. Je peux faire du sport et, on ne se le cachera pas, ma vie sexuelle est beaucoup plus épanouie.»

Elle ne peut plus manger d'ananas ni de maïs en épis. Si elle mange gras, elle souffre de diarrhée. Lorsqu'elle succombe aux délices du chocolat, son ventre «gonfle comme une femme enceinte». Elle doit manger de petites portions six fois par jour. Qu'importe. «C'est le prix à payer pour retrouver mon estime personnelle. Je me suis longtemps fait regarder de travers. Les gens peuvent être très méchants. Si des grosses disent qu'elles s'aiment comme elles sont, c'est de la foutaise.»

Jusqu'à 16 ans, Danielle était mince. À force d'excès et d'innombrables régimes, les livres se sont accumulées sournoisement. Indélogeables. «Ai-je couru après? Peut-être. Je n'ai pas engraissé en me bourrant de salade et de brocolis! Mais la compulsion alimentaire est une maladie. Les interventions devraient être remboursées jusqu'au bout. Malheureusement, on nous laisse en plan.»

Une fois opérée (dérivation biliopancréatique), Danielle a fondu à vue d'oeil. Elle a perdu 100 livres en six mois, avec les conséquences que l'on devine. «Mon cou avait l'air d'un tuyau de sécheuse. J'avais l'air d'un arbre de Noël, d'une vache trayeuse. On nous prévient, mais on ne sait pas à quel point ça peut être laid. C'est décourageant.» Tellement que certaines femmes renoncent à passer sous le bistouri, déplore-t-elle.

Avant de procéder à des opérations esthétiques, on exige un délai de deux ans, le temps que le poids se stabilise. Dès qu'elle a eu le feu vert, Danielle s'est débarrassée de son surplus de peau: 9 pouces (horizontal) et 6 pouces (vertical) à l'abdomen, 5 pouces sur les bras. «Je ne pendais pas assez pour être remboursée.» Après un redrapage avec implants, ses seins ont repris forme. Seule la peau flasque de ses cuisses trahit son obésité passée. «Je ramasse mes sous.»

Si elle peut désormais s'amuser aux glissades d'eau, pas question de sortir sans une jupette sur son maillot.

Photo Alain Roberge, La Presse

Danielle Vaillancourt

Magali Groulx, 35 ans. Opérée le 25 octobre 2011

Poids initial: 385 livres. Poids perdu: 123 livres

Magali ne rêve pas d'être mince et sexy comme Angelina Jolie. Elle a toujours été la grosse de sa classe. Ça ne l'a jamais empêchée d'avoir une vie sociale riche, des amoureux. Elle s'est fait opérer pour sa santé. «Je savais qu'à long terme, mon corps ne pourrait plus suivre. Mes parents avaient des problèmes cardiaques. Je ne veux pas mourir à 45 ans.»

Elle a mûri sa réflexion jusqu'au tournant de la trentaine avant de passer à l'action. Elle s'est inscrite sur la liste d'attente et, trois ans plus tard, elle était sur la table d'opération. «Une fois décidée, on veut que ça se fasse vite. Mais l'attente est nécessaire, ça permet de peser le pour et le contre. C'est une décision qui influencera le reste de notre vie.»

Une solution facile? Pas du tout, insiste-t-elle. Six mois après l'opération, elle peine toujours à digérer la viande, même hachée. Le pain et les pommes crues aussi. Pendant plusieurs semaines, elle ne pouvait avaler que du Jello-O et du yogourt. «Dès que je mangeais plus solide, ça brûlait. Comme si une brique tombait dans l'estomac.» Buveuse invétérée de Pepsi, elle a fait une croix sur la boisson gazeuse. La restauration rapide? «Je me permets une bouchée à l'occasion, pour le goût. Mais je suis un régime strict.»

Après l'intervention et la mort de sa mère quatre jours plus tard, elle a perdu ses cheveux. Des mottes grosses comme des balles de tennis. «Ça m'a fait paniquer, les cheveux, c'est la féminité.» Ses cheveux sont courts, plus minces. «C'est mon seul regret.»

Sa peau pend, mais elle ne s'en formalise pas. «Je préfère ça à la tombe. Si les gens sont troublés, c'est leur problème. C'est sûr qu'on a toutes un choc, mais il faut s'accepter et s'entraîner. Notre corps ne sera jamais aussi beau que celui d'une personne qui a toujours été athlétique.» Un jour, elle se fera peut-être enlever le «tablier». Pas plus. Et ce n'est pas à la RAMQ de payer pour la reconstruction, selon elle. «Ce n'est pas de la faute du voisin si je suis obèse.»

Magali a des projets plein la tête. Elle vient de s'acheter un vélo. Elle souhaite essayer le kayak. Et même retourner à La Ronde, 17 ans après l'humiliation: un préposé avait été incapable d'enclencher les bretelles de sécurité. Elle a commencé à jogger, doucement, avec son chien. Et elle peut maintenant espérer devenir maman.

Photos Robert Skinner, La Presse

Magali Groulx

Lauriane Fréchette, 23 ans. Opérée le 14 février 2012

Poids perdu: 45 livres

Lauriane est obèse depuis qu'elle est petite. Un problème de métabolisme. Elle a tout essayé: médicaments, nutritionniste, psychologue, entraînement privé. Sans résultats. L'évidence est arrivée de la bouche de son endocrinologue: l'opération bariatrique s'imposait.

«J'ai lutté pendant 15 ans. J'avais beaucoup de rigueur, mais ça continuait d'empirer. Je pouvais m'entraîner quatre fois par semaine, en vain. Je refusais l'opération, solution que je jugeais trop radicale. J'avais peur. C'était aussi un aveu d'échec. J'aurais tout fait plutôt que d'être charcutée.»

Elle s'est inscrite pour l'opération à contrecoeur. Elle a fini par digérer l'idée: c'était son dernier recours. «J'ai commencé à avoir hâte. Après deux ans d'attente, j'avais l'impression que ma vie était sur pause. Je voulais tourner la page au plus vite.» Grâce à un héritage, elle s'est tournée vers le privé. Un mois et 20 000$ plus tard, tout était réglé.

Lauriane a perdu 45 livres en deux mois. «C'est rapide, mais c'est un rythme sain.» Elle n'a encore aucun surplus de peau. «Ma peau réagit bien. Comme je suis jeune, l'élasticité est au mieux.» Elle ne laisse rien au hasard. «Je suis au gym quatre fois par semaine. J'aurai fait ce que je pouvais.»

L'intervention n'a rien d'une solution facile, souligne-t-elle. «Les personnes qui en arrivent là ont fait beaucoup d'efforts. Elles font d'énormes sacrifices, elles mangent santé et prennent des vitamines toute leur vie.»

Pas une seconde, elle ne regrette son choix. «Les risques associés à l'opération sont minces par rapport à ceux de rester obèse. J'aime mieux payer toute ma vie que de payer de ma vie.» Déjà, on lui dit qu'elle a l'air plus épanouie.

«Avant, j'étais bonne pour faire semblant que tout était beau, mais je n'étais pas heureuse. Aujourd'hui, je me sens mieux dans ma peau, je me sens plus femme. Ma qualité de vie s'améliore, le quotidien devient moins difficile. Enfin.»

Photo J.-M. Villeneuve, FOCUSI

Lauriane Fréchette