L'Institut national d'excellence en santé  et en services sociaux recommande de traiter tous les jeunes obèses avec une approche multidisciplinaire axée sur le mode de vie, durant au moins six mois. C'est la formule adoptée par une nouvelle clinique montréalaise. Visite des lieux.

Une affaire de famille

Inspirée par le programme Let's Move! de l'ancienne première dame des États-Unis Michelle Obama, la pédiatre communautaire Julie St-Pierre a ouvert la Clinique 180 à Saguenay, en 2010. Sa particularité? Cette clinique multidisciplinaire prend en charge gratuitement les familles des jeunes obèses. Au Canada, plus du quart des enfants et adolescents souffraient d'embonpoint ou d'obésité, en 2004.

À Montréal, où les besoins sont aussi criants, une deuxième Clinique 180 sera officiellement inaugurée jeudi. «On fait de l'éducation motivationnelle de façon intensive, explique la Dre St-Pierre, rencontrée dans les locaux lumineux de sa nouvelle clinique, avenue du Mont-Royal Est. Avec ce type d'intervention, notre taux de succès est très élevé.»

À Saguenay, l'approche a été une réussite pour 80 % des 250 jeunes suivis au cours des deux premières années de la clinique. «On mesure leur succès au fait qu'il y a amélioration de l'indice de masse corporelle, réduction du tour de taille et maintien des bonnes habitudes de vie de la famille», fait valoir la Dre St-Pierre, qui est «fellow» de l'American Heart Association.

Léa Séguin, 11 ans, fréquente la Clinique 180 depuis juillet. «Je trouve ça aidant, dit-elle. Ça m'aide à manger de bonnes choses.» La blondinette commencera bientôt des leçons de danse funky et hip-hop. «Nous, on veut que ce soit toi qui choisisses quel sport tu fais», approuve la pédiatre.

Mère obèse

Ce n'est pas un hasard si Mme St-Pierre a choisi la prévention - moins payante que de débloquer des artères, comme elle le souligne. «Mes deux parents ont fait des infarctus à 40 ans, indique-t-elle. Ma mère était obèse morbide. Autour de moi, tout le monde mourait du coeur.»

La jeune femme s'est d'abord consacrée à la recherche. «Je me suis rendu compte qu'on connaît plein de choses sur l'obésité, mais qu'on n'est pas capables de transmettre l'information aux patients, observe-t-elle. Un mois après un problème cardiaque, les adultes se remettent à fumer et à manger du sucre. En pédiatrie, j'ai un meilleur auditoire pour changer la société.»

Il y a urgence d'agir. L'obésité est associée à davantage de maladies chroniques que la cigarette, la pauvreté ou l'alcool, plaide la Dre St-Pierre. «L'obésité comme telle est reconnue comme une maladie chronique par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), rappelle-t-elle. Quand elle se déclare avant l'âge de 10 ans, c'est un important facteur de sévérité à long terme.

«La moitié des jeunes qui arrivent dans nos cliniques vivent déjà des conséquences graves, comme une faible estime de soi. Je vois des enfants de 4 ou 5 ans qui font du diabète de type 2.»

Or, bien des médecins ferment les yeux devant une courbe de croissance excessive.

Prendre le temps de traiter

Il faut dire que bien traiter, ce n'est pas du gâteau. Ça prend du temps, que la Clinique prend. Au premier rendez-vous, les familles rencontrent une infirmière (pendant 45 minutes), une nutritionniste (une heure), puis la Dre St-Pierre (encore une heure). «C'est une prise de conscience déculpabilisante», assure la pédiatre, qui est aussi mère de trois enfants et professeure à McGill.

Les suivis sont mensuels au cours des six mois suivants, avant d'être plus espacés (aux trois à six mois). «On fait d'abord une évaluation physiologique et psychosociale du jeune, décrit Maude Sirois, infirmière clinicienne à la Clinique 180 de Montréal. J'ai un rôle d'intervenant pivot. Si l'enfant est victime d'intimidation à l'école, je peux contacter son école pour faire un suivi. C'est vraiment un travail communautaire.»

Pas de régime

Geneviève Paquin, nutritionniste, s'assure que les parents n'imposent pas de régime faible en calories. «J'ai plus peur qu'eux de les voir restreindre leur enfant, souligne-t-elle. Un seul régime peut suffire pour entraîner des troubles alimentaires.»

Sa méthode consiste plutôt à demander franchement au jeune ce qu'il pense de ses habitudes et à accompagner les familles à l'épicerie, à deux pas de la clinique, pour faire de meilleurs choix. «Je dis aux parents qu'ils sont responsables de la qualité de l'alimentation et que leurs enfants sont responsables de choisir les quantités», résume Mme Paquin.

C'est l'infirmière qui aborde l'importance de faire bouger les jeunes.

«Dans l'obésité, 90 % du traitement passe par l'alimentation et 10 %, par l'activité physique. Mais ce 10 % n'est pas à négliger», note Maude Sirois, infirmière clinicienne.

Dons privés

À Saguenay, le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) contribue au financement de la clinique. À Montréal, seules les consultations de la Dre St-Pierre sont payées par la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ). Les autres intervenants sont rémunérés par un organisme à but non lucratif fondé par la pédiatre, le Réseau d'action en santé cardiovasculaire, grâce aux dons de Groupe Investors, Saputo, Power Corporation (propriétaire de La Presse), etc. «On est rendus à la porte du gouvernement pour du financement», dit la Dre St-Pierre.

Cet automne, une quinzaine de médecins seront formés à ce que la Dre St-Pierre appelle «l'Approche 180», pour l'intégrer à leur pratique respective. En attendant, la Clinique 180 doit sélectionner sa clientèle. Les jeunes obèses aux parents séparés, à faibles revenus ou peu scolarisés sont priorisés, sur référence d'un médecin.

Les cas graves, comme celui récent d'un adolescent de 180 kg ayant du mal à respirer la nuit, sont aussi priorisés. «Riche ou pauvre, on part du principe que le parent aime son enfant, observe la Dre St-Pierre. Il ne le laissera pas dans une situation de maladie.»

PHOTO SIMON GIROUX, LA PRESSE

Après Saguenay, c'est au tour de Montréal d'avoir une Clinique 180, spécialisée dans le traitement multidisciplinaire de l'obésité infantile.

L'énergie retrouvée des Morin-Fortier

«Mathieu a toujours été plus grand et plus costaud que les autres, se souvient Julie Morin, la mère du garçon. Il excédait les courbes de croissance, tout le temps, tout le temps, tout le temps.»

Vers l'âge de 8 ans, Mathieu buvait beaucoup et se réveillait la nuit. «Souffrant de diabète moi-même, ces signes m'inquiétaient», dit Mme Morin.

Mathieu et sa famille - aussi formée de son jeune frère Alec et de leur père, Sébastien Fortier - ont été adressés à la Clinique 180 de Saguenay, spécialisée en obésité juvénile. Des prises de sang ont révélé que le garçon ne faisait pas de diabète, «mais qu'il était prédisposé à en faire, avec son surplus de poids», relate Mme Morin. «Pour moi, il était hors de question que je fasse vivre ça à l'un ou l'autre de mes enfants, ajoute-t-elle. On a alors décidé de se prendre en mains et de commencer nos changements de vie.»

Peur du jugement

La Dre Julie St-Pierre, fondatrice de la Clinique 180, «a été pratiquement comme un ange tombé du ciel», estime Mme Morin.

«Quand tu te présentes dans le bureau d'un médecin pour des problèmes de poids, tu as toujours peur du jugement.»

«Tu crains de te faire dire: "C'est facile, tu as juste à faire attention à ce que tu manges et à bouger". En tant que parent, tu te sens déjà coupable d'avoir mis ton enfant dans cette situation. Tu ne veux pas être culpabilisé davantage», souligne la mère de deux garçons.

L'accompagnement de la clinique a été constant, mais respectueux. «Au début, on ne veut pas brimer nos enfants dans leur vie d'enfant, fait valoir Mme Morin. Manger un dessert, pour un enfant, c'est normal. Maintenant, c'est juste qu'on choisit le moment où on en mange. C'est réservé aux occasions spéciales.»

«J'ai réduit les portions de chips, de chocolat, de bonbons», énumère Mathieu, aujourd'hui âgé de 12 ans.

«Tout ce qui est sucré ou gras, j'en mange beaucoup moins. Pareil pour le restaurant. Et je ne bois plus du tout de jus.»

Ce n'est pas trop dur? «Non, assure l'adolescent. Ce n'est pas super bon pour la santé, tout ça, et ça n'aide pas au sport.»

Finie l'intimidation à l'école

La santé de Mathieu est bien meilleure. «Avant, c'était un exploit pour lui de faire ses cours d'éducation physique à l'école, indique Mme Morin. Il n'aimait pas ça, il ne se sentait pas bien. Au primaire, des enfants l'intimidaient.»

Aujourd'hui, l'adolescent nage six heures par semaine, au sein du club de natation Les Mustangs de Chicoutimi. Sa nage préférée? «Le papillon», répond-il. «Au niveau cardiovasculaire, il est rendu très en forme, comme son frère», souligne avec fierté Mme Morin. Son conjoint et elle se sont mis au vélo, à la marche et à la course, en plus de nager. «On a beaucoup plus d'énergie pour faire nos journées», apprécie-t-elle.

La Dre St-Pierre a quitté la clinique de Saguenay pour implanter son approche à Montréal, mais Mathieu et sa famille continuent de voir sa relève deux ou trois fois l'an. «On se sent bien épaulés», souligne Mme Morin.

Photo fournie par Julie Morin

«On ne récompense plus les enfants en leur offrant du chocolat ou d'aller au restaurant, dit Julie Morin, photographiée avec son conjoint Sébastien Fortier et leurs fils Alec, 10 ans et Mathieu, 12 ans. On fait plutôt une activité familiale à l'extérieur. Notre mentalité a changé.»

Pour ou contre?

Deux experts se prononcent sur l'ouverture de la Clinique 180 de Montréal, qui offre une approche multidisciplinaire et gratuite pour traiter l'obésité chez les jeunes.

Pour

«J'applaudis la venue d'une clinique de première et deuxième lignes dédiée au traitement de l'obésité infantile à Montréal, dit Paul Boisvert, docteur en kinésiologie et ex-coordonnateur de la Chaire de recherche sur l'obésité de l'Université Laval. Il en faudrait dans toutes les régions. Ce genre de clinique médicale interdisciplinaire permet d'intégrer plusieurs approches nécessaires au traitement de l'obésité.»

Le kinésiologue a participé à l'élaboration du guide Traitement de l'obésité des enfants et des adolescents en 1re et 2e ligne, de l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS). «Ce rapport indique ce qu'il faut faire (par exemple, une intervention d'au moins 26 heures), mais aussi ce qu'il faut éviter. Il est important de placer la famille au coeur du traitement et du suivi, ce que la Clinique 180 semble faire.»

Contre

«Il n'existe pas encore de référence absolue pour le traitement de l'obésité chez les enfants, souligne Yoni Freedhoff, professeur adjoint de médecine familiale à l'Université d'Ottawa et directeur médical de l'Institut de médecine bariatrique d'Ottawa, qui n'a pas visité la Clinique 180. Mon préjugé personnel, c'est que les jeunes enfants de moins de 12 ans ne devraient pas être directement impliqués dans le traitement, car ils sont des passagers dans la voiture de la vie, pas des conducteurs.»

«Je m'inquiète du risque d'atteindre involontairement leur estime de soi, leur image corporelle et/ou leur relation avec la nourriture, même avec des discussions délicates et réfléchies autour du poids, observe le Dr Freedhoff. Ces discussions finissent invariablement par tourner autour de la responsabilité personnelle, alors que les enfants ont peu d'autonomie.»

Photo tirée du site internet de Paul Boisvert

Paul Boisvert, docteur en kinésiologie et ex-coordonnateur de la Chaire de recherche sur l'obésité de l'Université Laval.