Le Québec est une contrée de neige et de glace. Mais parfois, il faut donner un coup de pouce à la nature. À Rivière-du-Loup, des mordus d'escalade de glace ont mis en place un système d'arrosage pour «englacer» des falaises en plein centre-ville.

Pas de glace? Pas de problème!

Après déjà 35 m d'ascension, la fatigue commence à se faire sentir et les coups de piolet sont moins efficaces. Le sommet est cependant tout proche. Encore quelques coups énergiques dans la glace et il est enfin possible de se redresser, de relaxer et de contempler le paysage. Au bas de la falaise, la rivière du Loup coule furieusement entre les berges glacées. Au-dessus, la petite ville s'étend avec quelques clochers d'église qui se dressent ici et là. Plus loin, le fleuve charrie des blocs de glace. Au-delà se dressent les montagnes de Charlevoix.

Le site d'escalade de glace du parc des Chutes de Rivière-du-Loup est impressionnant: on y compte 18 voies de 30 à 50 m de hauteur, accessibles par la base ou par le sommet, ce qui facilite l'installation d'un relais et d'une corde en haut de la voie (c'est ce qu'on appelle «installer une moulinette»).

Ce site d'escalade est toutefois insolite: il n'y a pas vraiment de glace qui se forme naturellement sur les falaises qui surplombent la rivière au coeur du parc des Chutes. C'est au cours des années 90 qu'un jeune grimpeur local, Martin Sénéchal, entreprend de détourner un peu d'eau de la rivière du Loup pour «englacer» quelques parois. Cette eau est retenue en haut des falaises par un barrage lié à une petite centrale hydroélectrique.

Il s'associe à l'auberge de jeunesse de Rivière-du-Loup et à la Fédération québécoise de la montagne et de l'escalade (FQME) pour mener à bien son projet. Le petit site devient populaire et constitue même une étape de la Coupe du Québec d'escalade de glace.

Mais après quelques années, Martin Sénéchal quitte temporairement la région pour aller étudier à l'université et le site d'escalade de glace disparaît.

Puis, vers 2009, des conseillers municipaux, qui s'ennuient de l'aspect spectaculaire des falaises glacées, approchent les grimpeurs locaux pour leur demander de relancer le site.

«On leur a dit non, se rappelle Mathieu Lemieux, un graphiste de profession. On ne voulait pas passer nos nuits à entretenir le système. Ils sont revenus à la charge. On a fini par dire: "O.K., mais à nos conditions."»

La municipalité accepte de réaliser le système d'«englacement» (en enfouissant les tuyaux avec des câbles chauffants pour qu'ils ne gèlent pas), d'entretenir la pompe et de verser annuellement une somme princière de 2000 $ à un petit comité de grimpeurs pour qu'ils gèrent le site. Il s'agit notamment de déplacer fréquemment les sorties des tuyaux d'arrosage en haut des parois et de veiller aux pépins.

Chaque début d'année, il y a un petit problème qui se présente, soupire Mathieu Lemieux. Cette année, c'est une résistance électrique qui a grillé. Il a fallu faire venir l'électricien.

«Il n'y a pas de structure légale, nous sommes une douzaine de bénévoles, note Claude Duguay, un ancien enseignant qui est maintenant formateur en secourisme et guide de montagne. Pour le festival, nous avons de l'aide supplémentaire.»

Ce festival, intitulé Grimpe en ville, a des origines modestes. À sa première édition, il y a cinq ou six ans, il y avait un petit stand d'information, et pas beaucoup plus.

«Il y avait beaucoup de personnes qui venaient marcher dans le parc, raconte Mathieu Lemieux. On avait eu l'idée de les sensibiliser à l'escalade en leur montrant du matériel.»

L'événement s'est développé au fil des ans. Cette année, il s'est déroulé du 17 au 19 février, avec conférences, cours d'initiation, ateliers de perfectionnement et glissade et tyroliennes pour les enfants.

Le site d'escalade lui-même est accessible tous les jours, de la mi-décembre à la mi-mars, moyennant une adhésion (journalière ou annuelle) à la FQME. Il est même possible d'y grimper en soirée puisqu'il est éclairé. Il faut toutefois être capable de faire de l'escalade de façon autonome.

«L'achalandage est bon, affirme Claude Duguay. En fin de semaine, on voit notamment des gens de Québec, de Rimouski, du Saguenay.»

Les grimpeurs se garent dans le parc des Chutes et n'ont qu'à marcher quelques minutes pour se rendre en haut ou en bas des falaises. S'ils ont une petite faim en cours de journée, ils peuvent se rendre à pied aux cafés et restaurants du centre-ville. Ils peuvent revenir bien rassasiés pour une autre séance de grimpe sur la glace dorée. En effet, les falaises glacées prennent cette couleur parce que l'eau de la rivière du Loup est légèrement colorée après un passage le long de tourbières.

La glace qui se forme sur la rivière elle-même est bien blanche, mais elle cause quelques soucis au petit comité de grimpeurs. C'est que s'il ne fait pas assez froid, un contre-courant empêche la glace de se solidifier entre le secteur est et le secteur sud des falaises. Il est toujours possible d'accéder au secteur sud par le sommet, en descendant en rappel, mais il serait évidemment souhaitable que le passage se fasse facilement entre les deux secteurs par la base.

Installer un câble? Une passerelle? Un ponton pour contrecarrer le contre-courant? C'est un autre défi pour ceux qui ont à coeur le site d'escalade de glace.

Comment devenir un grimpeur sur glace

On ne s'improvise pas grimpeur sur glace. «Il ne faut pas banaliser le sport, souligne Mathieu Lemieux. Il y a quand même des risques.»

S'initier à l'escalade

Le festival Grimpe en ville offre des ateliers d'initiation à l'escalade de glace, mais il fallait s'y prendre tôt: toutes les places sont déjà prises. Il y a quand même plusieurs ressources offertes pour s'initier à ce sport. Voici quelques suggestions.

Attitude Montagne

Situé à Saint-Adolphe-d'Howard, Attitude Montagne offre des cours pour débutants ainsi que pour grimpeurs intermédiaires et avancés.

La Liberté Nord-Sud

La Liberté Nord-Sud offre des cours pour débutants et grimpeurs plus avancés à la montagne d'Argent, à La Conception.

Aventurex

Dans la région de Québec, AventureX offre des cours pour débutants et grimpeurs intermédiaires et avancés au parc de la Chute-Montmorency.

Chamox

Situé à Sherbrooke, Chamox offre ses cours de formation pour débutants et grimpeurs plus avancés à la Gorge de Coaticook, au mont Pinnacle, au Gros Morne ou au lac Willougnby, au Vermont.

Club alpin du Canada

Le club offre des journées d'initiation à l'escalade de glace, mais il faut avoir de l'expérience en escalade de roche ou en escalade en gym. Il faut ainsi avoir une accréditation d'un centre d'escalade intérieur.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Il faut des bottes rigides pour porter des crampons d'escalade. Pour s'initier au sport, des bottes de ski alpin peuvent faire l'affaire. Entre 400 et 700 $.

Les autres paradis artificiels

Outre le parc des Chutes de Rivière-du-Loup, il y a deux autres endroits au Québec où l'on peut trouver des parois d'escalade de glace arrosées artificiellement.

Le précurseur: la montagne d'Argent

Au milieu des années 90, Gaétan Castilloux a visité le fameux parc d'escalade de glace d'Ouray, au Colorado, une longue succession de parois arrosées artificiellement. Il a eu l'idée d'importer cette idée et de l'implanter à la montagne d'Argent, un domaine situé à La Conception doté de belles falaises.

«Il y avait quelques parois de glace, mais elles étaient toutes petites, relate-t-il. Le problème, c'est qu'il n'y avait pas de sources en haut: si les pluies d'automne étaient abondantes et si le gel arrivait immédiatement après, il y avait de la glace, mais c'était très aléatoire. On a voulu donner un coup de pouce à la nature.»

Gaétan Castilloux et ses partenaires, comme La Cordée, ont dû essayer différents systèmes, différentes valves, différents gicleurs, avant d'arriver à la recette gagnante.

La première paroi, nommée «Les Paradis artificiels», peut accommoder une quinzaine de cordes. M. Castilloux et ses partenaires continuent d'équiper de nouvelles parois, ce qui devrait permettre d'accueillir une cinquantaine de cordes l'année prochaine.

Les parois arrosées artificiellement ont certains avantages sur les parois naturelles: on peut les «réparer» (combler les trous trop nombreux) pendant la nuit en les arrosant et elles durent un peu plus longtemps au printemps.

La salle de classe: Attitude Montagne

Le fondateur d'Attitude Montagne, Dominic Asselin, a déniché un vaste terrain de six hectares dans la région de Saint-Adolphe-d'Howard pour y donner des formations d'escalade de roche, d'escalade de glace, d'alpinisme et d'orientation. Il y avait un peu de glace sur les parois, mais il n'y avait rien de certain de ce côté.

«Comme c'est lié à notre métier, c'est difficile d'être dépendants de la bonne volonté de mère Nature, explique M. Asselin. Nous avons installé un système d'arrosage pour nous assurer d'offrir un produit de qualité à nos clients.»

Gaétan Castilloux, de la montagne d'Argent, est venu offrir son expertise.

Le système d'arrosage demande beaucoup d'entretien, mais en général, ça va plutôt bien, affirme Dominic Asselin. Le gros défi, c'est l'électricité: s'il y a une panne, la pompe cesse de fonctionner.

À l'heure actuelle, la paroi peut accommoder une dizaine de cordes. Attitude Montagne espère tripler la taille du secteur l'année prochaine.

Le domaine sert avant tout aux formations d'Attitude Montagne, mais Dominic Asselin rappelle qu'il est ouvert aussi aux grimpeurs expérimentés et autonomes, «moyennant des frais qu'on réinvestit pour payer l'électricité et le loyer, puisqu'il s'agit d'une terre de la Couronne».

La glace au naturel

S'il n'y a que trois sites d'escalade de glace dotés de parois arrosées artificiellement au Québec, on trouve un grand nombre de parois naturelles dans presque toutes les régions de la province.

Certaines voies sont reconnues mondialement et sont réservées aux experts, comme la fameuse Pomme d'or, une paroi de 350 m située loin de toute civilisation au coeur du parc des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie.

On trouve des sites plus près de Montréal qui sont accessibles à ceux qui sont un peu moins expérimentés, comme la Réserve naturelle Alfred Kelly, Julien Labedan et le mont Larose dans les Laurentides, et la montagne du Tranchant, le lac Sylvère dans Lanaudière ou le parc de la Gorge de Coaticook en Estrie.

Ces sites sont affiliés à la Fédération québécoise de la montagne et de l'escalade (FQME). Il faut donc se procurer un droit d'accès annuel ou journalier pour y accéder.

La présence et la qualité de la glace varient d'année en année et se modifient tout au long de la saison.

photo fournie par la Montagne d'Argent

Escalade de glace à la Montagne d'Argent, à La Conception.