Certains métiers exigent une très grande forme physique: parcourir les rues de Montréal à vélo pour livrer des colis, courir toute la journée en jetant des sacs-poubelle dans un camion à ordures, affronter les escaliers de Montréal pour distribuer le courrier. Portraits de ces sportifs à temps plein.

Rouler avec le courrier

Raphaël Perreault, 28 ans, Coursier à vélo

Chaque année, Raphaël Perreault effectue trois fois le tour de France. Sa journée de travail varie entre 40 et 60 kilomètres par jour, selon les secteurs desservis (et Google Maps). «Il y a des fois où j'ai dépassé 80 kilomètres, mais c'est plus rare.»

Après quelques années dans le secteur de la restauration, Raphaël Perreault a voulu connaître davantage de liberté. Il a répondu à une petite annonce sur Kijiji qui offrait un poste de coursier à vélo. Le lendemain, il était sur la route.

«J'ai affaire à un répartiteur, mais quand je livre mes choses, il n'y a personne qui regarde par-dessus mon épaule, explique-t-il. Tant que je livre à temps, je n'ai personne sur le dos.»

Raphaël Perreault faisait déjà un peu de vélo pour ses déplacements, sans plus. «Je m'en servais tous les jours, mais je ne savais pas réparer mes crevaisons moi-même», se rappelle-t-il.

Ses journées commencent vers 8 h, 8 h 30, lorsqu'il allume son téléphone cellulaire et qu'il reçoit ses premières tâches. Il essaie de maximiser ses déplacements en recueillant plusieurs documents qui doivent être livrés dans le même secteur. C'est particulièrement important lorsqu'il s'agit de sortir du centre-ville et d'aller se promener du côté de Rosemont ou de Villeray.

Il y a peu de temps morts, sauf peut-être l'été, lorsque les clients habituels réduisent leurs activités et lorsque plusieurs étudiants deviennent coursiers à vélo pour le temps des vacances.

«Ça vient diluer la charge de travail, note Raphaël Perreault.

«En janvier, quand la business roule et qu'il y a moins de coursiers sur la route, il y a plus de travail. Dans le fond, c'est en hiver qu'on fait notre argent.»

La fin de semaine, il se repose en faisant... du vélo. Il essaie de faire de grandes distances, sans s'arrêter ici et là, pour faire changement.

Les coursiers à vélo montréalais ont intérêt à être en forme: Montréal accueillera en 2017 les championnats mondiaux des coursiers à vélo. La compétition principale simule une journée normale de boulot.

Les risques du métier

Les coursiers à vélo connaissent souvent des problèmes récurrents aux chevilles ou aux genoux. «II y a plein de petits bobos qui s'accumulent à la longue», indique Raphaël Perreault.

Il y a aussi les accidents, toujours possibles. Lui-même en a eu un grave six mois à peine après avoir commencé à travailler comme coursier. Une automobiliste n'a pas fait son arrêt à une intersection et l'a heurté. Résultat: sept dents brisées, quatre os de la mâchoire facturés et une commotion cérébrale.

Le coursier à vélo apprend à se méfier. «Je passe l'intersection Peel-René-Lévesque 15 fois par jour, raconte Raphaël Perreault: je peux prévoir les manoeuvres un peu louches que les gens vont faire.»

Pour «se faire des bras»

Jonathan François, 25 ans, éboueur

Chaque année, Jonathan François déplace l'équivalent de 98 éléphants d'Afrique et parcourt le trajet de St. John's (Terre-Neuve) à Vancouver au pas de course.

Sylvain Duchesneau, 56 ans, éboueur et conducteur

Sylvain Duchesneau et Jonathan François forment une solide équipe. Les deux éboueurs de l'entreprise Derichebourg allient expérience et jeunesse pour faire disparaître dans leur gros camion blanc les déchets de Montréal.

Métier physique

Jonathan François se cherchait un métier physique, essentiellement à l'extérieur. Il est tombé sur une annonce de l'entreprise Derichebourg pour un boulot d'éboueur. Il a été embauché en décembre 2015. «J'aime le fait d'être dehors, j'aime courir, indique-t-il. Ce n'est pas répétitif: nous faisons des routes différentes, parfois il y a la neige, la pluie.» Avec l'automne viennent les nombreux sacs de feuilles. «Ça peut être lourd, surtout si quelqu'un a mis deux ou trois citrouilles dans un sac!», s'exclame-t-il. Sylvain Duchesneau, lui, fait ce boulot depuis 35 ans. C'est surtout lui qui conduit le camion, mais il donne un coup de main à son coéquipier lorsque les sacs s'empilent. «Il a de l'expérience, note Jonathan François. Il m'a donné beaucoup de trucs pour m'aider.»

Rapidité

Les éboueurs ne perdent pas leur temps: vite, vite, vite, ils courent pour lancer les sacs-poubelle dans le camion et se rendre à un nouvel amas de sacs. «On ne veut pas bloquer trop longtemps la circulation», explique Sylvain Duchesneau, qui doit d'ailleurs interrompre deux fois l'entrevue pour déplacer le camion afin de laisser passer un camion de pompiers, puis une petite voiture qui ne pouvait pas sortir de son entrée de garage. En outre, plus les éboueurs travaillent rapidement, plus tôt ils finissent la journée. «Surtout s'il pleut, on veut finir plus vite pour ne pas être totalement mouillés», observe Jonathan François. Parfois, en fin de journée, les éboueurs vont aider une autre équipe aux prises avec une charge inhabituelle.

Charge de travail

Les éboueurs parcourent de 20 à 35 kilomètres par jour, tout dépendant de la route. Si le conducteur passe une bonne partie de ce temps à bord, son coéquipier fait à peu près toute cette route à pied, au pas de course. Il doit également soulever d'importantes charges. Selon Sylvain Duchesneau, une équipe d'éboueurs ramasse de 20 à 30 tonnes métriques de déchets par jour. Un sac peut peser entre 1 et 25 kilos. Les gros bacs de recyclage à roulettes viennent alléger la tâche... sauf lorsque c'est l'hiver et qu'il faut essayer de le faire rouler dans 20 centimètres de neige.

Blessures

Il arrive parfois qu'un éboueur se blesse en forçant mal, mais c'est peu fréquent, affirme Sylvain Duchesneau. Comme dans tous les métiers, il faut un certain savoir-faire pour bien se positionner et éviter les faux mouvements. «Les camions sont maintenant plus adéquats que dans le passé, ajoute-t-il. Avant, on était sorti des chevaux et des carrioles pour passer à des camions rudimentaires. Ce n'est plus comme ça.» Il ajoute qu'il y a de moins en moins de blessures en raison du recyclage. Au lieu de mettre les choses coupantes comme le verre dans les sacs-poubelle, on les place dans les bacs. «C'est moins dangereux, on se coupe moins souvent.»

Un bon entraînement

Jonathan François est passionné de basketball et s'exerce à ce sport au moins trois fois par semaine. Le fait de courir des dizaines de kilomètres par jour et de lever sans cesse des charges constitue un précieux entraînement additionnel.  «Depuis décembre 2015, mes bras sont pas mal plus gros», rigole-t-il. Sylvain Duchesneau, lui, a plus tendance à relaxer au retour à la maison. «Il y a certains soirs où je suis un peu plus magané quand je rentre, mais le lendemain, je suis encore là, déclare-t-il. En fait, ça fait du bien de faire de l'exercice comme ça tous les jours. Je n'ai jamais lâché.»

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, La Presse

Chaque année, Jonathan François déplace l'équivalent de 98 éléphants d'Afrique et parcourt le trajet de St. John's (Terre-Neuve) à Vancouver au pas de course.

Une marche à la fois

Katherine Hamel, 34 ans, factrice

Chaque année, Katherine Hamel transporte 9 hippopotames et gravit 50 fois le mont Everest.

Ils sont beaux, les escaliers de Montréal. Ils sont beaux, même s'il faut les monter et les descendre tous les jours pour livrer le courrier, comme le fait Katherine Hamel.

De l'esthétique aux enveloppes

C'est en observant un facteur qui livrait le courrier au centre-ville que Katherine Hamel a conçu l'idée de devenir factrice à son tour. Elle travaillait alors dans le domaine de l'esthétique.

«C'était assez physique, je travaillais debout toute la journée, mais j'ai eu envie d'aller dehors, explique-t-elle. Après 10 ans dans un milieu de femmes, je me suis retrouvée dans un milieu d'hommes.»

S'il y a de plus en plus de factrices, les hommes demeurent quand même majoritaires, surtout dans les quartiers où il y a un grand nombre d'escaliers. «Dans notre bureau à Rosemont, nous sommes 70. Il y a six filles.»

Déjà sportive, Katherine Hamel n'a donc pas eu trop de difficulté à faire face aux exigences physiques de son nouveau métier. Elle admet toutefois que lorsqu'elle revient de vacances, elle doit se réhabituer.

«J'ai déjà passé quatre mois en dedans pour travailler sur la restructuration des routes. Après, ça m'a pris de deux à trois semaines pour m'en remettre.»

Avec la neige et le froid, le travail n'est pas facile l'hiver, mais elle préfère quand même cette saison à l'été. «Lorsqu'il fait trop chaud, tu ne peux rien y faire. L'hiver, tu peux jouer avec les couches de vêtements. Tu as l'impression de t'habiller pour aller jouer dehors.»

Enchaîner les escaliers

Katherine Hamel s'y connaît en escaliers. Pendant sa tournée, elle doit gravir 8540 marches d'escalier. Elle préfère cela aux longues routes sur du plat.

«J'ai de bonnes cuisses, un bon fessier, ça me propulse bien.»

Elle peut parcourir de 16 à 24 kilomètres par jour, en portant un sac double rempli de courrier. En théorie, il devrait peser 16 kilos au maximum. En pratique, ça peut être un peu plus, surtout s'il pleut ou s'il neige.

«Je pense qu'en étant petite [cinq pieds quatre pouces et demi, précise-t-elle], je dépense plus de calories que le gars de six pieds quatre qui porte la même charge.»

Il lui arrive parfois de faire une deuxième route après la sienne lorsqu'un camarade se voit obligé de prendre congé. La journée peut alors commencer à 5 h pour finir à 22 h.

La jeune femme a utilisé un podomètre pour calculer le nombre de pas qu'elle effectue chaque jour, mais bizarrement, son appareil ne calcule pas toutes les marches des escaliers. Elle arrive tout de même à environ 22 000 pas par jour.

Katherine Hamel fait un peu de sport après les heures de travail, soit une séance d'aquaforme par semaine et du baseball. «J'en fais, mais je n'en ai pas vraiment besoin», note-t-elle.

Dangers

Beaucoup de menaces pèsent sur les facteurs: une chute dans les escaliers, un chien méchant, un mauvais mouvement en soulevant un lourd bac de courrier. «On a tout le temps des petits bobos», indique Katherine Hamel.

Ironiquement, ce sont des mouvements répétitifs sur une route bien plate qui ont eu raison des genoux de Katherine Hamel. Après quelques mois de convalescence, elle a pu retourner au boulot et passer à une route plus appropriée pour elle: des escaliers!

Il y a d'ailleurs des techniques pour minimiser les risques de chute dans les escaliers et les impacts des marches qu'il faut monter et descendre.

«Quand tu montes et descends de côté, tu travailles davantage tes muscles des cuisses et du fessier et tu mets moins de pression sur l'articulation des genoux», affirme-t-elle.

Des sacs mieux conçus contribuent également à préserver les genoux, le dos et les épaules des facteurs. «S'ils sont bien ajustés, la taille porte 70 % du poids.»

Photo Alain Roberge, La Presse

Katherine Hamel grimpe 8540 marches par jour pour livrer le courrier.