Sébastien Roulier courait depuis 10 heures lorsqu'il s'est assis sur une roche. Cela faisait déjà sept heures qu'il se questionnait. «Est-ce que je continue? Est-ce que je ne continue pas?» Il était à peine au tiers du parcours de 170 km de l'Ultra-trail du Mont-Blanc - l'une des plus prestigieuses courses d'ultrafond.

Et sa course ne se passait pas comme prévu.

«C'est une course qui réunit 2500 coureurs, j'étais dans les coureurs élites - les 200 meilleurs. Je visais 26, 28 heures, raconte Sébastien Roulier. J'étais complètement en dehors des temps que je prévoyais.»

Quand il s'est levé de sa roche, il avait pris sa décision: «C'était pour le compléter, peu importe ce qui se passait, peu importe si je glissais au classement», dit Sébastien Roulier, médecin pédiatre et coordonnateur de la division des soins intensifs de pédiatrie au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke.

«Au bout du compte, ça m'a pris 36 heures, mais je suis tellement fier de l'avoir complété. Ça démontre quelle personne je suis, une personne très résiliente.»

Il faut certainement avoir de la résilience pour courir pendant 10, 20, 36 heures et résister à la presque inévitable envie d'abandonner en cours de route. Et il faut aussi être passionné et avoir le désir de repousser ses limites, selon Lysanne Goyer, chef du service de psychologie et chef du service des soins spirituels du Centre hospitalier de l'Université de Montréal.

«Ce n'est pas le tempérament "bof, je prends ça comme ça vient et je remets à plus tard"», résume Mme Goyer, qui a fait des Ironman et qui est aussi la première Québécoise à avoir participé au marathon de l'Everest. «Ce sont des gens qui sont plus de type A, des high achiever, des compétitifs», poursuit-elle.

Côté obsessif?

Coureuse d'ultratrail, Rachel Paquette décrit ses comparses comme des gens intelligents, passionnés et très résilients. «Et ce sont des gens qui sont relativement compulsifs», ajoute-t-elle.

Car oui, croit-elle, à force de toujours vouloir enchaîner les épreuves et augmenter sans cesse les distances («Je pense que c'est rendu à des 400 milles et des affaires de même!»), ça peut devenir excessif.

«J'en vois quand même beaucoup, s'ils sautent un entraînement... Pour l'avoir fait, moi aussi. Avant, si je prévoyais aller courir et que je ne le faisais pas, dans ma tête, c'était la folie ! Je me disais: "Ah mon doux, c'est sûr que je vais perdre un acquis." Je voulais contrôler», dit Rachel Paquette, qui fait une différence entre courir - qu'on fait pour soi - et s'entraîner - qu'on fait dans un but précis. «Si, chaque fois que tu sors, c'est dans le but de t'entraîner, je te donne quatre mois et tu t'en vas en surentraînement», résume-t-elle.

Comme dans n'importe quoi, Rachel Paquette insiste sur l'importance de garder un équilibre dans sa vie entre le sport, le travail, les loisirs, la récupération et le sommeil.

«Parce que des gens oublient de dormir, commencent à se lever à 3 h du matin, mais finissent quand même leur journée à 23 h. Et ils deviennent en dépression à cause du surentraînement. C'est vraiment comme... gros.»

Lysanne Goyer pense elle aussi qu'il y a souvent un petit côté obsessif chez les coureurs d'ultra-distances.

«Je ne fais plus d'Ironman - je suis redevenue une personne ordinaire, entre guillemets. Quand je me regarde comme ça froidement, je me dis que c'est vrai qu'il y a une composante qui est obsessionnelle, c'est indéniable», dit-elle.

Des coureurs s'entraînent de façon très saine, en sachant pourquoi ils le font et en suivant des objectifs spécifiques, insiste Lysanne Goyer. Mais pour d'autres, croit-elle elle aussi, ça peut devenir malsain. «Quand vient un moment où c'est juste parce qu'il faut que tu réalises plus, que tu aies un meilleur temps, et que tout autour de toi commence à tomber, il faut commencer à se poser des questions», dit-elle.

Selon Sébastien Roulier, c'est justement lorsqu'on ne se sent plus obligé de suivre son entraînement à la lettre que ça devient encore plus intéressant, qu'on peut en profiter au maximum. Et, bien souvent, dit-il, c'est en laissant place à l'improvisation qu'on obtient les meilleurs résultats.

Ultratrails: en hausse 

En course sur route, le nombre d'événements de type ultra (50 km, 100 km ou des courses en boucles de 6 heures, 12 heures et 24 heures) est stable (de 3 à 4 événements par année), « mais ils étaient plus populaires auprès des coureurs d'ultra avant l'apparition des ultratrails», indique Réjean Gagné, fondateur du site iskio.ca. La progression est importante du côté des ultratrails depuis quelques années, «le but ultime pour quelques organisateurs étant d'avoir des coureurs qui complètent un 100 milles (160 km) ici, plutôt que de devoir aller aux États-Unis», explique M. Gagné.