Des crèmes personnalisées fabriquées sur mesure pour soulager les douleurs chroniques. Peu connues des patients et de bon nombre de médecins, les préparations magistrales sont remplies de promesses.

Des dizaines d'infiltrations, de traitements de physiothérapie, d'acupuncture et de massothérapie entrecoupés de visites chez des médecins ou aux urgences, du Lyrica et du Dilaudid, rien n'était parvenu à apaiser les très fortes douleurs que causaient à Jacques Verret des hernies cervicales et de l'arthrose au cou. En l'absence de traitements ou de médicaments capables de le soulager, il avait songé au suicide. Son salut est venu d'une simple crème, une préparation magistrale que lui a concoctée Denis Boissinot, pharmacien de Québec qui fabrique ce médicament.

Jacques Verret avait découvert ces médicaments grâce à son épouse qui avait eu vent de leurs effets bénéfiques auprès d'enfants hospitalisés. Quelques jours après les premières applications, ses souffrances avaient commencé à diminuer et après quelques semaines, il a pu reprendre son travail, interrompu durant deux ans, et se défaire de la morphine. Aujourd'hui, grâce à un mélange de méthadone et de crème, son niveau de douleur est passé de 10/10 à 1/10 ou 2/10 et il mène une existence active. « Les préparations magistrales m'ont sauvé la vie », lance-t-il.

Une préparation magistrale ? Ne vous étonnez pas si le nom vous est inconnu. Elles sont répandues en Colombie-Britannique et aux États-Unis, mais au Québec, même des médecins les connaissent peu ou pas pour traiter la douleur chronique. Toutefois, ceux qui ont appris à connaître leurs propriétés exceptionnelles y recourent de plus en plus.

Un médicament non commercialisé

Une préparation magistrale, explique le pharmacien Denis Boissinot, est un médicament qui n'est pas vendu au Canada ou qui a été retiré du marché. Il est alors fabriqué sur mesure dans certaines pharmacies selon des normes fixées par l'Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ). Une magistrale peut être faite sur ordonnance d'un médecin qui détermine, selon les antécédents médicaux de son patient, ses intolérances à certaines substances et le problème à traiter, quels ingrédients le médicament va comporter : plus d'antidouleurs ou de relaxants musculaires, moins d'anti-inflammatoires. Elle devient alors une préparation personnalisée.

Une poignée de pharmaciens au Québec ont acquis une expertise dans les magistrales et possèdent les équipements nécessaires à leur production en grande quantité, mais même l'OPQ ne connaît pas leur nombre précis.

Il existe des milliers de recettes pouvant être utilisées pour une très grande variété de pathologies. Denis Boissinot estime que la nifédipine, un onguent pour guérir les fissures anales qu'il a reproduit à la demande d'un chirurgien, aurait épargné une intervention chirurgicale à des centaines de patients. La réduction ou le soulagement des douleurs chroniques ne représente que l'une de leurs nombreuses applications, mais c'est un domaine où elles connaissent un grand essor, observe Benjamin Tanguay, pharmacien chez Gentès et Bolduc Pharmaciens, pharmacie qui ne fabrique que des magistrales, mais qui ne vend pas aux particuliers comme le fait Denis Boissinot à Québec.

Des crèmes sans effets secondaires

Pour la douleur chronique, elles sont appliquées sous forme transdermique (crème) sur la peau dans la région douloureuse. Les magistrales présentent de nombreux avantages : on peut y recourir pour tous les groupes d'âge, des enfants aux personnes âgées, elles n'ont pratiquement pas d'effets secondaires et leur utilisation peut éviter le recours à la morphine ou mettre un terme à son utilisation. 

Les magistrales n'auront pas chez toutes les personnes le même effet spectaculaire que chez Jacques Verret, mais elles vont redonner une meilleure qualité de vie et une capacité fonctionnelle à des personnes limitées dans leurs activités.

« Chez certains, les préparations magistrales vont diminuer la douleur de 25 %. En douleur chronique, c'est énorme. »

- Xavier Rodrigue, physiatre

La Dre Anne-Marie Pinard, anesthésiologiste à la clinique de la douleur de troisième ligne du CHU de Québec, qui a développé une forte expertise dans les magistrales et donne des présentations à leur sujet au corps médical, les utilise souvent en première intervention. Elle a communiqué son savoir au Dr Rodrigue, qui en prescrit aujourd'hui chaque jour. « Les magistrales ont changé ma pratique », dit le physiatre.

Ce dernier précise qu'elles donnent d'excellents résultats pour traiter des problèmes musculaires et articulaires et y recourt notamment pour des sportifs actifs et des aînés souffrant de hernies, de fortes douleurs lombaires ou de sténoses spinales pour lesquelles il n'avait à offrir que les infiltrations ou la morphine. Il s'en sert aussi pour apaiser la douleur dans les cas de maladies dégénératives comme la sclérose latérale amyotrophique (SLA) et chez des amputés. La Dre Pinard les trouve également efficaces pour des douleurs neuropathiques causées par des brûlures ou des décharges électriques, la névralgie post-zona, ainsi que pour des douleurs nociceptives, telles que des spasmes musculaires.

Si plusieurs collègues du Dr Xavier Rodrigue en physiatrie à Québec se tournent de plus en plus souvent vers les magistrales, peu de médecins de famille vont y recourir, regrette la Dre Pinard. « Les magistrales, ce n'est pas l'apanage des cliniques de troisième ligne, commente- t-elle. Ça devrait être mieux connu en première ligne et utilisé plus tôt. Si les omnipraticiens commençaient tout de suite à prescrire une magistrale, peut-être que des gens ne se rendraient jamais à une clinique de la douleur. »

Pour combler cette lacune, les Drs Pinard et Rodrigue ainsi que le pharmacien Denis Boissinot travaillent à la réalisation d'un petit guide de référence pour familiariser les médecins de famille avec ces médicaments.

Pas un remède miracle

Les magistrales ne représentent cependant pas un remède miracle. « C'est une option thérapeutique supplémentaire, insiste le physiatre Xavier Rodrigue. Comme tout médicament, elles présentent certains risques et n'ont aucun effet chez un certain pourcentage d'individus. » Elles sont réservées exclusivement au patient pour qui elles ont été préparées. Elles ne peuvent pas être utilisées non plus sur de grandes surfaces, deux jambes complètes par exemple, ajoute la Dre Anne-Marie Pinard.

Leur plus grande limitation tient cependant à leur coût relativement élevé : pour un tube de 100 g, le prix s'élève entre 35 $ et 125 $, selon le nombre d'ingrédients actifs qu'elles comportent.

Certains assureurs privés les remboursent, d'autres pas. La RAMQ ne les paie que pour les patients d'exception et, avant d'en arriver là, le médecin doit avoir essayé toutes les autres options, y compris la morphine. En outre, l'attente pour une réponse sera de plusieurs mois, ce que déplorent les Drs Pinard et Rodrigue.

Les gens qui ont les moyens de se payer eux-mêmes des magistrales peuvent le faire. Des personnes hospitalisées possédant peu de ressources financières en bénéficient gratuitement durant leur hospitalisation, mais elles ne sont plus fournies à leur sortie et le Dr Rodrigue a dû leur prescrire de la morphine lors de leur retour à la maison dans l'attente d'une réponse de la Régie. Comme quoi tous les patients ne sont pas égaux devant les magistrales, même si elles s'avèrent efficaces pour traiter la douleur chronique.

Photo Denis Méthot, collaboration spéciale

Le physiatre Xavier Rodrigue montre une préparation magistrale en crème qui est extraite d'une pompe donnant exactement la dose à appliquer.