Quelques fois par année, l'organisme Sur la pointe des pieds orchestre des expéditions pour des jeunes atteints de cancer ou en rémission. L'objectif: permettre à des jeunes au parcours hyper médicalisé de partir à l'aventure dans la nature. Une expérience chargée d'émotions à laquelle La Presse a assisté.

DE PARTOUT AU PAYS

Ces jeunes de 14 à 18 ans arrivent de partout au Canada. Ils se retrouvent aux abords du lac du Poisson-Blanc, en Outaouais, gracieusement invités par l'organisme saguenéen Sur la pointe des pieds. Plusieurs suivent des traitements contre un cancer. Au cours des quatre prochains jours, ils vivront malgré tout une réelle aventure en forêt et sur l'eau.

Le plan F

Les éléments se déchaînent

Fin d'après-midi, le ciel s'obscurcit et, soudainement, un véritable torrent déferle. L'eau ruisselle dans la tente et les adultes sortent creuser une tranchée en amont. La bonne humeur de Madeline, William et Nadir, meneurs naturels, est contagieuse: «Ça va nous faire quelque chose à raconter!», s'exclame l'un d'eux. Les jeunes l'ignorent, mais presque au même moment, des microrafales arrachent des arbres dans la forêt autour, et six tornades soufflent en Outaouais - l'une d'elles à moins de 10 km du campement.

La maladie en commun

En soirée, les jeunes discutent autour du feu en mangeant les guimauves que leur camarade Jack fait cuire à la chaîne. «C'est quoi, votre cancer?», demande un des adolescents à la ronde. Une conversation animée s'ensuit. «J'ai vraiment été surpris : quatre personnes ont exactement la même leucémie que moi. On dirait que c'est plus facile quand on sait qu'on n'est pas seul. Ça me rend plus positif, je pense», nous confie Jack, 14 ans.

Une maturité hors norme

Vivre la différence

«N'arrête pas d'y croire»

Le dernier soir, les jeunes resteront longtemps autour du feu. Après un moment de partage sur les traces que laissera le séjour dans la vie de chacun des participants, le groupe entonne des chansons aux paroles tantôt festives, tantôt émouvantes. «Don't stop believing!», chantent avec coeur Madeline et Emily, accompagnées par Catherine. La chanson de Journey s'élève dans la nuit et prend un sens particulier pour plusieurs adultes témoins de la scène, émus.

Ce qui restera

Le matin du quatrième jour, le groupe se prépare à rentrer, en rabaska cette fois. Que restera-t-il de cette expédition? «Ça fait comme une cassure dans leur quotidien», constate Catherine. Sa collègue Marie-Michelle et elle insistent sur la valeur thérapeutique d'une aventure en plein air. «Lâcher prise sur plein d'affaires, ça peut être anxiogène, poursuit Catherine. On les a trouvés vraiment bons d'embarquer là-dedans. Ils en sortent grandis, je crois. Ils ne se reverront sûrement pas, mais ils savent maintenant que, quelque part au Canada, il y a des jeunes qui vivent un peu la même chose qu'eux...»

LES MOTS D'ADÉLIE

«C'était le 22 mars 2018.» Ce jour-là, Adélie Desrosiers, élève douée en français, a ajouté à son vocabulaire un mot qu'elle aurait souhaité ne jamais connaître: glioblastome. Un cancer du cerveau se cachait derrière les maux de tête, la vision double et l'immense fatigue qui la minaient depuis des semaines.

«Je fais de l'épilepsie et je prenais des médicaments. Les crises s'étaient arrêtées, mais par la suite, je dormais tout le temps! Même sur l'heure du dîner à l'école, il fallait que je me couche si je voulais continuer ma journée», raconte Adélie. 

L'intensification de ces symptômes préoccupe les parents de l'adolescente. Sa mère décide alors de l'emmener à l'hôpital. «Les médecins ont trouvé la masse dans mon cerveau et ils m'ont opérée le lendemain, explique Adélie. Dix jours plus tard, on a su ce que c'était. Un cancer.»

L'adolescente prend une pause, et ajoute: «Ça m'a fait peur.»

Pour traiter ce cancer, Adélie reçoit un traitement qui doit s'échelonner sur deux ans. Matin et soir, elle respecte scrupuleusement la période de jeûne qui accompagne la médication.

Parce que l'état de la jeune fille est stable, une infirmière lui a parlé de l'expédition organisée par l'organisme Sur la pointe des pieds. «C'était vraiment à la dernière minute. Elle m'a dit que ce serait bien que je rencontre des jeunes qui vivent la même chose que moi», explique Adélie.

Est-ce difficile de parler de cancer avec ses proches? «Oui, un peu. Je n'ai pas vraiment envie de les inquiéter.»

Le silence s'installe alors sur la rive du lac du Poisson-Blanc. Le regard d'Adélie scrute l'horizon. L'adolescente mesure chacune de ses paroles. «Physiquement, on dirait que je vais mieux, mais c'est dans ma tête que je vais moins bien», lâche-t-elle au bout d'un moment. 

«Es-tu inquiète?»

Adélie hoche la tête pour acquiescer. 

Puis, après un instant de réflexion, un sourire inattendu illumine son visage. «Hier soir, on a parlé de ce qu'on a autour du feu. J'ai appris que Myles avait la même chose que moi. C'était quand même bien de pouvoir en parler. Je ne savais pas avant de venir qu'une autre personne aurait le même cancer que moi.»

La conversation bifurque et tourne autour de l'école, surtout. «Avant, j'étais sûre que je voulais aller en droit. Après le diagnostic, on dirait que je suis devenue moins sûre. Maintenant, je veux finir mes études, peu importe ce qui arrive.» 

Au coeur de ses intérêts, le français, et l'écriture, tout particulièrement. Sur les maux du quotidien, Adélie dépose des mots remplis d'espoir. Près du feu, la dernière soirée, elle a d'ailleurs écrit un poème dans le cahier-souvenir de l'expédition. Elle a eu envie de nous en faire part. 

Lune

Tu es si mystérieuse

Et me rends si heureuse

Lorsque je t'admire,

Je ne peux m'empêcher de sourire.

Ce soir plus que jamais, tu brilles dans le ciel,

Et comme toujours tu m'émerveilles.

Autour de ce feu,

Avec de nouveaux amis,

Je te regarde briller de mille feux,

Et ne pourrais imaginer plus belle nuit.

- Adélie

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Pour traiter ce cancer, Adélie Desrosiers reçoit un traitement qui doit s'échelonner sur deux ans. Matin et soir, elle respecte scrupuleusement la période de jeûne qui accompagne la médication.

LE RETOUR DE WILLIAM

Il y a quatre ans, en moins d'une semaine, la vie de William Campeau a basculé. Après des jours de symptômes qui laissent croire à une gastroentérite, l'adolescent de 14 ans a du mal à se lever. Inquiets, ses parents l'emmènent alors à l'hôpital.

«Ils m'ont fait une prise de sang, se rappelle William. Ils ne croyaient pas les résultats, alors ils en ont fait une deuxième. Quinze minutes plus tard, l'ambulance était là pour m'emmener à Sainte-Justine.»

À l'hôpital pédiatrique, le médecin annonce aux parents de William que leur fils doit subir des traitements immédiatement. L'adolescent souffre d'une leucémie aiguë lymphoblastique. «C'est un tournant dans une vie, souligne William, qui a aujourd'hui 18 ans. Ça change tout. Autant pour moi que pour ma famille. Surtout que mes traitements ont duré deux ans. Imagine... ç'a été difficile pour tout le monde.»

L'année suivante, alors que William subit toujours des traitements deux fois par semaine, l'équipe médicale qui l'accompagne lui propose un défi plutôt inusité : partir quatre jours en forêt avec l'organisme Sur la pointe des pieds.

«J'avais vraiment peur de ne pas être capable, se souvient William. On allait faire du travail physique et je voyais ça gros! J'étais vraiment anxieux de quitter ma mère, aussi. Elle restait toujours avec moi et, veux, veux pas, quand tu te fais séparer de la personne qui t'a gardé en santé, ça peut faire peur...»

William accepte toutefois de relever le défi. Bien qu'affaibli par la maladie, il arrive à suivre le groupe et il tisse des liens avec les autres participants. «J'étais quand même fier. Ça m'a fait du bien. Le contact avec la nature, ça m'a laissé comme... en paix», raconte-t-il avant d'ajouter que le fait de vivre cette expérience avec d'autres jeunes atteints de cancer l'a rendu plus serein. «Avec eux, j'étais capable de parler de la maladie. Quand tu parles à tes parents, oui, tu vas t'ouvrir, mais tu ne veux pas les inquiéter non plus. Ils vont avoir peur que tu n'ailles pas bien, et toi, tu ne veux pas les blesser. Ça doit être dur de voir ton enfant souffrir comme ça...»

À son retour à la maison, William s'est senti «plus en forme» et d'attaque pour la suite des traitements. Aujourd'hui, il est en rémission depuis deux ans.

Pourquoi alors participer à une nouvelle expédition? «Parce que ça reste toujours une partie de nous, la maladie, explique-t-il. Je me disais aussi que je pourrais aider des jeunes qui vivent ce que je vivais en 2015. Je voulais leur montrer que j'ai été capable de surpasser la maladie.»

Mission accomplie. Meneur dans le groupe, il veille sur les plus jeunes pendant tout le séjour et il tend l'oreille à ceux qui éprouvent le besoin de parler. Ce nouveau voyage avec l'organisme lui permet, en quelque sorte, de boucler la boucle.

«Je ne vois plus la vie de la même manière, je m'en rends bien compte, confie-t-il. Aujourd'hui, je suis capable d'apprécier les petits moments avec ma famille, avec mes amis ou ici, avec le groupe. J'apprécie ce temps-là, parce qu'on ne sait pas ce qui peut se passer demain.»

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

William Campeau est en rémission depuis deux ans. «Je me disais que je pourrais aider des jeunes qui vivent ce que je vivais en 2015. Je voulais leur montrer que j'ai été capable de surpasser la maladie.»

JOCELYN, EN ATTENDANT LE PAINTBALL

L'expédition tire à sa fin. Les participants, réunis autour du feu, font part tour à tour du mot qui, selon eux, résume le mieux l'expérience qu'ils viennent de vivre. D'une toute petite voix, Jocelyn, une jeune Albertaine de 14 ans, présente le sien: «Défi.»

«Je suis vraiment sortie de ma zone de confort, nous explique-t-elle le lendemain en bouclant ses bagages. J'ai des défis personnels, comme de l'anxiété. Je n'avais jamais dormi dans une tente avant. Je n'avais pas non plus vécu dans une province différente de celle où se trouvent mes parents. J'avais un peu peur.»

L'expédition, organisée par l'organisme Sur la pointe des pieds, arrivait malgré tout à point dans la vie de l'adolescente. À mi-chemin de deux ans et demi de traitements pour une leucémie aiguë lymphoblastique, Jocelyn ressentait le besoin de briser la routine. Partir à l'aventure en forêt et en rabaska surpassait tout de même ses attentes. Quand elle évoque toutes les «premières fois» qu'elle vient de vivre, la jeune fille affiche un grand sourire. «C'était beaucoup, mais ça s'est bien passé!», lance-t-elle.

Même lorsque le vent et la pluie se sont mis de la partie? «Oh oui! Surtout pendant les orages! Ça, c'était vraiment cool!»

Avec les autres participants, elle a discuté des traitements, des douceurs qu'on donne aux enfants atteints de cancer à l'hôpital, du corps qui change avec la médication, de la réaction des proches, aussi. 

- Je sais qu'il y a différents types de leucémie et différents traitements, mais c'est bien de voir qu'on peut passer au travers quand on parle avec les autres, confie-t-elle. Il me reste une année de traitements encore, mais c'est comme si, maintenant, ce n'était pas si long...

- Ça te donne du courage?

- Oui! Vraiment! Je ne me sens plus seule. Je vois les difficultés des autres, les défis qu'ils doivent relever, et j'ai l'impression que je ne suis plus prise dans mon petit coin.

Jocelyn n'avait pas encore 13 ans lorsqu'elle a appris l'existence de son cancer. Ses traitements prendront fin à la fin de l'année 2019, lorsqu'elle aura 15 ans. Y pense-t-elle, parfois? «Oh oui! Je pense que je sais ce que je vais faire: je vais aller jouer au paintball! Ensuite, je vais organiser une très grosse fête du jour de l'An pour célébrer cela avec tous mes amis. Ce sera enfin terminé.»

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

L'expédition, organisée par l'organisme Sur la pointe des pieds, arrivait à point dans la vie de l'adolescente. À mi-chemin de deux ans et demi de traitements pour une leucémie aiguë lymphoblastique, Jocelyn ressentait le besoin de briser la routine.