Il y a 10 ans à peine, la médecine ne pouvait pas grand-chose pour les enfants souffrant d'allergie alimentaire: on confirmait l'allergie, on prescrivait un auto-injecteur et on les priait de faire attention. L'avenir, heureusement, est beaucoup plus prometteur: la désensibilisation orale a même déjà commencé, ici même au Québec.

Nathan est assis sur un lit dans une grande salle éclairée quelque part au milieu du site Glen, le nouveau super-hôpital du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Un peu plus tôt ce jour-là, le garçon de 10 ans, fortement allergique au lait, a absorbé à la seringue 2,5 ml d'une solution contenant une part de lait de vache contre 9 parts d'eau.

Une infirmière prend la pression de Nathan avant de le libérer. Sa période d'observation, qui dure en moyenne une heure, est presque terminée. «Ça a duré un peu plus qu'une heure aujourd'hui parce qu'il avait les joues rouges», explique sa mère, Sandra Brochu, en regardant son fils du coin de l'oeil.

Pendant deux semaines, les parents de Nathan devront lui donner 2,5 ml de cette solution chaque jour, à la maison. Si tout se passe bien, Nathan reviendra au site Glen dans deux semaines pour augmenter sa dose à 5 ml, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il puisse boire, d'ici 4 à 6 mois, 300 ml de lait par jour.

Nathan Viau fait partie des quelque 60 patients à prendre part à un projet de recherche pancanadien dirigé depuis 2013 par une équipe du CUSM. Il vient tout juste d'entreprendre un protocole de désensibilisation orale (ou immunothérapie orale) au lait, qui consiste à exposer régulièrement et très graduellement le système immunitaire à un aliment allergène sous supervision médicale.

Le fromage tente particulièrement Nathan, qui n'en a jamais mangé de sa vie. «Plus la poutine et la lasagne», précise le garçon, provoquant les rires de ses parents et des infirmières autour de lui.

Guérir l'allergie

«Le but du projet de recherche, c'est vraiment de savoir comment on peut guérir l'allergie au lait, résume le Dr Bruce Mazer, directeur exécutif et directeur scientifique en chef de l'Institut de recherche du CUSM. On veut aussi nous donner des outils pour le faire avec plus d'enfants ayant une allergie au lait et pour le faire avec les autres types d'allergies alimentaires.» Après le volet sur le lait, l'équipe du CUSM souhaite entreprendre un programme pour les allergies aux oeufs, suivi d'un programme pour les arachides puis d'un autre pour les noix.

Sur le lit en face de Nathan, il y a la famille Murphy-Sirois, qui s'est déplacée expressément pour nous raconter son histoire. Leur fils aîné, Lucas, a entrepris cet été un protocole de désensibilisation aux arachides. Il y a quelques mois à peine, Lucas réagissait à la moindre trace d'arachide: il a déjà eu une réaction au visage après avoir été léché par un chien qui avait léché un pot de beurre d'arachide deux jours plus tôt. Aujourd'hui, Lucas consomme 300 mg de protéine d'arachide par jour, «l'équivalent d'un peu plus qu'une arachide», précise Lucas du haut de ses 12 ans. «C'est la dose de maintenance», ajoute-t-il.

Quand la mère de Lucas a su, le printemps dernier, que son fils avait été retenu pour participer à cet essai clinique piloté par des collaborateurs américains, elle a pleuré de joie. «Je n'avais jamais pleuré comme ça. Je suis montée du sous-sol et je n'étais pas capable de parler», dit Ann Murphy, qui a été marquée par les chocs anaphylactiques que son fils a vécus au cours de sa vie.

À la recherche de participants

L'équipe du CUSM recrute actuellement des patients pour ses programmes d'allergies aux oeufs, aux arachides et aux noix. Pour plus d'information sur les possibilités de participer à ces programmes: food.allergy@muhc.mcgill.ca

Bientôt une clinique spécialisée à Sainte-Justine

Comme Lucas et Nathan, plusieurs dizaines d'enfants ont la chance, au Québec, de participer à des projets de recherche (universitaire ou pharmaceutique) de désensibilisation orale pour des allergies alimentaires. Contrairement aux États-Unis, où ce type de traitement est offert (à fort prix) en clinique privée depuis une dizaine d'années, il n'existe pas encore d'offre clinique formelle au Canada pour la désensibilisation aux allergies alimentaires.

C'est appelé à changer sous peu: le Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine devrait bientôt annoncer l'ouverture de la toute première clinique canadienne de traitement des allergies par immunothérapie orale. Le CHU Sainte-Justine a donné son appui au projet l'été dernier, mais il manquait une chose: le financement. Les programmes de désensibilisation orale coûtent cher en ressources humaines.

Un groupe de parents (ByeByeAllergies.ca) a fait une collecte de fonds et a amassé à ce jour plus de 300 000 $, indique le Dr Philippe Bégin, allergologue au CHU Sainte-Justine et au CHUM, «assez pour qu'on enclenche le processus d'implémentation de la clinique». 

Avant l'annonce officielle, il reste à clarifier les règles, dont les critères de priorisation des patients, «parce que la demande va être là», convient le Dr Bégin, qui souligne que les recommandations de patients seront acceptées uniquement après l'annonce officielle.

S'il n'existe pas d'offre clinique formelle de désensibilisation orale au Canada, des médecins allergologues ont tout de même commencé à la pratiquer auprès des patients qui, contrairement à Lucas et à Nathan, ont un seuil de réactivité élevé. Ceux qui, par exemple, réagissent après avoir mangé 10 arachides seulement.

«Au lieu de les renvoyer à la maison [les patients dont le seuil de réactivité est élevé] et de leur dire: "N'en mange pas et reviens dans deux ans", comme on le faisait avant, on leur dit de commencer à manger une arachide par jour, explique le Dr Philippe Bégin. Dans six mois, on va augmenter à cinq par jour, et dans six autres mois, on va réessayer notre challenge [un test sous supervision pour vérifier si l'allergie est toujours présente]. Et comme de fait, généralement, ils passent.»

Allergies multiples

Pour former le personnel en vue de l'ouverture de la clinique, l'équipe du Dr Bégin a aussi traité sept enfants qui réagissent à de très faibles quantités d'allergènes, incluant des enfants ayant des allergies multiples. Contrairement à l'approche du CUSM, qui consiste à traiter un allergène à la fois, le Dr Bégin préfère s'attaquer à tous les allergènes simultanément.

L'équipe du CHU Sainte-Justine et celle du CUSM s'entendent: la désensibilisation orale est un processus exigeant. «Ça a l'air grandiose et magique, mais ce n'est pas facile, dit le Dr Moshe Ben-Shoshan, spécialiste en allergie et immunologie pédiatrique au CUSM. La famille qui entre dans ce processus doit savoir que ça ne va pas nécessairement marcher rapidement, qu'on peut avoir des réactions [certains auront à s'administrer de l'adrénaline pendant le traitement], mais je pense qu'à long terme, ça vaut la peine.» Une fois le traitement terminé, les patients doivent continuer à consommer l'aliment sur une base régulière pour maintenir la désensibilisation.

Selon Lucas, qui suit un protocole de désensibilisation aux arachides, tous ces sacrifices en valent amplement la peine: «Quand je vais être plus grand, ça va moins me limiter et je vais pouvoir sortir avec tous mes amis», dit-il.

Photo Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Le Dr Philippe Bégin, allergologue-immunologue au Centre hospitalier de l'Université de Montréal, prépare des doses d'arachides servant aux tests avec ses patients.

Un défi quotidien

Quand on a un enfant allergique, on a simplement à éviter de lui donner l'aliment allergène, non? La réalité est beaucoup plus complexe. On en discute avec les parents de trois enfants allergiques faisant partie d'un programme de recherche sur la désensibilisation orale, au Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

Lucas Sirois, 12 ans

Allergies: arachides, lentilles, soya, ananas

Suit un protocole de désensibilisation aux arachides dans le cadre d'un programme de recherche américain.

«Ce qui nous préoccupait le plus, et pourquoi on voulait faire ça, c'est que Lucas s'en va dans l'adolescence et qu'il faut qu'on le laisse vivre tout seul avec ça. Je pense que Lucas, parfois, ne voit pas toute la préparation qui est nécessaire à ça. C'est un fardeau qu'on voulait lui enlever, le libérer de ça un petit peu, si c'est possible.» - Ann Murphy, mère de Lucas

Aisha Kane, 7 ans

Allergies: lait, oeufs, arachides, sésame, moutarde

Suit un protocole de désensibilisation au lait dans le cadre du programme de recherche du CUSM.

«Le plus difficile, c'est de la confier à quelqu'un. Elle fait aussi de l'asthme. Je dois donner un cours d'une demi-heure, une heure à chaque personne à qui je la laisse. Elle a commencé un nouveau camp de jour l'été dernier: j'ai dû prévoir une rencontre avec le coordonnateur, ensuite une rencontre avec l'animatrice. Même chose à l'école...» - Isabelle Tardif-Bernier, mère d'Aisha

Nathan Viau, 10 ans

Allergies: lait et oeufs

Suit un protocole de désensibilisation au lait dans le cadre du programme de recherche du CUSM.

«Il faut toujours, toujours planifier. Chaque fois qu'on part, il faut partir avec une boîte à lunch. Nathan ne mange jamais au restaurant. Même si on va juste magasiner, il faut toujours planifier un repas pour lui au cas où il arrive quelque chose et qu'on ne peut pas retourner à la maison.» - Sandra Brochu, mère de Nathan

Photo Ninon Pednault, La Presse

Sidney Sirois, 7 ans, Philippe Sirois, Lucas Sirois, 12 ans, et Ann Murphy.