Du jour au lendemain, quand il avait 52 ans, Normand Gour s'est retrouvé avec des acouphènes. L'ingénieur de l'Outaouais n'avait jamais travaillé dans un milieu bruyant. Au fil des mois, il a dû se résoudre à vivre avec un «grichage» intermittent, «comme une radio entre deux postes».

«Au début, je pensais que j'avais l'oreille gauche bouchée, comme ça m'était arrivé à l'université, dit M. Gour. Mon médecin m'a dit que non. Mon oreille droite a commencé à être bouchée puis ç'a évolué vers un grichage. J'ai fini par être hypersensible aux bruits et j'ai envisagé de cesser de jouer du saxophone dans des orchestres. Mais j'ai lu et j'ai compris que je devais désirer mes acouphènes. Ça peut ressembler à des grillons. J'ai fini par me convaincre que c'était positif pour moi.»

De l'autre côté du spectre, Pierre LeBlanc, un militaire à la retraite, gère plus difficilement ses acouphènes. «J'ai commencé à les avoir en 1996 en Haïti, probablement à cause d'un médicament contre la malaria, dont c'est l'un des effets secondaires. Ç'a été compliqué par un syndrome de stress post-traumatique. Je dois choisir mes activités et leur moment pour éviter le stress. Je fais beaucoup d'ordinateur, mais je dois gérer mon temps, une demi-heure, puis une pause de dix minutes, et une autre demi-heure, sinon je suis épuisé par les acouphènes. Je prends des antidépresseurs et du clonazépam contre l'anxiété.» 

Les acouphènes de M. LeBlanc, qui habite Québec, sont compliqués par une surdité importante. Il porte des bouchons atténuateurs qui réduisent de 25 décibels le niveau de bruit ambiant.

Essais et erreurs

Ces deux extrêmes illustrent bien les aléas des acouphènes, un trouble auditif qui génère un bruit fantôme rendant plusieurs patients très anxieux.

«La majorité des gens qui ont des acouphènes n'ont pas beaucoup de problèmes, mais pour une minorité, c'est énorme, avec beaucoup d'anxiété et de dépression», affirme Sylvie Hébert, présidente d'Acouphènes Québec.

«On peut avoir des aides auditives si le problème n'est pas trop grave, mais la thérapie cognitivo-comportementale aide beaucoup, comme pour l'insomnie ou la douleur, ainsi que les contacts avec d'autres gens qui ont le même problème. Acouphènes Québec n'a que 600 membres, mais on pense que 700 000 personnes au Québec en souffrent, dont 70 000 gravement», ajoute Mme Hébert, qui est également chercheuse au laboratoire de recherche sur le cerveau, la musique et le son du Centre de recherche de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal, affilié à l'Université de Montréal.

Selon une étude publiée l'été dernier dans la revue JAMA Otolaryngology, les acouphènes touchent une personne sur dix, un peu plus souvent les hommes, probablement à cause des métiers dans des environnements bruyants. 

6,8 % des adultes non exposés à des bruits forts au travail ont des acouphènes

19,2 % des adultes exposés à des bruits forts au travail ont des acouphènes

10,5 % des hommes adultes ont des acouphènes

8,8 % des femmes adultes ont des acouphènes

Source: JAMA Otolaryngology

Contrairement au Québec, les médicaments contre la dépression et l'anxiété sont souvent utilisés aux États-Unis pour minimiser les impacts des acouphènes. «Ce n'est pas très fréquent ici, dit Janik Sarrazin, président de l'Association d'otorhinolaryngologie et de chirurgie cervico-faciale du Québec. Les anxiolytiques contre l'anxiété ont des effets secondaires importants et n'ont pas d'impact sur les acouphènes. On préfère ne pas recourir à des médicaments.»

Les parades contre les acouphènes nécessitent beaucoup d'essais et erreurs des patients, selon le Dr Sarrazin. «Il n'y a aucune recette qui fonctionne tout le temps pour tout le monde. Parfois, on peut avoir un bruit blanc qui annule votre acouphène à vous. D'ailleurs, le Québec a été l'un des derniers endroits à passer de l'analogue au numérique pour les aides auditives. Les aides analogues avaient un petit bruit de fond. Certains patients avec des acouphènes se sont ennuyés de ce bruit quand ils sont passés au numérique voilà 10 ans.»

Normand Gour, de Gatineau, rapporte que son ORL ne lui a jamais parlé de la possibilité d'une thérapie cognitivo-comportementale. «Il m'a dit qu'il n'y a rien à faire, il était presque fâché d'être confronté à un problème devant lequel il était impuissant. J'ai trouvé par moi-même ma propre thérapie, en lisant.»

Un ORL d'un grand centre donnera toujours des références de psychothérapie à un patient qui en fait la demande, rétorque le Dr Sarrazin. «Personnellement, ça m'arrive deux ou trois fois par année. Notre première approche, c'est de rassurer le patient, de lui dire que ce n'est pas le signe d'un problème plus grave, qu'il n'est pas en train de devenir fou ou sourd.»

Parmi les Américains souffrant d'acouphènes...

45 % prennent des médicaments contre l'anxiété

9 % ont des prothèses auditives électroniques

8 % prennent des suppléments alimentaires

7 % utilisent des méthodes de réduction du stress

3 % utilisent des écouteurs masquant les bruits

0,2 % utilisent la thérapie cognitivo-comportementale

Source: JAMA Otolaryngology