Le défenseur international belge Laurent Ciman s'est joint à l'Impact de Montréal en janvier 2015. À ses yeux et aux yeux de sa femme, Diana Saiu, le Québec offrait de meilleures perspectives pour leur fille Nina, qui a reçu un diagnostic d'autisme. Depuis, Nina a fait de grands progrès, disent-ils. « C'est le jour et la nuit », se réjouit le couple Ciman-Saiu, qui nous a accueillis à son domicile de Candiac pour nous raconter son histoire.

Des outils pour calmer ou stimuler

Laurent Ciman et Diana Saiu ont choisi de s'établir à Candiac, sur la Rive-Sud, parce qu'ils ont besoin d'espace. D'une cour, pour bouger, et d'un sous-sol, pour que Nina et son petit frère Achille, 2 ans (qui a un développement tout à fait normal, voire avancé pour son âge), puissent jouer. C'est aussi là que Nina fait des activités qu'on lui a suggérées pour optimiser son développement.

Comme la majorité des enfants autistes, Nina a des difficultés dites « d'intégration sensorielle  » : elle a de la difficulté à utiliser et interpréter l'information sensorielle de son environnement par le truchement de ses sens pour permettre l'émergence de réponses adaptées à son environnement. Par exemple, elle a une réaction défensive face aux bruits et à la lumière et présente des difficultés avec son équilibre et dans la perception des parties de son corps. Lorsqu'elle se blesse, elle réagit très peu.

En ergothérapie, on utilise un éventail d'outils destinés à aider le système nerveux des enfants autistes à mieux analyser et évaluer les informations sensorielles. Ces outils permettraient de calmer ou de stimuler les enfants et de les rendre ainsi plus aptes aux apprentissages, plus disponibles aux interactions.

Les outils de Nina



La maman de Nina, Diana Saiu, a sélectionné quelques outils qu'elle trouve utiles pour sa fille. Karine Gagner, maman d'une enfant autiste et présidente propriétaire de l'entreprise FDMT, spécialisée en jouets éducatifs et sensoriels, à Longueuil, nous explique à quoi ils peuvent servir.

Animal lourd

« Ça permet de faire des pressions profondes sur la peau. Ça peut aider un enfant, au moment du dodo, à s'apaiser et être en mesure de s'endormir. Ça peut également aider un enfant à se concentrer au moment des devoirs, parce qu'il est plus dans son corps, plus dans le moment présent », explique Karine Gagner.

Collier à mâchouiller

«  Les gens qui ont plus de stress vont souvent souffrir de bruxisme ; ils vont serrer très fort les mâchoires, souvent en dormant, et c'est une façon d'essayer de s'apaiser. Avec les enfants, on peut utiliser ces colliers, qui sont conçus pour ça et qui sont totalement sécuritaires. »

Lampe de poche

On se sert d'une lampe de poche pour inviter Nina à porter attention à la bonne cible. « Ce n'est pas quelque chose que j'ai utilisé comme parent, mais dans certains cas, peut-être que ça peut être intéressant. Le côté lumineux pourrait ramener l'attention d'un enfant. »

Art 3D

« Ça permet de bien ressentir la partie du corps qu'on y met. Souvent, au niveau tactile, des enfants ne sentent pas aussi bien leur corps qu'ils ne le devraient. Quand on met la main sur les clous, tout à coup, on la sent. Et c'est aussi pour le plaisir : la texture est intéressante. »

Brosse

« La brosse sert d'abord et avant tout au protocole Wilbarger, donné par l'ergothérapeute. C'est une technique de brossage du corps, suivi d'une technique de compression des articulations. Ça sert à éveiller le système proprioceptif [lié à la perception de la position des différentes parties du corps]. Après, on ressent tout son corps, toutes ses articulations. »

Bac à pois

« Il y a beaucoup d'enfants qui ont de la difficulté avec les textures. Ce sont des enfants qui ne vont pas vouloir jouer dans l'herbe, qui ne voudront pas jouer dans le carré sable ou avec de la pâte à modeler. Ils sont trop sensibles au niveau de la peau. Le bac à pois peut être un outil pour faire la transition avant d'aller jouer avec d'autres textures. »

Ballon

« Le ballon peut servir à différentes choses. On peut s'en servir pour faire des exercices sur le plan moteur, comme la technique de la brouette, en tenant les pieds de l'enfant. On peut aussi travailler avec le ballon pour s'asseoir. Ça permet en même temps de travailler les muscles des abdominaux. »

Trampoline

« Le trampoline permet aux enfants de bouger et, en même temps, de faire des pressions profondes sur toutes leurs articulations, dont les genoux et hanches. »

Couverture

La famille de Nina s'en sert pour la balancer, comme dans un hamac. « Ça permet de travailler le système vestibulaire [lié au mouvement et à l'équilibre]. Le mouvement peut servir à éveiller ou à calmer, tout dépendant les circonstances. Ma fille apprenait ses mots de vocabulaire en faisant du hamac. Et ça a très bien fonctionné ! »

Une approche convoitée...et mise en doute

Qu'est-ce que le Québec offre que la famille Ciman n'a pas trouvé en Belgique ? L'intervention comportementale intensive, une approche qui demande beaucoup de temps et d'effectifs. Paradoxalement, au lendemain du premier Forum québécois sur le trouble du spectre de l'autisme, on songe, au Québec, à diversifier l'offre de services.

Une méthode absente en Belgique

Jointe à Bruxelles, Cinzia Tolfo, présidente de l'association Inforautisme, était bien au fait de l'histoire de la famille Ciman. Si cette famille est venue au Canada, dit-elle, c'est pour accéder à une approche qui n'est pas offerte en Belgique : l'applied behavior analysis(ABA) ou analyse du comportement appliquée, une méthode qui utilise le renforcement pour favoriser l'apprentissage de comportements.* « Chez nous, tout est à construire de ce côté-là, dit Mme Tolfo. Et malheureusement, comme la France, on est encore sous l'influence des thérapies psychanalytiques. » Certes, dit-elle, il existe en Belgique francophone des classes de pédagogie adaptées à l'autisme, mais seulement un enfant autiste sur dix en bénéficie et la formation des enseignants en la matière demeure très limitée. « Nous essayons de convaincre le ministère de l'Éducation d'appliquer l'ABA, mais on a un gros problème : il n'y a pas d'enseignement supérieur d'ABA en Belgique. »

Le modèle québécois

Au Québec, l'approche prescrite s'appelle l'intervention comportementale intensive (ICI), une application intensive des principes de l'ABA. En 2003, Québec a confié aux centres de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement (CRDITED) la mise en place d'un programme universel d'ICI auprès des enfants autistes de moins de 6 ans, à raison de 20 h par semaine. Selon une revue de la littérature publiée en 2011 par l'American Academy of Pediatrics, aux États-Unis, ces interventions comportementales précoces se sont traduites, chez certains jeunes enfants, par des améliorations sur le plan de la performance cognitive, des habiletés de langage et des compétences relatives aux comportements adaptatifs. On a toutefois noté que la littérature scientifique sur cette question demeure limitée en raison de la méthodologie utilisée.

La clé: l'intensité?

Selon la psychologue Nathalie Poirier, qui travaille depuis 25 ans auprès de familles comptant un enfant autiste, l'intensité est la clé dans l'intervention auprès des enfants autistes. « On travaille, avec l'enfant, à développer tous les comportements qui pourraient lui être disponibles pour fonctionner à la maison, à la garderie, à l'école », explique la psychologue, selon qui l'intervention précoce, à un âge où le cerveau de l'enfant est « plus malléable », est « nécessaire ». « Il y a plus de connexions qui se font en bas âge, poursuit Nathalie Poirier, professeure à l'UQAM. C'est pour ça qu'on met beaucoup d'intensité entre 2 et 6 ans. » Le programme de l'enfant peut intégrer les recommandations d'autres professionnels, dont les psychoéducateurs, ergothérapeutes et orthophonistes.

Les pays industrialisés divisés

L'approche du Québec s'inscrit dans le courant nord-américain, explique Laurent Mottron, psychiatre et chercheur à l'hôpital Rivière-des-Prairies et au Centre de recherche de l'Institut universitaire en santé mentale de Montréal. Et ce courant, souligne-t-il, ne fait pas l'unanimité. « Vous avez une importante et assez unique division entre les pays développés à ce sujet », dit le DMottron, qui a déjà émis des doutes quant à la pertinence de ce type d'intervention. Laurent Mottron cite l'exemple du Royaume-Uni, qui a publié en 2013 son premier guide de pratique sur le soutien et la gestion des autistes âgés de moins de 19 ans. Les interventions intensives à raison d'un certain nombre d'heures par semaine n'y figurent pas, « parce que la nature de ce qui est changé n'avait finalement pas de valeur adaptative pour l'enfant », explique le Dr Mottron. « La force de la preuve et le rapport coût-bénéfices des interventions comportementales intensives étaient aussi trop faibles. »

Le modèle britannique

Le modèle de la Grande-Bretagne est totalement différent, explique Laurent Mottron : on mise sur l'éducation des parents afin que ces derniers puissent comprendre leur enfant, la façon dont il s'exprime, la façon d'intervenir lors des crises, etc. Le capital humain et financier qu'on libère en cessant de faire de l'intervention au quotidien est disponible sans délai pour la gestion des périodes de crise. Selon le Dr Mottron, les autistes ont un plan de développement différent et « ça ne vaut pas la peine » de les « entraîner » à adopter tel ou tel comportement avant un certain âge, pas plus qu'il n'est utile, illustre-t-il, de forcer l'apprentissage de la propreté avant 2 ans chez un enfant normal.

De nombreuses listes d'attente

Au-delà des dissensions en matière d'intervention, tous les acteurs s'entendent sur une chose : le réseau public au Québec n'arrive pas à répondre à la demande* (soulignons que la famille Ciman a recours à des services privés). « Actuellement, ce qui est proposé, c'est très onéreux en temps, en ressources humaines, constate la Dre Dominique Cousineau, chef de la section pédiatrie du développement du CHU Sainte-Justine. Les temps d'attente actuels pour la prise en charge en CRDITED sont excessifs. » Après la tenue du tout premier Forum québécois sur le trouble du spectre de l'autisme, le mois dernier, les acteurs réunis ont d'ailleurs recommandé de documenter et proposer d'autres approches. « Après quelques années du modèle unique onéreux de prise en charge de type ICI, avec des succès inégaux, et un embouteillage pour l'accès aux services, on propose de diversifier l'offre de services spécialisés pour répondre de manière plus ajustée pour tout ce spectre de l'autisme », résume la Dre Cousineau.

* Nina Ciman a d'abord eu recours à des services de type ICI. Comme elle ne semblait pas prête à faire ces apprentissages sous cette forme, on lui a plutôt préparé un plan qui s'inspire de plusieurs approches et dans lequel l'ergothérapie occupe une place importante. La famille Ciman a recours uniquement au privé.