Faire enlever un tatouage n'est pas une mince affaire. Le processus est plus long, plus douloureux et plus coûteux que le tatouage. Quant aux moyens utilisés, ils peuvent être discutables, voire parfois carrément dangereux. Voici ce qu'il faut savoir avant de confier sa peau au premier venu.

La vigilance s'impose

De nombreuses options de détatouage s'offrent aux consommateurs, mais sont-elles toutes recommandables ? Non, répondent des spécialistes qui plaident pour un meilleur encadrement de la pratique. En attendant qu'on se penche sur la question, des victimes doivent vivre avec les stigmates laissés par un mauvais traitement.

On compte aujourd'hui plus de tatoués que de fumeurs au Canada : 22 % de la population est porteuse d'encre, selon un sondage réalisé en 2012 par Ipsos Reid, contre 15 % de fumeurs*.

« Le tatouage est un signe distinctif de l'apparence actuelle. Il fait maintenant partie d'un mode de vie où s'exprime un désir de non-conformité qui est devenu la norme », fait remarquer Mariette Julien, professeure à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM et spécialiste de l'image corporelle.

Cet engouement pour le tatouage a fait naître une demande pour son contraire : un nombre de plus en plus important de personnes consulte pour effacer les traces d'un tatouage, que ce soit parce qu'il a été mal exécuté, parce qu'elles ne l'aiment plus, ou parce qu'elles veulent rompre avec le passé, comme ce cas classique de l'ex-amoureux dont on souhaite effacer le souvenir. Un tatoué sur dix regretterait son tatouage, selon la firme Ipsos Reid.

Depuis cinq ans, Daniel Barolet, qui est dermatologue et professeur à l'Université McGill, reçoit un flot constant de porteurs d'encre à sa clinique. À ses débuts dans les années 90, le spécialiste des lasers médicaux accueillait principalement des patients qui souhaitaient éliminer complètement leur tatouage. Dans bien des cas, des stigmates de la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd'hui, c'est souvent avec l'idée de pâlir son tatouage pour le couvrir par un autre qu'on vient le voir. Un changement qu'il attribue à une plus grande acceptation sociale des tatoués. Ce n'est pas un hasard si certains salons de tatouage commencent à s'équiper afin d'offrir ce service complémentaire au leur.

Des techniques souvent douteuses

Plusieurs types de commerces proposent actuellement divers traitements : lasers, microdermabrasion, crèmes blanchissantes et injections de lait de chèvre ou de solutions à l'acide glycolique, une molécule normalement utilisée de manière topique.

Aucune technique ne s'est montrée pleinement satisfaisante à ce jour, estime le docteur Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins.

Il estime toutefois que, de toutes les propositions, le laser est probablement la solution « la moins pire ».

La docteure en pharmacologie Maryam Majdi, qui a ouvert la clinique de détatouage Laser Azalea il y a un peu plus d'un an, reçoit parfois des clients qui ont été victimes de mauvais traitements occasionnés par le laser ou d'autres techniques. « Certains ont des brûlures et des cicatrices importantes. Malheureusement, ces blessures sont souvent irréversibles. On peut les améliorer, mais on ne pourra jamais les faire disparaître complètement. »

Daniel Barolet, qui soigne également des victimes de mauvais détatouage, est catégorique : les lasers sont la seule méthode valable pour faire disparaître un tatouage. Mais encore faut-il avoir les compétences pour les utiliser correctement. « Ce type d'intervention devrait minimalement être exécuté par un médecin, idéalement par un dermatologue », affirme celui dont l'expertise en détatouage est reconnue mondialement.

Cependant, comme pour le tatouage, aucune loi ne régit l'équipement et la pratique du détatouage au Québec. « Le problème, c'est que n'importe qui peut s'acheter n'importe quel type de laser pour 2000 $ sur internet et décider de l'utiliser de manière commerciale, sans avoir de compétences particulières », estime Maryam Majdi.

Et ce cadre législatif inexistant peut avoir des répercussions importantes sur la santé, l'apparence et l'estime de soi (voir l'onglet suivant).

Tous les lasers ne sont pas égaux

Le principe du laser est d'utiliser la lumière pour créer une onde de choc qui fragmente les pigments au fil des traitements. Ceux-ci sont ensuite éliminés dans l'urine. Le processus serait sans danger pour la santé s'il est bien exécuté, car ces molécules ne voyagent pas dans le sang, selon Daniel Barolet. L'encre rouge contient toutefois du cinabre qui peut provoquer des réactions allergiques chez les personnes plus réactives, si on en retire une trop grande quantité à la fois. Une raison parmi d'autres pour consulter quelqu'un qui s'y connaît.

Il faut aussi savoir qu'il existe plusieurs types de lasers dont la performance varie en fonction de la technologie utilisée. Pendant longtemps, explique M. Barolet, trois lasers de type nano ont fixé les standards pour le détatouage : le yag, l'alexandrite et le ruby. Nouvellement arrivé sur le marché, le pico coûte trois fois plus cher à l'achat (de 250 000 à 300 000 $), mais est deux fois plus efficace que les nanolasers.

« Ce qui prenait 15 traitements avec les nano en prend maintenant la moitié avec le pico, dans le cas d'un tatouage classique comprenant deux ou trois couleurs », affirme M. Barolet. Les détatoueurs utiliseront parfois les deux technologies - pico et nano - en complément, certains pigments réagissant mieux à un type de laser qu'à l'autre.

On retiendra qu'une économie sur le coût du traitement ne sera pas nécessairement rentable, selon le laser utilisé et la personne qui l'utilise. Pour ne pas y laisser sa peau, mieux vaut prendre le temps de bien choisir son détatoueur. Mieux encore, son tatouage et son tatoueur.

Une crème miracle ?

L'année dernière, les médias ont fait état du développement d'une crème de détatouage « révolutionnaire », à usage topique, mise au point par un étudiant au doctorat de l'Université Dalhousie, à Halifax. Celle-ci permettrait de retirer les tatouages - sans brûlures, sans inflammation et même sans douleur - en introduisant de nouvelles cellules pour éliminer les cellules macrophages qui contiennent les pigments de couleur.

Le produit, testé pour l'instant sur des porcs, serait moins dommageable que les traitements au laser, au dire de son inventeur, Alec Falkenham, et coûterait également beaucoup moins cher (un coût qu'il estime à 0,04 $ le centimètre carré). On est cependant loin de la coupe aux lèvres, croient les spécialistes consultés, puisque les effets à long terme du produit restent encore à déterminer.

*Résultat d'une enquête menée en 2013 par Santé Canada.

Des victimes et des cicatrices

En novembre 2014, l'émission La facture a mis en lumière des cas de personnes victimes de brûlures graves à la suite de traitements à l'acide glycolique reçus chez Bye Bye Tattoo, à Saint-Eustache. L'établissement n'existe plus sous ce nom, mais les clientes, elles, traitent encore leurs blessures, comme en témoigne le docteur Daniel Barolet, qui a soigné des dizaines de ces victimes.

Le 21 janvier dernier, Carmen Tassé, unique actionnaire de Bye Bye Tattoo, a déposé une demande au Registre des entreprises pour retirer le nom de Bye Bye Tattoo de sa société, cette dernière n'ayant pas été dissoute. À ce jour, Mme Tassé est toujours administratrice d'une société de détatouage à Saint-Eustache, enregistrée à la même adresse que l'ancienne enseigne et qui se présente cette fois sous le nom de Détatouage Canada. L'établissement se targue d'utiliser une technique révolutionnaire, une solution de rechange aux cicatrices induites par le laser, est-il écrit sur le site de l'entreprise.

La Presse+ a pris contact avec Détatouage Canada en indiquant son intention de se faire retirer un tatouage. Au téléphone, une femme nous explique que le traitement consiste à retatouer la peau avec une solution qui peut contenir de l'acide glycolique, des eaux salines ou une forme d'acide lactique, dans le but de faire ressortir l'encre de la peau. La solution utilisée dépendra de notre tatouage, de la rapidité avec laquelle nous souhaitons le voir disparaître et d'autres facteurs, comme l'âge du tatouage et la fragilité de notre peau. Nous avons tenté d'obtenir les commentaires de Mme Tassé, sans succès.

Cette technique utilisée par Détatouage Canada est semblable à celle de Bye Bye Tattoo, croit le Dr Barolet.

PHOTO FOURNIE PAR ME JEAN BLAQUIÈRE

Les cicatrices laissées à la suite d'un traitement reçu chez Bye Bye Tattoo.

« La blessure induite crée un important tissu cicatriciel qui, selon la guérison du patient, laissera des marques blanches, et souvent des cicatrices hypertrophiques et chéloïdes énormes [marques dures et boursouflées aux contours irréguliers] », alerte le Dr Barolet.

Deux victimes de Bye Bye Tattoo, Julie Ouellette et Ju Fang Yeh, ont obtenu justice aux petites créances en février dernier. Toutes les autres victimes qui ont subi des brûlures graves se sont réunies au sein d'une démarche commune visant à obtenir réparation auprès de Mme Tassé et de sa société Bye Bye Tattoo, de même qu'auprès de leur assureur responsabilité civile. « La loi prévoit qu'en présence de négligence, la victime d'une blessure corporelle a droit à une réparation intégrale du préjudice subi », souligne leur avocat, Me Jean Blaquière, qui compte faire la lumière sur tous les aspects de cette affaire.

Qui est responsable?

La pratique du détatouage est de compétence provinciale, selon Santé Canada. L'instance fédérale s'assure quant à elle de la conformité d'un produit, pas de son usage.

Au Québec, le ministère de la Santé et des Service sociaux (MSSS) déclare toutefois que les soins esthétiques ne sont pas réglementés au provincial, à l'exception des soins qui, comme la chirurgie plastique, nécessitent une intervention chirurgicale, ce qui n'est pas le cas pour le tatouage ou le détatouage. « Les centres d'esthétique sont des entreprises privées et ne relèvent pas du ministère de la Santé et des Services sociaux à l'exception des salons de bronzage, où les études scientifiques ont clairement démontré leur rôle dans les risques du cancer de la peau », explique un porte-parole du MSSS par courriel.

L'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) nous renvoie quant à lui à la case départ, c'est-à-dire à Santé Canada. Pour l'instant, Santé Canada et l'INSPQ se contentent de faire des recommandations. Après avoir reçu quatre rapports d'événements faisant état de cicatrices et d'irritations à la suite de mauvais traitements, Santé Canada a lancé, à l'automne 2014, une mise en garde contre les effets indésirables de certains produits utilisés pour le détatouage.

Un groupe de travail à l'oeuvre

À l'automne 2014, le Collège des médecins a dénoncé les risques associés au détatouage dans le reportage diffusé par l'émission La facture.

« Il devrait y avoir une réglementation particulière à laquelle seraient assujettis les tatoueurs et les détatoueurs, afin qu'on puisse contrôler la compétence des intervenants, prévenir les complications potentielles et donner des possibilités de recours à ceux qui ne sont pas satisfaits de leur traitement », soutient le secrétaire du Collège des médecins, le Dr Yves Robert.

C'est d'ailleurs l'un des points abordés par un groupe de travail mis sur pied par le Collège et qui se penche depuis un an sur la médecine esthétique. « On se bat de toutes parts, présentement, pour ne pas avoir cette responsabilité. Nous comptons bien les interpeller avec notre rapport. L'Office de la protection du consommateur, notamment, et probablement aussi le ministère de la Santé et le ministère de la Justice », annonce le Dr Robert.

Le rapport du Collège des médecins devrait être rendu public à l'automne 2016.

À noter que les consommateurs peuvent déclarer toute réaction indésirable à un produit de détatouage à Santé Canada.

Des attentes réalistes

Un détatouage coûte plus cher et prend plus de temps que le tatouage en lui-même, ce qui ajoute à l'ironie de la chose. Think before you ink (« réfléchissez avant de vous faire tatouer »), dit-on. Une expression qui en dit long.

Plus vieux, plus incrustés



Les vieux tatouages sont plus difficiles à éliminer parce que leurs pigments sont implantés plus profondément dans la peau que ceux des tatouages récents.

Des couleurs récalcitrantes



Tous les pigments ne pénètrent pas au même degré dans le derme. Certaines couleurs plus complexes, comme le jaune, le mauve, le bleu aqua et le vert, nécessiteront un traitement plus long. Dans le doute, il vaut donc mieux opter pour un tatouage à l'encre de Chine que multicolore.

Un long processus



La démarche exige patience et endurance : les traitements sont normalement espacés de six à huit semaines pour laisser le temps à la peau de se remodeler avant de la traiter de nouveau. « S'engager dans ce processus peut facilement s'étaler sur six mois à plus d'un an, période durant laquelle il faudra éviter le soleil », précise Maryam Majdi, qui pratique le détatouage.

10 fois plus cher qu'un tatouage 

Côté coûts, on doit s'attendre à ce que la facture excède le millier de dollars : un traitement au laser coûte entre 100 $ et 500 $ la séance, contre un tarif moyen de 150 $ l'heure pour un bon tatoueur. « Au final, il en coûtera facilement 10 fois plus pour se faire retirer un tatouage que pour se le faire tatouer », selon le Dr Daniel Barolet, spécialiste du détatouage. Par exemple, un petit tatouage (de la grosseur d'une carte de crédit) qui a coûté 150 $ pourrait exiger approximativement 10 traitements à 150 $ la séance.

D'autres facteurs à considérer

L'âge du patient, la couleur de la peau, la technique de tatouage utilisée et la région anatomique du tatouage - certaines zones comme les chevilles et le décolleté mettant plus de temps à guérir - influencent les résultats et la durée du traitement.

PHOTO FOURNIE PAR DR DANIEL BAROLET

Détatouage professionnel au laser QS-YAG, avant les traitements.

PHOTO FOURNIE LE DR DANIEL BAROLET

Détatouage professionnel au laser QS-YAG, après huit traitements.