Les nombreuses recherches sur le microbiote intestinal mènent enfin à des thérapies concrètes. Par exemple, on peut maintenant combattre la coriace bactérie C. difficile grâce à la transplantation de matière fécale. La Presse fait le point sur ce nouveau traitement et sur l'intérêt croissant pour l'intestin, qu'on qualifie désormais de « deuxième cerveau ».

Transplantation fécale bientôt au CHUM

Grâce à l'étude du microbiote, les traitements contre la bactérie C. difficile se raffinent. L'hôpital Saint-Luc de Montréal, affilié au CHUM est maintenant prêt à faire ses premières transplantations fécales. Il pourrait même être le premier établissement québécois à utiliser les nouvelles gélules fabriquées depuis peu aux États-Unis. Une lueur d'espoir pour les patients abonnés aux antibiotiques. Explications.

Bon an, mal an, la bactérie C. difficile affecte environ 3500 personnes dans les hôpitaux du Québec, selon l'Institut national de santé publique du Québec. Même si, grâce aux mesures préventives mises en place dans les hôpitaux, le nombre de cas tend à diminuer depuis cinq ans, environ 20 % des personnes infectées multiplient les rechutes après la prise d'antibiotiques. Des antibiotiques qui à la longue créent un déséquilibre dans le microbiote intestinal.

Il y a quelques années, des chercheurs américains ont mis au point un traitement à la fois simple et oui, disons-le, peu ragoûtant, destiné à ces récidivistes : les transplantations fécales. En clair, il s'agit de transférer la matière fécale d'une personne en santé dans l'intestin d'une personne qui combat sans succès la bactérie C. difficile. Une façon de repeupler de bonnes bactéries la flore intestinale malade.

Ces premières transplantations fécales « artisanales » ont d'abord été menées avec succès au CHU de Sherbrooke, puis en 2012 à l'Hôpital général juif de Montréal avec un taux d'efficacité de 90 %, soit de trois à quatre fois plus que les traitements antibiotiques, selon une étude publiée il y a trois ans dans le New England Journal of Medicine. Seule condition : connaître le donneur pour être sûr de ne pas transmettre au patient des bactéries ou des virus comme le VIH.

Les études se multiplient

Mais depuis, les études américaines se sont multipliées. En 2013, des chercheurs du Massachusetts General Hospital ont mis au point une gélule de matière fécale congelée pour soigner les diarrhées chroniques d'un groupe de patients aux prises avec la bactérieC. difficile. Une procédure beaucoup plus simple et sûre que la manipulation de selles, avec le même taux d'efficacité, comme l'a rapporté The Journal of the American Medical Association.

« C'est cette avenue qu'a privilégiée l'hôpital Saint-Luc, qui a formé en début d'année un groupe de travail constitué de microbiologistes, de gastroentérologues et de chirurgiens digestifs afin de trouver un consensus dans le traitement de ces cas extrêmes.

Ces gélules sont fabriquées à partir de matières fécales dont on a retiré les déchets pour ne conserver que les bactéries. C'est plus simple à avaler, si j'ose dire, ou à mettre dans un tube digestif que les selles prélevées, puis injectées par coloscopie chez un patient... »

Pour le Dr Bouin, qui dirige également le programme de gastroentérologie de l'Université de Montréal, cette option permettra également de faire des économies de temps et d'argent. L'hôpital Saint-Luc pourrait ainsi être le premier établissement québécois à recourir à ce traitement.

« À partir du moment où on a défini les critères, c'est relativement simple, a-t-il expliqué. S'il y avait un cas demain matin, on pourrait tout de suite intervenir, mais vous savez, il n'y a pas tant de cas que ça. Autant C. difficile est une maladie fréquente et grave, autant la grande majorité des gens répondent bien aux antibiotiques, même si ça prend deux ou trois traitements. Les gens qui ont besoin d'une transplantation fécale, c'est quand même exceptionnel. »

Santé Canada

Face au succès inattendu de ces interventions, la direction de Santé Canada a reconnu récemment le bénéfice des transplantations fécales « d'un donneur connu du patient et du médecin », mais ne s'est pas encore prononcée spécifiquement sur l'utilisation des gélules de matière fécale, indiquant qu'elles devaient au préalable « faire l'objet d'un essai clinique ».

« Santé Canada considère que la matière fécale utilisée dans une bactériothérapie fécale répond à la définition de drogue en vertu de la Loi sur les aliments et drogues et, par conséquent, réglemente ce traitement comme un nouveau médicament biologique », peut-on tout de même lire dans sa « Ligne directrice » publiée l'an dernier.

Même si la bactérie C. difficile est à l'origine d'environ 200 morts par année, les transplantations fécales n'y changeront malheureusement rien, croit le Dr Mickael Bouin.

« Ce n'est pas une thérapie qui va faire baisser le nombre de décès. Les décès concernent des gens fragiles aux prises avec des complications comme la bactérie C. difficile, qui ultimement va provoquer la mort. On n'a même pas le temps de penser à des transplantations fécales dans leur cas. Par contre, c'est une très bonne nouvelle pour ceux qui vivent avec une infection chronique. »

L'intestin, ce deuxième cerveau

Le lien entre le cerveau et l'intestin n'est pas en soi nouveau, nous disent les spécialistes consultés.

« On sait que l'intestin a son propre cerveau, son système nerveux et ses millions de neurones, indique le Dr Pierre Poitras, gastroentérologue à l'hôpital Saint-Luc et professeur titulaire de médecine à l'Université de Montréal. Ce qui est intéressant, c'est son influence sur les fonctions extra-intestinales. Le cas le plus évident étant celui de la dépression parce que les antidépresseurs agissent sur la sérotonine, qui se trouve à 95 % dans l'intestin et non dans le cerveau. »

Le stress qui nous fait vomir ou aller aux toilettes est un exemple concret de ce lien entre le cerveau et l'intestin, mais ce qui est probablement nouveau, estime-t-il, c'est le trajet inverse : de l'intestin au cerveau.

La nutritionniste et gastroentérologue Francisca Joly Gomez, auteure de L'intestin, notre deuxième cerveau, écrit justement : « Des chercheurs s'intéressent maintenant au côlon des personnes atteintes de la maladie de Parkinson, d'autres s'interrogent sur le rôle des bactéries composant le microbiote comme accélératrices potentielles de l'obésité. On parle même d'un deuxième cerveau dans le ventre. »

La genèse

L'étude qui est sans doute à l'origine de la transplantation fécale et qui a donné une impulsion extraordinaire à la recherche sur le microbiote intestinal a été menée par le Dr Stephen Collins il y a plus de 10 ans à l'Université McMaster de Hamilton, rappelle le Dr Poitras.

Le Dr Collins a en effet mené une expérience auprès de deux groupes de souris : un groupe dit « normal » et un autre réunissant des souris déprimées. Premier constat : les deux types de souris n'avaient pas le même microbiote (l'ensemble des bactéries de la flore intestinale). Il a donc pris les bactéries de l'intestin de la souris déprimée et il les a transférées dans l'intestin de la souris normale... qui est devenue déprimée !

« On s'intéresse maintenant au microbiote des personnes obèses, déprimées ou cardiaques. Mais qu'est-ce que ça révèle ? Face à des familles de 20 000 bactéries, on fait quoi ? C'est un casse-tête qu'on est encore loin de résoudre. »

Est-ce que ces transferts de microbiotes peuvent permettre de soigner des maladies inflammatoires de l'intestin ? Les microbiologistes et gastroentérologues sont à la fois prudents et optimistes.

Le Dr Poitras, qui vient de publier le premier ouvrage de référence en gastroentérologie en français (L'appareil digestif - Des sciences fondamentales à la clinique, aux PUM), évoque deux études récentes qui n'ont pas été concluantes, même si l'une d'elles a soulevé des questions intéressantes et que les recherches, nombreuses, se poursuivent.

Intérêt grandissant

« On a procédé à une transplantation fécale auprès de 40 personnes souffrant de colite ulcéreuse, raconte-t-il. L'étude était globalement négative, mais la condition de cinq personnes s'est améliorée. On s'est rendu compte que la matière fécale venait du même donneur... Ça, c'est intéressant ! Et ce donneur fait sans doute l'objet d'une analyse. Mais c'est complexe. Quand on transfère des selles, on ne peut pas savoir tout ce qu'on transfère ! »

L'intérêt grandissant pour cet organe « mal-aimé » qui attire de plus en plus de chercheurs aux quatre coins du monde fait des heureux. Le Dr Pierre Poitras est de ceux-là. « Ce bruit-là, je l'aime beaucoup, dit-il. Cet intérêt exprimé pour le système digestif est bénéfique pour nous, même si parfois, on s'éloigne de la science. Globalement, c'est très positif. »

Des ouvrages pour en apprendre davantage

Voici quelques publications récentes qui détaillent les connexions entre l'intestin et le cerveau et qui préconisent un régime alimentaire sain pour maintenir l'équilibre de notre microbiote.

Le charme discret de l'intestin

Giulia Enders

Qui aurait pu prévoir que ce petit livre écrit par une jeune médecin allemande de 25 ans deviendrait un succès populaire ? Certainement pas Giulia Enders, qui décrit l'intestin dans ses moindres détails, avec un humour déroutant. La jeune femme nous met à jour sur les découvertes de l'heure et parvient à faire la démonstration que l'intestin n'est pas limité à sa fonction de digestion. Elle établit une foule de liens entre l'intestin et notre état de santé général. Exactement ce à quoi on s'attend d'un médecin généraliste.

L'intestin, notre deuxième cerveau

Dre Francisca Joly Gomez

Cette nutritionniste et gastroentérologue au CHU Beaujon à Clichy-La-Garennem, en France, détaille le dialogue étonnant entre les milliers de bactéries du microbiote intestinal et les autres composants de l'organisme, dont le cerveau. Elle établit notamment des liens entre la maladie de Parkinson et l'intestin (qui trouverait son origine dans le système nerveux entérique), mais aussi avec d'autres affections comme la dépression et l'obésité, toutes causées par un déséquilibre du microbiote.

L'intestin au secours du cerveau

Dr David Perlmutter

Ce neurologue américain, qui s'est d'abord intéressé à l'impact des glucides sur le cerveau, s'intéresse lui aussi au microbiote intestinal, mais c'est pour nous faire prendre conscience que notre alimentation est l'un des facteurs les plus importants dans l'équilibre (ou le déséquilibre) de notre microbiote. L'auteur y va de nombreuses recommandations (y compris des menus et des recettes) pour éviter le sucre et le gluten et rééquilibrer notre flore intestinale.

L'intestin au coeur de votre santé

Dre Robynne Chutkan

Cette gastroentérologue américaine est convaincue que l'équilibre du microbiote passe par une saine alimentation et la consommation de probiotiques. Comme le Dr Perlmutter, elle préconise un régime faible en sucre et en glucides et riche en fibres - légumes et fruits frais. Son programme Vivre salement et manger sainement (VSMS) montre du doigt notre style de vie aseptisé, qui fait en sorte que la diversité des espèces microbiennes de notre peau diminue au point de nous rendre extrêmement vulnérables.