Depuis près de trois ans, de plus en plus de femmes enceintes font des prises de sang pour analyser l'ADN de leur bébé et dépister les risques de trisomie. Ces tests sont uniquement offerts en cliniques privées. Mais le gouvernement du Québec examine la possibilité de les offrir dans les hôpitaux, a appris La Presse. Or, les médecins ne sont pas toujours bien informés sur cette nouvelle technologie pour guider leurs patientes.

LE POUR ET LE CONTRE

Les échantillons sanguins de la mère qui contiennent l'ADN du bébé sont analysés dans des laboratoires aux États-Unis (avec les tests Harmony ou Panorama) ou encore en Chine avec le nouveau test chinois Nifty, dont la clinique Procréa à Montréal détient l'exclusivité pendant cinq ans au Canada. Ces tests, qui demandent une ordonnance médicale, sont semblables et très efficaces. Mais sont-ils nécessaires ? La Presse fait le point avec quelques experts québécois.

À QUOI SERVENT CES TESTS D'ADN FOETAL ?



D'abord, à dépister les risques de trisomie 21, 18 et 13 dès 10 semaines de grossesse. Ces tests détectent à 99 % les risques de trisomie 21, la cause génétique la plus fréquente d'un retard intellectuel. En plus de déterminer le sexe du bébé, ces tests dépistent aussi les risques d'anomalies du nombre de chromosomes sexuels X et Y. Est-ce utile ? « La majorité des anomalies de chromosomes sexuels ont peu ou pas de conséquences. Mais dans certains cas, cela peut entraîner un retard mental. On ne peut toutefois pas prédire la conséquence exacte à la suite du test », explique le Dr François Audibert, gynécologue-obstétricien au CHU Sainte-Justine, professeur titulaire et chef de la division de médecine foeto-maternelle à l'Université de Montréal.

TOUTES LES FEMMES ENCEINTES DEVRAIENT-ELLES FAIRE CES TESTS ?



Non, répondent les experts. « Même si c'est une avancée et un outil important, faire un tel test sans prendre en considération l'histoire médicale et familiale de la personne, de son ethnicité, c'est mal l'utiliser. Il faut qu'il y ait une indication clinique », soutient la Dre Isabelle De Bie, médecin-généticienne au Centre universitaire de santé McGill. À noter : être âgée de 35 ans ou plus n'est pas un critère suffisant. Mieux vaut rencontrer un conseiller en génétique pour être guidée.

QUAND OPTER POUR CE TEST ?



Lorsqu'un risque élevé est identifié à la suite du dépistage prénatal conventionnel ou qu'un cas de trisomie existe dans la famille. Ce test non-invasif est un moyen d'éviter de recourir directement à l'amniocentèse, une procédure plus invasive, qui peut provoquer une fausse couche dans 0,5% des cas. « On fait beaucoup moins d'amniocentèses depuis ce test, au moins 3 à 4 fois moins », reconnait le Dr François Audibert, gynécologue-obstétricien.

QUE FAIRE SI LE TEST D'ADN EST POSITIF ?



Il faudra faire une amniocentèse pour confirmer le résultat. « Certaines femmes décident d'interrompre leur grossesse sur la seule base du test d'ADN foetal et tout le monde dénonce ça. Car c'est une mauvaise interprétation du test qui ne dit qu'un " peut-être " », souligne le Dr François Rousseau, médecin biochimiste, spécialisé en génétique moléculaire et clinicien-chercheur à la faculté de médecine de l'Université Laval. Une femme avec un haut risque, dont le test d'ADN foetal est négatif a deux choix : s'en tenir au résultat ou poursuivre avec une amniocentèse pour détecter d'autres possibles anomalies.

LE TEST D'ANALYSE DE L'ADN FOETAL REMPLACE-T-IL L'AMNIOCENTÈSE ?



Absolument pas, répondent les experts. « Même s'il est très bon, c'est juste un test de dépistage, et pas un test diagnostique comme l'amniocentèse », souligne la Dre Isabelle De Bie. Le test d'ADN donne une probabilité de risque, alors que l'amniocentèse donne un résultat certain à 99,9 %, en plus d'être plus complet et d'analyser tous les chromosomes. À noter : même si on utilise le terme « ADN du foetus », les fragments de l'ADN viennent du placenta, alors que l'amniocentèse analyse les cellules du foetus, précise le Dr François Rousseau.

Y A-T-IL UNE LIGNE DIRECTRICE À SUIVRE ?



Pour l'instant, la recommandation de toutes les grandes associations médicales est d'encourager les femmes à passer d'abord les tests de dépistage prénataux conventionnels : deux prises de sang chez la mère pour mesurer le taux de protéines et d'hormones, combinées à une échographie pour analyser la clarté nucale. Ces deux prises de sang font partie du Programme québécois de dépistage prénatal de la trisomie 21, couvertes par la RAMQ depuis 2010. Ce dépistage combiné, efficace au moins à 85 %, permet d'établir les risques de trisomie 21 et des anomalies du tube neural, dont l'anencéphalie et le spina-bifida. Si les résultats démontrent un faible risque de trisomie, il n'est pas nécessaire de passer un test de dépistage d'ADN foetal. « Quelqu'un qui a un faible risque pour ces types d'anomalies et qui passe les tests d'ADN foetal aura plus de probabilités d'avoir un faux positif qu'un vrai positif », explique Isabelle De Bie, médecin-généticienne.

COMMENT AVOIR L'HEURE JUSTE AUPRÈS DES MÉDECINS ?



Les études sont surtout financées par l'industrie, il y a donc peu d'objectivité. Résultat : les médecins généralistes, les sages-femmes et les gynécologues ne sont pas toujours bien informés. « Il y a tellement de cacophonie que ce n'est pas facile, même pour un médecin non spécialiste du domaine, de faire la part des choses », dit le Dr François Rousseau. « Les médecins sont mêlés et les femmes enceintes encore plus. Car on est dans une période de transition et les techniques de génétique ont fait des progrès spectaculaires ces dernières années, et ça va continuer. Les technologies avancent plus vite que la réflexion », souligne le Dr François Audibert.

BIENTÔT GRATUIT ?

« On vient de former un comité qui étudiera la place à prévoir des tests d'ADN foetal non invasifs au sein du Programme québécois de dépistage de la trisomie 21 », a confié àLa Presse Jean-Claude Forest, médecin biochimiste, professeur à la faculté de médecine de l'Université Laval, chercheur clinicien en périnatalogie et président du comité de coordination du programme provincial de dépistage de la trisomie 21.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux confirme « avoir mis en place un comité d'experts afin d'analyser la possibilité d'offrir ce test dans le réseau de la santé et des services sociaux. Le mandat de ce comité est de faire une recommandation au Ministère, en analysant différents scénarios et en tenant compte des données publiées et de plusieurs facteurs comme les différentes technologies et équipements disponibles, l'algorithme de dépistage, les coûts, l'opérationnalisation, la main-d'oeuvre, etc. ». Les recommandations sont attendues d'ici le printemps 2016.

« Mais il n'est pas question de remplacer le programme actuel de dépistage prénatal », ajoute le Dr Jean-Claude Forest.

L'EXEMPLE DE L'ONTARIO ?



En Ontario, depuis l'an dernier, le gouvernement rembourse intégralement le test d'ADN foetal chez les patientes à haut risque, qui auraient besoin par exemple d'une amniocentèse pour une suspicion de trisomie.

« On attend que le gouvernement du Québec fasse la même chose », dit le Dr François Audibert, soulignant que l'Ontario avait mis en place son Programme provincial de dépistage prénatal de la trisomie 21 en 1993. Au Québec, il a fallu attendre 2010.

ÉTUDE PANCANADIENNE

Depuis 2013, le Dr François Rousseau codirige l'étude Pégase, un programme de recherche pancanadien qui a reçu un financement de 10,3 millions de dollars sur quatre ans. Les principaux objectifs : mettre au point un test d'ADN foetal dans des laboratoires publics et universitaires au Canada et élaborer des études indépendantes sur le sujet, autant sur les aspects économiques et éthiques que cliniques. « Avant d'offrir un test dans le système public, il doit être bien validé », dit-il. Pour l'étude, près de 5000 femmes enceintes ont été recrutées dans tout le Canada. Le recrutement sera terminé à la fin de l'année 2015. Les résultats de l'enquête seront publiés dans un an.

Le test d'ADN foetal pourra-t-il être offert gratuitement ? « On travaille en ce sens. On tente de le faire au plus bas prix possible, soit le prix coûtant, donc beaucoup plus bas que les prix de l'industrie. Mais ça sera au Ministère de décider », conclut le Dr Rousseau.

TROIS TÉMOIGNAGES

CLAIRE, 35 ANS, VIENT D'AVOIR UN DEUXIÈME ENFANT : « J'ai fait le dépistage prénatal conventionnel [prises de sang et clarté nucale] dans une clinique privée. J'ai payé 50 $ de plus et si les résultats s'avéraient positifs, le test d'ADN aurait été gratuit. Finalement, les résultats étaient négatifs, je n'ai donc pas fait d'autres tests et mon bébé est en parfaite santé. »

ANNE-MARIE, 35 ANS, VIENT D'AVOIR UN DEUXIÈME ENFANT : « Nous avons opté pour le test Harmony parce que la clarté nucale réalisée au premier trimestre n'était pas bonne du tout pour un des deux jumeaux. Pour écarter le risque de trisomie, nous avons donc payé 500 $. Les résultats étaient négatifs. On ne nous a pas encouragés à faire l'amniocentèse. Le médecin ne savait pas trop quoi nous suggérer autre que "c'est à vous de voir, ce ne sont que des probabilités". Mais c'est ensuite, lors de l'échographie de routine à 20 semaines de grossesse, que nous avons su qu'un des jumeaux avait une maladie mortelle à la naissance. C'est là qu'on nous a fortement suggéré de faire une amniocentèse. Le test Harmony n'avait pas détecté la maladie, car ce n'était pas une trisomie. Nous avons décidé de poursuivre la grossesse à terme pour au moins rencontrer notre fille avant qu'elle ne décède. »

JULIE, 36 ANS, ENCEINTE DE SON DEUXIÈME ENFANT : « J'ai fait la clarté nucale et les tests sanguins conventionnels au privé. Mes risques étaient faibles. Comme j'ai 35 ans, j'ai quand même opté pour le test Harmony. J'avais compris qu'il était plus précis que l'amniocentèse, moins dangereux pour le bébé et avec des résultats plus rapides. Mon docteur était très convaincant, en me disant que c'était la Cadillac des tests, la nouvelle technologie la plus avancée, sans risque et sans douleur. Mais après, un membre de ma famille, directeur d'un centre de fertilité, m'a dit qu'il fallait valider avec une amniocentèse si le résultat était positif, ce qui était contradictoire avec les propos de mon médecin. Ça m'a coûté 500 $, remboursés par mes assurances et le résultat a été négatif. »